La Compagnie d’entraînement du Théâtre des Ateliers d’Aix interprète « Immatériel » de Dieudonné Niangouna

Publié le 14 juin 2016 à  22h37 - Dernière mise à  jour le 28 octobre 2022 à  15h26

DestimedDestimed
Alain Simon, le directeur du Théâtre des Ateliers d’Aix a un grand défaut : il est incapable de rater un spectacle. Comédien et metteur en scène lui-même, autant que passeur de culture au sein de «La Compagnie d’Entraînement» formée de jeunes comédiens qu’il dirige avec pédagogie et chaleur comme le ferait un grand chef d’orchestre classique, cet infatigable homme de scène s’impose aussi pour son esprit éclectique. Oui, Alain Simon excelle en tout, et constamment, de l’adaptation de Rilke, à Beckett, en passant par Don Quichotte revisité ou des grands classiques slamés, chacun de ses travaux théâtraux est une fête pour l’esprit autant que l’éloge du grand texte. Chaque année expliquant à chacun des jeunes comédiens de sa troupe qu’oser est une règle de vie qui libère, il associe toute une année un auteur spécifique au travail de la Compagnie et demande à celle-ci d’interpréter en fin d’année un de ses textes. En cette saison 2015-2016, ce fut le Congolais Dieudonné Niangouna, l’une des figures du renouveau théâtral du continent noir africain né en 1976 à Brazzaville, qu’il a choisi. Et les Comédiens décidant de s’attaquer à cette montagne de prose qu’est sa pièce Immatériel», (éditions Cana) de la créer aux ateliers en ce mois de juin 2016. Réussite absolue, spectacle d’une intelligence remarquable, fête des mots et des sens, jamais sombre malgré la dureté du monde décrit, moments magiques d’où l’humour n’est pas exclu, «Immatériel» ainsi donné fait aimer le théâtre et ceux qui le font exister. On saluera la performance intellectuelle de tous les comédiens, qui ont dû intégrer dans son intégralité un texte vaste, ample, aux multiples ramifications, qui parle de la communication difficile entre les Hommes, de la place de la femme dans la société africaine, de la mort qui frappe les innocents et, de l’espoir qui naît d’un regard d’amour échangé. On applaudira leur engagement physique, tous bougent, se déplacent avec inventivité, d’aucun acteur comme Gabriel Allée, se mettant aisément dans la peau d’une femme, se dénudant même (c’est dans les notes de l’auteur le voulant ainsi), avec naturel, de manière presque désinvolte, sans effets, Alain Simon très éloigné donc d’Olivier Py réussissant à ne pas rendre la scène pesante ni pour le comédien, ni pour le spectateur, ce dernier n’étant jamais transformé en voyeur. On notera la grâce, l’élégance, de toute la troupe qui ne crie jamais ne surjoue en aucune façon, une qualité d’écoute sur le plateau renforçant la puissance du propos, aucun cabotinage ni morceaux de bravoure, nous sommes dans l’ellipse, la densité et osons le mot une sorte de fraternité scénique. Tous s’emploient à saisir le spectateur au collet, ne le lâchant jamais et l’invitant à repenser les situations à l’aune de sa propre sensibilité.

Floriane, Céline, Axel, et les autres

Citons les tous : avec Gabriel Allée, on trouve Floriane Fontan, et Céline Soulet, qui s’imposent comme des sortes de contraires et de témoins de la continuité des violences du monde, fils rouges poignants, et d’une beauté rebelle. Sébastien Mintoff impressionne par son côté sphinx doublé de magicien, lorsqu’il nomme un à un les lieux où la mort voulue par Boko Haram fauche les vies, et les âmes. On a la chair de poule quand la solaire Elyssa Leydet-Brunel, divine et étonnante de diction non théâtrale, liste toutes les villes africaines épuisées de sang meurtrier. Stéphanie Raineri, Mathilda Michaud, Léa-Amélia Casagrande, jamais où on les attend, tout comme Axel Roucoules, chargés de transmettre les notions de construction de la pensée de Dieudonné Niangouna, interpellent le spectateur, l’émeuvent aussi. Quant à Alexandre Robitzer, à l’énergie incroyable, et qui donne du personnage de Sylvain à la fois une gravité pirandellienne et une légèreté formelle rappelant les univers de Beaumarchais et Marivaux, il secoue tous les codes et livre dans sa dernière scène une sorte de rappel des intentions éthiques de Niangouna. On pourrait en guise de compliment renvoyer à la troupe (il s’agit vraiment d’un travail de troupe) cette pensée de l’auteur : «Il faut changer beaucoup pour évoluer un peu».

Une table, une peinture murale, des photos…et l’éternité…plus un jour

En guise de décor pour intégrer de manière « matérielle » ce texte qui dit l’Afrique, et les rapports Nord-Sud, qui cite Handke, et Heiner Müller, qui construit sur des listes et des répétitions, sur des soliloques plus que sur des dialogues, la vie et ses coups d’arrêt, qui évoque la parole, et s’emploie à la déconstruire, on trouve une table où sont assemblés les comédiens de la pièce (car c’est aussi une pièce sur des acteurs s’interrogent l’art du théâtre), une peinture murale (créée par l’équipe) disséquée et analysée avec soin dans sa force métaphorique, et des photos projetées sur le mur symbolisant la ville et ses chiens de guerre. C’est tout cela «Immatériel» et c’est plus encore, car comme toutes les grandes œuvres cette pièce ne peut se réduire à un seul contenu formel. Porté par des acteurs sublimes et sublimés ce grand moment de théâtre où l’on évoque sans ennuyer un seul instant les principes de morale et d’ontologie de l’âtre, laisse entrevoir la part d’intense beauté des mots. Avec des lumières crées par Syméon Fieulaine, on a l’impression de toucher à «L’éternité…plus un jour» pour reprendre un titre de Clancier faisant référence à Shakespeare….
Jean-Rémi BARLAND

Aux Théâtre des Ateliers d’Aix. 29, place Miollis, du mercredi 15 au samedi 18 à 20h30. Réservations au 04 42 38 10 45. (Entrée gratuite sur réservations)

Articles similaires

Aller au contenu principal