La chronique de Gilbert Benhayoun (*) : L’Initiative Arabe de Paix

Publié le 10 mars 2014 à  13h20 - Dernière mise à  jour le 27 octobre 2022 à  17h19

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Mahmoud Abbas, président de l'Autorité palestinienne tenant dans ses mains l’Initiative Arabe de Paix (Photo D.R.)
Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne tenant dans ses mains l’Initiative Arabe de Paix (Photo D.R.)
Le 27 mars 2002, une bombe éclate au Park hôtel à Natanya en Israël durant la soirée de la Pâque juive (le seder), tuant 39 israéliens et blessant 64 personnes. Le Hamas revendique l’attentat. Le lendemain, la Ligue arabe vote, à l’unanimité de ses 22 membres, l’Initiative Arabe de Paix (IAP), texte proposé par l’Arabie Saoudite. Les opposants israéliens à l’IAP ne se privent pas de rappeler ce terrible anniversaire.
Cette initiative a également reçu le soutien de l’Organisation de la Coopération Islamique (57 Etats)(1), y compris l’Iran. L’IAP représente, à coup sûr, un changement de paradigme historique dans les relations entre Israël et les pays arabes. Récapitulons l’essentiel des principales dispositions de l’IAP(2). Tous les pays arabes s’engageraient à normaliser leurs relations avec Israël en échange d’un retrait total des territoires arabes occupés en 1967, c’est-à-dire, les hauteurs du Golan, la Bande de Gaza(3) ainsi que la Cisjordanie incluant Jérusalem-est. Un État palestinien serait constitué à partir des frontières de 1967, et une solution juste du problème des réfugiés palestiniens, conformément à la résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU (4) devrait être mise en œuvre. Tous les pays arabes s’engageraient à reconnaître la fin du conflit et concluraient des accords de paix avec Israël. La mise en œuvre de l’IAP reviendrait à reconnaître le droit d’Israël d’exister comme État souverain, voisin d’un État palestinien. Il s’agirait d’une mise en œuvre du principe, déjà mis en pratique entre Israël et l’Égypte en 1979, de «la paix contre les territoires», ainsi que la proposition d’une paix globale.

Le 28 mars 2007, la Ligue arabe réaffirme son soutien à l’IAP. Le 6 avril 2011, un ensemble de personnalités israéliennes rédigent un texte (5), «Initiative Israélienne de Paix» (IIP), dans laquelle les auteurs disent reconnaître l’IAP comme base de négociations. Pour eux, un accord de paix entre Israéliens et Palestiniens devrait s’appuyer sur les principes suivants :
-Création de deux États, un État pour les juifs et un État pour les Palestiniens
-La création d’un État palestinien sur la base de la ligne de 1967, accompagné d’un échange de territoires sur la base 1 : 1.
-L’État palestinien sera démilitarisé…
-Jérusalem sera la capitale des deux États…
-Une solution agréée concernant le problème des réfugiés sur la base d’une compensation financière…
Il est important de souligner le fait que les deux textes, l’IAP et l’IIP, n’ont pas le même statut juridique. L’initiative israélienne se distingue de l’IAP en ce sens qu’il s’agit d’un texte émanant de la société civile alors que l’IAP constitue un texte officiel voté, à plusieurs reprises, par la Ligue arabe.

Le secrétaire d’Etat John Kerry et le Premier ministre du Qatar, Hamad bin Jassim bin Jabr Al-Thani  (Washington, le 29 avril 2013) (Phoro D.R.)
Le secrétaire d’Etat John Kerry et le Premier ministre du Qatar, Hamad bin Jassim bin Jabr Al-Thani (Washington, le 29 avril 2013) (Phoro D.R.)

En 2013, plusieurs ministres des Affaires étrangères arabes, conduits par le Qatar se rendent à Washington afin de relancer l’IAP dont le texte a été modifié, dans un sens considéré comme plus acceptable par les Israéliens. Concernant les réfugiés, il n’est plus question du «droit au retour», qui serait accordé, selon Ami Ayalon, ancien patron du Shin Bet (sécurité intérieure), à titre individuel. Les réfugiés se verraient accorder un droit collectif, aussi il appartiendra à l’Autorité palestinienne, censée les représenter, de prendre les décisions en leur nom. Par ailleurs, la proposition envisage la possibilité d’un échange de territoires, afin qu’Israël puisse conserver les blocs de grandes colonies.

En janvier 2014, le Secrétaire d’État américain, John Kerry se rend au Koweït afin de discuter de la possibilité de modifier le texte de l’IAP. Il s’agirait, dans l’hypothèse où un accord de paix serait conclu entre Israéliens et Palestiniens, d’inclure un paragraphe qui reconnaîtrait Israël comme un État juif (6). Dans les propos que Netanyahu a tenus ces dernières semaines il ressort que, pour lui, les Palestiniens devront s’engager à reconnaître le caractère juif d’Israël. Il en fait une condition pour la poursuite des négociations. Mahmoud Abbas, de son côté, rejette vigoureusement cette demande, considérant que son acceptation reviendrait à nuire aux intérêts des réfugiés palestiniens ainsi que des palestiniens vivant en Israël et citoyens de ce pays. La proposition de Kerry reviendrait alors à contourner l’obstacle.

Comment les Israéliens perçoivent-ils l’IAP ? Il convient pour le savoir de distinguer la réaction des officiels, qui depuis plusieurs années se situent à droite de l’échiquier politique, de celle de la population israélienne. Dès le vote de l’IAP en 2002, la réaction officielle des Israéliens a été plus que réservée. Ariel Sharon, alors Premier ministre, avait rejeté l’IAP, la considérant comme une offre inacceptable de la part de la Ligue arabe, car «à prendre ou à laisser ». Et si l’offre parait attirante en apparence, les détails sont alors considérés comme inacceptables. Cette attitude de méfiance est encore celle qui domine aujourd’hui chez les officiels israéliens. Pour la droite seule une négociation bilatérale pourra faire progresser le processus de paix. Pour la Ligue arabe, la normalisation des relations avec Israël ne serait possible qu’après un accord entre Israéliens et Palestiniens, ce qui reviendrait, pour la droite, à faire reposer le poids de la négociation que sur les épaules des Israéliens et les obligeraient à faire des concessions excessives. Pour le ministre des Affaires stratégiques et des Relations internationales, Yuval Steinitz, l’IAP présente une faiblesse, elle ne fait aucune référence à l’impératif sécuritaire, ce qui, du point de vue israélien est inacceptable. Il pose alors la question, «pourquoi devrions-nous faire confiance à la Ligue arabe, qui se révèle incapable de faire la paix à l’intérieur du monde arabe ?». Le seul ministre à droite qui accorde crédit à l’IAP est Meir Shetrit, aujourd’hui proche de Tsipi Livni.

A l’opposé, la population israélienne parait plus réceptive. Les sondages effectués auprès de la population juive israélienne sur l’IAP montrent que, bien informés du contenu de l’Initiative, la majorité se déclare en faveur de l’IAP.
Ces sondages ont été effectués sous la responsabilité des responsables israéliens de l’Initiative Israélienne de Paix dont Yuval Rabin, le fils de Yitzhak Rabin. Un premier sondage a été effectué le 20 mai 2013. En réponse à la question posée à 500 juifs israéliens – quelle serait votre position dans l’hypothèse où Netanyahu accepte l’IAP et aboutit à un accord avec les pays arabes? – 69% des israéliens se déclarent favorables à la proposition, et seulement 18% se déclarent franchement opposés. Le plus étonnant que révèle ce sondage est que, alors que l’IAP est vieille de plus de 11 ans, au moment où le sondage a été effectué, 73.5% des israéliens juifs n’en avaient jamais entendu parler, ou bien en connaissaient juste l’existence, mais en ignoraient les détails, 20.5% en avaient vaguement connaissance et 6% seulement étaient parfaitement informés.

Fin février 2014 le même sondage a été effectué, à propos du crédit que l’on pouvait accorder à l’IAP(7), et les résultats confirment et accentuent la tendance. De l’ensemble des réponses, Koby Huberman, signataire de l’IIP, tire les enseignements suivants :
-La majorité des Israéliens a un point de vue qui se situe clairement à droite.
-La majorité des Israéliens ne fait pas confiance aux Palestiniens.
-La majorité (les trois-quarts) est pourtant prête à accepter un accord basé sur l’IAP.
-La majorité est prête à soutenir Netanyahu dans l’hypothèse où celui-ci serait amené à prendre des décisions en ce sens. Plus de la moitié voterait pour Netanyahu si celui-ci venait à quitter le Likoud et créerait un nouveau parti

Pour Huberman, «si les Israéliens comprennent la logique qui consiste à impliquer les Etats arabes dans l’équation, afin d’aboutir à la fin du conflit israélo-arabe, alors ils seraient prêts à accepter l’accord global (the package deal) qui va au-delà d’un simple accord bilatéral».

Du côté du monde arabe, la position de l’Arabie Saoudite, qui vient de considérer le Hamas comme organisation terroriste, qui s’inquiète de l’attitude de l’Iran, pourrait se porter en faveur de négociations sur la base de l’IAP, dont elle a été à l’origine. Pourtant, un des co-auteurs de l’IAP, Marwan Muasher, ancien ministre jordanien, ne cache pas son scepticisme. Dans Foreign Policy du 16 mai 2013, il écrit: « As an original co-author of the Arab Peace Initiative and someone who has been involved in several earlier efforts to solve the conflict, I’m skeptical. Ten years have passed since the Arab League adopted the initiative, but American unwillingness to go beyond lip service and outright opposition by the Israeli government have prevented any real progress. Now, we have almost run out of time for the Arab Peace Initiative to succeed».

La position du Hamas est sans surprise. Le mouvement, qui gouverne Gaza, se déclare farouchement opposé à l’IAP, considérant que l’IAP contient «des dangers pour notre peuple affectant les terres occupées en 1967 et en 1948». Commentant la décision récente de la Ligue arabe d’envisager la possibilité d’échange de territoires, Haniyeh, responsable du Hamas à Gaza, déclare : «Pour ceux qui parlent d’échanges de territoires, nous disons : la Palestine n’est pas une propriété, elle n’est pas à vendre, ni à échanger».
En conclusion, il nous semble que la probabilité que l’IAP, qui a maintenant 12 ans, soit réactivée dans les prochaines semaines, n’est pas nulle. A condition toutefois, que du côté israélien, mais aussi du côté palestinien, et plus généralement du côté des pays arabes qui souhaitent une solution raisonnable au conflit israélo-palestinien, les responsables se décident à informer la population, à créer les conditions d’un débat sur les propositions et les implications de l’IAP. La société civile nous semble plus mûre que la sphère politique.

*Le groupe d’Aix, présidé par Gilbert Benhayoun comprend des économistes palestiniens, israéliens et internationaux, des universitaires, des experts et des politiques. Son premier document, en 2004, proposait une feuille de route économique, depuis de nombreux documents ont été réalisés, sur toutes les grandes questions, notamment le statut de Jérusalem ou le dossier des réfugiés, chaque fois des réponses sont apportées.

(1) Dont ceux de la Ligue arabe
(2) Voir le site du Monde Diplomatique
(3) La Bande de Gaza a été rendue aux Palestiniens en 2005.
(4) Concernant la solution du problème des réfugiés le texte de 2007 précise que le règlement devra être équitable et “agréé”, ce qui laisse entendre que les Israéliens auront leur mot à dire.
(5) Israeli Peace Initiative
(6) On pourrait discuter du point de savoir si Israël doit être considéré comme État juif ou un État pour les Juifs.
(7) Voir un compte-rendu dans Times of Israël du 27 février 2014

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