Tribune à 2 voix. L’aumônier musulman Christian Jean et le rabbin Emmanuel Valency : Le bonheur…

Hai ! Ça fait mal ! Hai, est le cri d’une douleur, la traduction du même mot en hébreu et arabe désigne curieusement : « Vivant ». La violence que nous connaissons fait vibrer le monde avec ce HAI, avec toute la haine, la radicalisation et la confrontation sans limites. La République devra nous protéger des échos de ce HAI, avec toutes nos différences et nos croyances. Nous ne pouvons aimer Dieu sans aimer les Hommes. Le souffle de Dieu, le Verbe qui donne la vie le « Princep », c’est la Parole.  Parlons, encore et encore pour ne pas laisser mourir l’espoir et l’humanité en chacun de nous, parlons au-delà de nos différences sur ce qui nous uni, Dieu et l’Homme. Chaque semaine le Rabbin Emmanuel Valency et l’Aumônier Musulman Christian Jean, développent une tribune a deux voix pour la Paix et la Fraternité.

Le Bonheur dans l’Islam : Une Harmonie entre Foi et Culture. Par Christian Jean aumônier musulman

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Christian Jean aumônier musulman ©DR

Introduction

Dans un monde qui doute et ou l’horreur du quotidien nous étreint sans cesse dans les médias et sur les réseaux sociaux, nous ne devons pas oublier la beauté du monde et pour les croyants, la beauté de croire. Chez Aristote le bonheur est l’objectif ultime, chez Maslow il faut gravir une Pyramide qui comble d’abord les besoins essentiels pour arriver à l’épanouissement, cette pyramide nous enseigne qu’on ne peut avoir de préoccupation métaphysique tant qu’on des préoccupations de bol alimentaire.

Or dans notre société consumériste et de l’image, habituée au confort douillet, l’absence d’une marque de yaourt au supermarché peut plonger certains dans une détresse indicible.

Si le proverbe en France dit « l’argent ne fait pas le bonheur », on retrouve la même formule en arabe « السعادة لا تُشترى بالمال » : « Le bonheur ne s’achète pas avec de l’argent ». Pourtant, certains pauvres et démunis sont heureux sans rien posséder.

En France, le bonheur n’est pas au rendez-vous car d’après les sondages nous nous classons  33e derrière le Mexique, la Lituanie ou le Kosovo.

Le bonheur est une aspiration universelle, mais sa définition varie selon les cultures, les philosophies et les religions.

En islam, le bonheur (السعادة : sa‘āda) est une notion centrale, à la fois spirituelle, morale et existentielle.

Il ne se réduit pas à un plaisir éphémère ou à une satisfaction matérielle, mais s’inscrit dans une quête de sens, de paix intérieure et de proximité avec Dieu. Cet article explore le bonheur dans l’islam sous deux angles complémentaires : la perspective théologique et la dimension culturelle.

I. Le Bonheur en Islam : Une Perspective Théologique

1. Le bonheur comme tranquillité du cœur

Le Coran insiste sur le lien entre la foi et la sérénité intérieure. Le bonheur véritable est celui du cœur apaisé par la foi : « Ceux qui ont cru, et dont les cœurs se tranquillisent à l’évocation d’Allah. N’est-ce point par l’évocation d’Allah que se tranquillisent les cœurs ? »
(Sourate Ar-Ra’d, 13:28)

Cette tranquillité (ṭuma’nīna) est le fruit de la confiance en Dieu (tawakkul), de la prière régulière (ṣalāt), de la patience (ṣabr) et de la gratitude (shukr).

2. Le bonheur comme cheminement vers l’au-delà

Dans la vision islamique, la vie terrestre est un passage, une épreuve. Le bonheur ultime est celui de l’au-delà, réservé à ceux qui ont mené une vie vertueuse : « Quiconque fait le bien, homme ou femme, tout en étant croyant, Nous lui ferons vivre une bonne vie. Et Nous les récompenserons certes, en fonction des meilleures de leurs actions. »
(Sourate An-Naḥl, 16:97)

Le Prophète Muhammad (paix et bénédictions sur lui) a dit : « Le vrai riche n’est pas celui qui possède beaucoup de biens, mais celui qui est riche dans son cœur. »
(Rapporté par al-Bukhari et Muslim)

Il y a donc un bonheur immédiat, terrestre et accessible et un bonheur céleste qui nous est promis mais que nous ne pouvons contempler.

3. Le bonheur dans la tradition soufie

Les maîtres soufis, comme Al-Ghazali, Rûmî, ou Ibn ‘Arabi, ont approfondi la notion de bonheur comme union avec le divin. Pour Al-Ghazali, dans Iḥyā’ ‘Ulūm ad-Dīn, le bonheur réside dans la connaissance de Dieu (ma‘rifa) et la purification de l’âme (tazkiyat an-nafs). Rûmî écrit : « Tu es né avec des ailes. Pourquoi préfères-tu ramper à travers la vie ? » (Jalāl ad-Dīn Rūmī)

Le bonheur est donc une élévation spirituelle, une libération de l’ego et une immersion dans l’amour divin.

II. Le Bonheur dans les Cultures Musulmanes : Une Réalité Vivante

1. Le bonheur dans la sagesse populaire

Dans les sociétés musulmanes, le bonheur est souvent lié à la modération, à la famille, à la solidarité et à la baraka (bénédiction divine). Des proverbes comme : « Le contentement est un trésor qui ne se tarit jamais » (proverbe arabe). Illustrent cette vision d’un bonheur simple, enraciné dans la gratitude et la sobriété.

2. Le bonheur dans la poésie et la littérature

La poésie musulmane, qu’elle soit arabe, persane, turque ou ourdoue, regorge de réflexions sur le bonheur. Le poète persan Saadi écrit : « Le bonheur ne réside pas dans la richesse, mais dans un cœur satisfait. »

Dans la littérature andalouse, le bonheur est souvent lié à la beauté de la nature, à la contemplation et à la convivialité.

3. Le bonheur dans les fêtes et les rituels

Les fêtes religieuses comme l’Aïd al-Fitr et l’Aïd al-Adha sont des moments de joie collective, où la spiritualité se mêle à la célébration. Le partage, les repas en famille, les prières communautaires et les dons aux nécessiteux sont autant de sources de bonheur.

4. Le bonheur dans la vie quotidienne

Aujourd’hui, dans les sociétés musulmanes contemporaines, le bonheur est aussi recherché à travers l’éducation, la réussite professionnelle, les loisirs, mais toujours avec une conscience morale. Des initiatives comme les cafés soufis, les retraites spirituelles ou les cercles de dhikr (évocation de Dieu) témoignent d’un renouveau de la quête de bonheur spirituel.

Conclusion

Le bonheur en islam est une notion profonde, qui dépasse les plaisirs immédiats pour s’ancrer dans une quête de sens, de paix intérieure et de relation avec Dieu. Théologiquement, il est lié à la foi, à la vertu et à la promesse de l’au-delà. Culturellement, il s’exprime dans la poésie, les traditions, les fêtes et les relations humaines. Cette double approche montre que l’islam propose une vision du bonheur à la fois transcendante et profondément humaine.

Le bonheur dans le judaïsme : une quête sacrée et réaliste. Par le rabbin Emmanuel Valency

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Le rabbin Emmanuel Valency © DR

Dans un monde obsédé par la recherche du bonheur -livres de développement personnel, applications de méditation, « coachs de vie »- on en viendrait presque à croire que le judaïsme, avec ses nombreuses obligations, ses lois et ses récits parfois douloureux, est à contre-courant de cette aspiration universelle. Et pourtant, la Torah n’a jamais cessé de parler de bonheur. Mais elle le fait de manière plus subtile avec beaucoup d’humanité.

Un commandement d’être heureux ?

À première vue, la Torah ne commande pas explicitement « sois heureux ». Mais elle y fait allusion constamment. Ainsi, dans le Deutéronome (28,47), Dieu exige que l’on serve « dans la joie et avec un cœur heureux ». Et les sages du Talmud (Arakhin 11a) en déduisent que le service divin, pour être complet, doit être imprégné de joie, exprimé notamment à travers le chant.

Maïmonide, se basant sur un autre verset (Deutéronome 16,14), écrit dans son code de loi que lors des fêtes, il est même obligatoire de se réjouir : hommes, femmes, enfants, chacun selon sa façon. Nous voyons de là que le bonheur est un ingrédient essentiel du lien à Dieu.

La pensée hassidique va même plus loin. Rabbi Nahman de Breslev résume cette idée de façon saisissante : « Le plus grand devoir religieux, c’est d’être toujours dans la joie. » Cela ne signifie pas nier la douleur, mais refuser qu’elle définisse toute notre existence. Pour le judaïsme, la joie est un acte de foi : croire que la vie, même imparfaite, même difficile, a du sens.

Équilibre et partage

En hébreu, un des mots traduit souvent par « heureux » est le mot hébreu ashré. C’est par ce mot que débute le livre des psaumes: « Heureux l’homme qui ne suit pas les conseils des méchants… » Il s’agit ici d’un bonheur moral, enraciné dans le bon choix, dans l’alignement entre la conscience et l’action. Ce bonheur n’est pas euphorique, il est serein. Ce n’est pas l’absence de problèmes, mais la présence d’un sens. Le judaïsme propose donc un bonheur équilibré, capable de coexister avec les doutes, les deuils, les injustices. Un bonheur qui ne fuit pas la réalité, mais qui la traverse avec confiance.

Le judaïsme rejette l’idée d’un bonheur purement individuel. On ne peut pas être heureux seul. Nos prières sont presque toujours au pluriel. Nos repas sont meilleurs quand ils sont partagés. Nos fêtes prennent tout leur sens quand la communauté est unie. Le bonheur juif est donc relationnel : il s’épanouit dans la solidarité, dans l’engagement pour autrui, dans la transmission.

Conclusion : le bonheur comme chemin

Dans la vision juive, le bonheur n’est pas un état passager ni un rêve inaccessible. C’est un travail intérieur, un engagement constant à chercher le sens, à cultiver la gratitude et à faire place à la joie même dans les imperfections du quotidien. Être heureux, c’est reconnaître que chaque moment, aussi simple soit-il, peut devenir un espace de rencontre avec le divin. C’est aussi comprendre que la joie véritable se construit dans la relation, dans le don, dans la fidélité.

Le prophète Isaïe le dira d’ailleurs avec une certaine poésie (55,12) : « Vous sortirez dans la joie et vous serez conduits dans la paix. ». Que cette perspective éclaire notre chemin, jour après jour.

 

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