Ursula von der Leyen, Présidente de la Commission européenne et le président français Emmanuel Macron ont lancé ce lundi 5 mai 2025 depuis l’amphithéâtre de la Sorbonne l’initiative « Choose Europe for Science » dont l’objectif est d’inciter les chercheurs et les entrepreneurs publics et privés du monde entier à choisir l’Europe et la France pour exercer.

L’événement a réuni les plus grands noms de la recherche européenne, des présidents d’université, des dirigeants d’instituts de recherche, des entreprises ainsi que des responsables politiques venus des quatre coins du continent. L’objectif avancé est renforcer l’attractivité de la recherche en Europe et continuer d’attirer les meilleurs talents. Le président français a porté une vision où la recherche devient un levier d’indépendance, de compétitivité et de souveraineté grâce à un renforcement d’une recherche libre ; une politique d’innovation et d’attractivité ; des investissements au profit des grands défis scientifiques et technologiques à venir. Emmanuel Macron a annoncé à cette occasion que 100 M€ financeront l’installation de chercheurs étrangers en France.
« La science n’a pas besoin de passeport, n’a pas d’attribution de genre, n’a pas d’ethnicité »

Ursula von der Leyen évoque une enveloppe de 500M€ « pour faire de l’Europe un aimant à chercheurs». Elle annonce également la création d’« une super bourse sur 7 ans et le doublement des bourses versées par l’Europe aux chercheurs qui s’installent sur le continent européen». Elle cite encore : « Nous voulons que 3% du PIB européen aille à la recherche d’ici 2030»; «nous voulons que l’Europe entre dans une nouvelle ère d’innovation ». Ursula von der Leyen note que d’autres, sans les nommer, «mettent à mal les investissements de la recherche. Quelle erreur de calcul. » Pour la Présidente de la Commission européenne : «La science offre la clé de notre futur en Europe. Sans elle nous ne pouvons pas faire face aux défis que ce soit dans la santé, le réchauffement climatique, les océans. Nous devons nous battre pour une science partagée par toute l’humanité. » Dans ce cadre, elle rappelle: « La science n’a pas besoin de passeport, n’a pas d’attribution de genre, n’a pas d’ethnicité et n’appartient à aucun parti politique et, en tant que telle, elle joue un rôle crucial, celui de rassembler les gens et de créer un avenir pour ce monde fractionné qui est le nôtre aujourd’hui. » Ursula von der Leyen lance en conclusion: « La diversité est un actif pour l’humanité et que la lumière que nous offre la science est un des actifs qui a le plus de valeur et elle doit être protégée. »
« l’Europe de la liberté, de la prospérité, de l’humanisme, du savoir »
Le président Macron ouvre son intervention en évoquant « l’Europe de la liberté, de la prospérité, de l’humanisme, du savoir.» C’est, pour lui, ce qui est en jeu aujourd’hui. Il revient sur le contexte qui est à l’origine de l’initiative «Choose Europe for Science»: «Personne n’aurait pu imaginer, il y a quelques années, qu’une des plus grandes démocraties du monde allait supprimer des programmes de recherche sous prétexte qu’il y avait le mot “diversité” dans ce programme. Personne ne pouvait penser qu’une des plus grandes démocraties du monde allait biffer d’un trait la capacité à avoir des visas de tel ou tel chercheur, parfois de ceux qui avaient contribué à sa propre sécurité numérique. Personne ne pouvait penser que cette très grande démocratie du monde, dont le modèle économique repose si fortement sur la science libre, sur l’innovation et sur sa capacité, d’ailleurs, durant les trois décennies passées, à avoir innové davantage que les Européens et à avoir diffusé plus cette innovation, qu’ils allaient faire une telle erreur. Mais nous en sommes là».
Pour Emmanuel Macron: «Il faut mesurer que nous sommes à un moment de rupture très profond où l’impensable est au cœur de notre actualité. Au fond, c’est comme si depuis la pandémie du Covid-19, nous vivions constamment dans des temps où les impensables se succédaient ; rupture géopolitique, rupture économique, rupture des repères politiques, mais c’est le monde auquel nous sommes livrés. Alors, quand je disais que ce qui est évidemment en jeu, c’est le cœur de ce que nous sommes, je le dis dans ce lieu, et j’ai eu l’occasion de le dire, d’ailleurs, il y a quelques semaines à l’université du Caire, c’est encore plus vrai pour l’Europe.»
Le président français entend s’inscrire dans l’histoire en rappelant : «L’Europe de la Renaissance, puis celle des Lumières, s’est construite par cette volonté de comprendre le monde, d’avoir une science libre, de pouvoir former les meilleurs esprits et de pouvoir comprendre le monde à la mesure de l’homme, au sens générique du terme. Et tout ce qui nous lie repose sur cette capacité de former des individus libres et rationnels, et libres parce que rationnels, parce qu’ayant accès justement à cette science libre, ouverte à la possibilité de débattre, mais à partir de faits, des vérités à un moment scientifiquement établies, puis ensuite qui seront peut-être désavouées par d’autres chercheurs, jugés à chaque fois par leurs pairs. C’est tout ce qui nous lie et ce qui nous tient. C’est ce qui a conçu nos modèles, et c’est ce qui tient notre rapport à la connaissance, mais aussi notre rapport à la démocratie et notre rapport à l’efficacité économique et la compétitivité. »
« Sans science libre, insiste-t-il, nous perdons ces trois piliers de nos sociétés, ce qui fait le cœur même des démocraties libérales occidentales. Et d’abord, ce rapport, en effet, à la vérité. Si on considère que la vérité est révélée, si on considère qu’il y a des recherches interdites, si on considère qu’il y a du bien et du mal dans la recherche et qu’on peut décider de ces financements ou les interdire, alors on perd cette capacité de « ne pas être d’accord ensemble », comme disait Voltaire. (….) Et donc oui, chérissons la science libre ouverte qui est au cœur de nos sociétés et refusons un dictat qui consisterait à dire qu’un gouvernement, quel qu’il soit, puisse dire : il est interdit de chercher ceci ou cela, et qu’il serait interdit de chercher sur la santé des femmes, qu’il serait interdit de chercher sur les cyclones ou le climat, parce qu’à chaque fois, ce sont, là aussi, des vies qui sont mises en jeu, parce que là, à chaque fois aussi, ce sont les progrès de notre humanité qui sont remis en cause. »
« Il n’y a pas de démocratie qui tienne longtemps s’il n’y a pas une science libre et ouverte »
Le Président considère qu’ «il n’y a pas de démocratie qui tienne longtemps s’il n’y a pas une science libre et ouverte. Comment débattre dans nos sociétés si le rapport au fait et à la vérité est remis en cause, soit par une espèce de relativisme absolu, de scepticisme complet, soit au fond, encore une fois, parce qu’il y aurait une vérité révélée, parce que le pouvoir politique d’un moment donné pourrait dire, ceci est vrai, ceci est faux ? Il insiste sur le fait qu’ « à côté de la liberté académique, il y a, en effet, une autorité du savoir, mais elle est essentielle pour nos démocraties parce qu’elle départit le vrai du faux, elle permet de dire ce qui est un fait, ce qui n’en est pas. Sinon, nous vivons, nous nous mettrions à vivre, peut-être y sommes-nous déjà, dans des démocraties liquides où démêler le vrai du faux devient impossible et qui est, au fond, le lit des complotismes. Du coup, des émotions, puisqu’il n’y a plus de relation véritable au réel ou aux faits. Et ce faisant, nous mettons en danger le cœur même de nos démocraties, de nos démocraties dans leurs racines, c’est-à-dire la possibilité d’avoir un débat public et des opinions publiques ainsi forgées. » Il ne manque pas d’ajouter : « Puis enfin, cette science libre est la condition de notre compétitivité. »
Il rappelle que dès 2017, « face au scepticisme climatique, nous avions lancé un programme “Make Our Planet Great Again” qui avait permis d’accueillir les meilleures chercheuses et chercheurs ce qui a permis de continuer certains programmes qui étaient menacés. Au nom de cet universalisme scientifique, jumeau de l’universalisme européen, en 2017, le programme PAUSE, sous l’impulsion du Collège de France, a été créé. Nous avons déjà engagé 33 millions d’euros pour accueillir près de 600 scientifiques. » Et il précise que l’État continuera à soutenir cette ambition. Il signale dans ce cadre : « Beaucoup de choses ont été faites. Je pense aux chaires de professeurs juniors qui ont permis de recruter, sur 600 lauréats, 60 % de chercheurs étrangers ou exerçants à l’international, ce qui est six fois plus que ce qui est à court d’habitude dans nos recrutements. Alors, contrairement à ce que laissent entendre les esprits chagrins et malthusiens, il n’y a pas d’effet d’éviction, mais au contraire, une émulation, une complémentarité. »
« A l’horizon 2030, ce seront ainsi 25 milliards d’euros qui ont été ajoutés au budget de la recherche »
Pour l’État, ce sont des moyens supplémentaires qui sont annoncés. « Entre 2020 et 2025, grâce à la loi de programmation pour la recherche, qui est une première dans l’histoire de la nation, nous avons augmenté les budgets de plus de 6 milliards d’euros en cumulés. Et à l’horizon 2030, ce seront ainsi 25 milliards d’euros qui ont été ajoutés au budget de la recherche. En matière de rémunération, depuis 2020, les primes des enseignants-chercheurs et des chercheurs ont déjà plus que doublé et, en 2027, bénéficieront d’une revalorisation moyenne de 6 000 à 8 000 euros par an supplémentaires par rapport à 2020. Et l’Agence Nationale de la Recherche soutient plus et mieux les projets. En plus des budgets des ministères, France 2030 engage plus de 8 milliards d’euros à travers l’ensemble des actions menées en faveur de l’enseignement et de la recherche, dont 4 milliards d’euros investis dans de très nombreux dispositifs et programmes de recherche dans tous les secteurs : quantique, hydrogène, batterie, intelligence artificielle, maladie infectieuse, santé numérique, où nous continuons de réinvestir. »
Sécuriser les bases de données
Il importe également au Président de sécuriser des bases de données, des plateformes coopératives « pour ne pas dépendre de quelques acteurs privés et créer ces mécanismes de coopération, de recherche ouverte, de sécurisation des données au service de l’intérêt général. » Il admet: « Nous avons fait, je pense, une erreur très profonde de ne pas avoir un vrai cloud européen. Et d’ailleurs, nous devons nous réatteler à cette tâche. C’est une nécessité. Et à chaque fois que nous avons des dépendances, nous créons une vassalité. » Considère aussi : « Nous avons eu raison de préserver l’accès libre et souverain des Européens à l’espace. Nous avons eu le tort de laisser une certaine partie de la couverture satellitaire à des acteurs privés. Nous l’avons encore vu avec les menaces faites en Ukraine il y a quelques semaines. Je vais le dire ici très clairement, il n’y a pas de vassalité heureuse. Il peut y avoir une vassalité inconsciente, quelques instants. Il peut y avoir un côté agréable à ne pas faire l’investissement qui suppose de redevenir indépendant. Mais à la fin, on finit toujours par le payer. »
Emmanuel Macron juge que « le réveil stratégique que nous vivons depuis quelques mois ne doit pas être en quelque sorte vécu comme un simple mauvais moment à passer. Nous devons donc retrouver partout, dans tous les segments de la recherche et de notre industrie, cette autonomie stratégique qui est indispensable. Et je veux une Europe, pour ma part, où la capacité à chercher, comprendre, enseigner, innover, ne dépend ni de la Chine ni des États-Unis d’Amérique quand il s’agit des algorithmes qui rythment nos sociétés, qu’il s’agisse de l’accès à l’espace, de la compréhension de nos océans, de la compréhension du climat, des semi-conducteurs, etc. »
Les chantiers du siècle
Emmanuel Macron met en exergue des chantiers du siècle en signalant : «Nous avons peut-être une dizaine de chantiers du siècle sur lesquels il faut assumer d’investir massivement, de prioriser et de créer des synergies. En matière de santé, maladies infectieuses, vaccinologie, zoonose et transmission à l’homme, en matière spatiale, qu’il s’agisse d’accès à la Lune ou des missions d’observation, en matière de quantique, en matière d’intelligence artificielle, en matière d’économie circulaire qui est si importante pour la souveraineté de notre Europe, nous qui n’avons ni des énergies fossiles, ni les minerais et terres rares sur lesquelles nous recréons des dépendances pour faire notre transition écologique. L’économie circulaire est clé pour ça. En matière de vieillissement et de régénération, défi immense de nos sociétés, en matière de nucléaire, d’énergie, de fusion, en matière de climat, qu’il s’agisse de la compréhension de la Terre ou de la recherche sur nos océans, en matière d’électronique, et des puces les plus avancées, et, pour en citer un dixième, en matière d’esprit critique et de lutte contre la désinformation, qu’il s’agisse de la santé, du climat ou des sciences. ». Il invite aussi à simplifier et accélérer la capacité à transmettre entre la recherche fondamentale, la recherche appliquée et les débouchés industriels.
Le président de la République conclut son intervention en insistant sur « un appel de la Sorbonne qui s’adresse à tous les esprits libres qui veulent œuvrer pour la science et défendre notre modèle, qui veulent faire le choix d’un certain modèle de sociétés contre un autre, qui ont une certaine idée de la liberté, un modèle fort d’une vision de l’égalité entre les femmes et les hommes, fort aussi de la place du rôle de la science, fort de la fraternité entre les peuples pour trouver des réponses aux défis du siècle.»
Michel CAIRE