On a vu au Théâtre des Carmes André Benedetto «L’aire poids-lourds» la pièce de Lachian Philpott mise en scène par Carole Errante visible jusqu’au 26 juillet

« Cap’ ou pas cap’ ? » À l’origine, cela devait être un jeu. À tout juste 14 ans, Bee et Ellie passent leurs journées à regarder leurs écrans, parler des garçons et traîner à la sortie des classes dans les allées de la halle marchande. Freya, nouvellement arrivée au collège, les rejoint de temps en temps. Pour tromper l’ennui, Bee et Elie décident un jour de sécher les cours et se lancent un défi. Ce pari impensable, qu’elles prennent d’abord pour un amusement, va très vite les dépasser. Inspirée d’un fait divers survenu dans une banlieue populaire de Sydney, cette pièce, « L’aire poids-lourds » de Lachian Philpott traduite en français par Gisèle Joly construite comme un thriller, braque les projecteurs sur la quête d’identité des adolescent·e·s d’aujourd’hui, l’éveil à la sexualité à l’ère du numérique et des réseaux sociaux, le rapport à la séduction, aux tabous, aux regards des autres. La pièce aborde également la question des discriminations, de la complexité des relations amicales et familiales à cet âge si déterminant de la vie. A la barre de ce qui est un spectacle d’une beauté visuelle absolue et d’une audace inouïe la géniale metteuse en scène Carole Errante propose un voyage parfois drôle, souvent caustique, toujours émouvant.
Carole Errante : « Cette pièce mobilise en moi un sentiment d’urgence »
Avec fougue et enthousiasme Carole Errante précise en notes d’intentions : « Cette pièce mobilise en moi un sentiment d’urgence, une énergie de jeunesse, de prise de risque, une nécessité à la partager. L’Aire poids-lourds est une pièce dérangeante au langage cru, drôle, féroce aussi parfois. Le ton léger, décalé, nous plonge dans un monde aussi étrange que frappant. Élaborée à partir de dix mois d’entretiens avec des adolescent·e·s, des enseignant·e·s, des parents, des psychologues, des infirmières scolaires, des assistantes sociales, L’ Aire poids-lourds, en nous plongeant dans le quotidien de trois gamines de 14 ans, traite de sujets et d’enjeux sociétaux actuels.»
Au fur et à mesure que l’auteur dépouille ses trois personnages féminins de leurs pelures successives pour nous en révéler la pulpe, «on découvre que leur attitude bravache trahit en réalité une totale vulnérabilité. À 14 ans, elles ne sont encore que des enfants et leurs postures cachent un manque cruel d’estime de soi lié à l’impuissance de cellules familiales dysfonctionnelles où les parents démunis n’arrivent plus à faire face. Il explore à travers cette pièce une culture adolescente fortement sexualisée mais immature, où la connaissance, la compréhension et la prise de conscience réelles des conséquences d’une sexualité active ou par images interposées font dangereusement défaut», précise encore Carole Errante.
Des narrations qui s’intercalent
La violence faite aux femmes exposée en narrations qui s’intercalent par tranches montre combien l’écriture de l’auteur est d’une subtilité et d’une complexités infinie. Les comédiennes que sont Alia Coisman, Elisa Gérard, Annaëlle Hodet et Anne Naudon, plus Jenny Abouay à la création musicale, toutes exceptionnelles sont d’une justesse absolue. Pas de jugements sommaires, pas de pathos, on montre sans démontrer, on irradie le malheur par le regard empathique de Carole Errante l’âme esthétique de la Compagnie La Criatura. Circulaire la mise en scène suggère plus qu’elle explique de façon totalisante. Au spectateur de remplir les blancs laissés par le texte. Et c’est absolument inoubliable.
Jean-Rémi BARLAND
« L’aire poids-lourds » au Théâtre des Carmes André Benedetto – 6 place des Carmes, jusqu’au 26 juillet à 15h25. Relâche les 15 et 22 juillet. Réservations au 04 90 82 20 47 ou sur theatredescarmes.com