Entretien : Monseigneur Pontier, archevêque de Marseille, Président de la Conférence des Evêques de France, invite à être frère avec les plus faibles

Publié le 24 décembre 2013 à  18h39 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h11

Monseigneur Pontier archevêque de Marseille (Photo Philippe Maillé)
Monseigneur Pontier archevêque de Marseille (Photo Philippe Maillé)

Destimed : Monseigneur, quel regard portez-vous sur cette année 2013 ?

Monseigneur Pontier : Cette année a été marquée par un événement que l’on savait pensable et possible mais qui n’en était pas moins difficile à imaginer : le 11 février 2013, Benoît XVI annonce qu’il renonce à ses fonctions, cette décision prenant effet le 28 février suivant. Et il en faut du courage pour remettre ainsi sa mission, devenant pontife romain émérite. Le pape François lui succède le 13 mars 2013. C’est peu dire que la personnalité de ce dernier séduit, il est même présenté comme étant l’homme de l’année. Je pense que cela est dû au fait qu’il n’est pas européen, sa vision est décalée par rapport à la nôtre. Il vient d’Argentine, a connu la dictature, il a entendu les gens crier, a crié avec eux. Il parle à partir des plus pauvres et non des plus riches comme le fait le système dominant. Et ses actes sont en lien avec ses paroles : à Rio il passe une matinée dans une favela, il se rend de façon improvisée à Lampedusa… il pose des actes qui provoque une adhésion. Il invite l’Église à vivre en harmonie avec les Évangiles à être pauvre parmi les pauvres. Et là encore, il est concret comme en témoigne sa volonté de clarifier les comptes de la Banque du Vatican. Et puis, même s’il est le Pape, il entend être un parmi d’autres. Cela plaît aux Chrétiens et, au-delà, combien de gens me disent : « Je ne suis pas chrétien, mais votre Pape c’est quelqu’un ». Dans le monde en crise dans lequel nous vivons, où les solutions n’arrivent pas, voilà une bouffée d’air frais, quelqu’un qui nous propose de vivre autrement.

Cette année 2013 a vu également votre élection à la présidence de la Conférence des Evêques de France, comment vivez-vous cela ?

Je vis cela comme un service à remplir pendant au moins trois ans. Je suis là pour servir l’expression des sensibilités qui s’expriment au sein de la conférence des Évêques afin de trouver la manière de se situer dans le monde d’aujourd’hui. Il s’agit pour moi d’une recherche collective, fraternelle visant à nous permettre d’être Chrétiens dans la France de 2014. Cette fonction me conduit aussi à rencontrer les responsables des autres cultes au niveau national. Une rencontre informelle vient d’avoir lieu lors de laquelle nous avons abordé des questions telles que la situation en Syrie, en Centrafrique. C’est aussi l’occasion de dialoguer avec des musulmans qui œuvrent pour inscrire l’Islam dans la République. C’est également des rencontres avec les autres Chrétiens, notamment les Églises Évangéliques qui se structurent. C’est, enfin, des réunions au niveau européen où l’on voit bien la différence entre les pays de l’Est qui ont vécu sous des régimes communistes dans lesquels la religion était interdite et qui ont peur de la laïcité et les pays de l’Ouest où nous avons appris à vivre dans la diversité et qui expliquent à l’Est qu’ils connaîtront les flux migratoires, que cela n’existe plus des pays uniformes, si tant est que cela ait jamais existé. La laïcité est incontestablement un outil qui favorise le vivre ensemble, encore faut-il qu’elle ne soit pas dogmatique, exclusive de toute appartenance religieuse.

Cette année 2013 à Marseille a pris une dimension particulière avec l’année capitale. Comment l’avez-vous vécu ?

Nous avons vécu une année lors de laquelle nous avons expérimenté de grands rassemblements festifs. Toutes les populations étaient là, sans stress. Je me souviens, pour la fête d’ouverture, avoir mis ¾ d’heure pour me rendre de la place de la mairie au Cours d’Estienne d’Orves, et tout le monde souriait, il n’y a quasiment pas eu d’incident. Et les autres grandes fêtes ont connu le même succès, se sont déroulées dans la même ambiance. Surtout, cela traduit le fait qu’à Marseille le désir de vivre ensemble est porté par beaucoup. Il existe ici un désir de se rencontrer, de ne pas s’enfermer dans le communautarisme, de lutter contre les fondamentalismes religieux tout comme contre le laïcisme étroit. Ce n’est pas pour rien si la cité phocéenne est celle de Marseille Espérance. Même si, je pense que nous devons nous réapproprier les valeurs initiales. Pour en revenir à MP2013, nous nous sommes impliqués dans l’aventure avec la messe d’ouverture à laquelle participaient les groupes provençaux qui, l’après-midi, ont défilé sur la Canebière. Puis une exposition biblique a été proposée avec les Protestants, à l’Alcazar. Avec le Parvis du Cœur, nous avons présenté des expositions et organisé des débats à caractère plus universitaires. Bref, il me semble que Marseille donne tout son sens à la laïcité qui permet le vivre ensemble. C’est la République qui est laïque, la société elle, est plurielle, et l’État n’est pas chargé d’éliminer les composantes, tout au contraire, il est chargé de les faire vivre. Et, lorsque ce n’est pas le cas, des divisions se créent, les plus durs se saisissent des plus fragiles. Des peurs s’installent et l’on assiste aujourd’hui, de partout, à une utilisation des peurs.

Dans ce contexte, quel message entendez-vous adresser pour Noël ?

Noël c’est le plus grand message de fraternité, c’est celui qui nous dit que : soit nous nous en sortons ensemble, soit nous tombons. Noël c’est Dieu qui prend visage humain, qui se fait frère, qui nous invite à nous faire frère avec les plus faibles. Alors, en 2014, faisons jouer les rouages de la fraternité. Sinon, nous accentuerons les fragilités, les peurs, les replis sur soi. Et puis cette année sera celle de l’anniversaire du début de la première Guerre Mondiale. Il ne faut pas que ce soit l’occasion de replis nationalistes, dans ce cadre nous allons mener des actions avec des Évêques allemands. Enfin, si 2014 nous apportait un peu de bon sens. Nous venons de perdre Mandela. Quasiment tout le monde a reconnu sa perspicacité, son courage, son humanité… Pourquoi, alors, s’acharne-t-on à faire le contraire ?

Propos recueillis par Michel CAIRE

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