A Palerme le sang a coulé des centaines de fois dans les années 70-80. Plus d’un millier d’assassinats sont répertoriés. Letizia Battaglia était la seule femme reporter dans une société très machiste. Dans cette rétrospective à la Chapelle Saint-Martin du Mejan on retrouve ses reportages sur la mafia mais aussi des portraits vibrants de Palerme.

Femme reporter

La centaine de clichés rassemblés offre une immersion dans Palerme, la ville de cœur de Letizia Battaglia. Elle est sans doute la photographe qui aura le mieux documenté et dénoncé la mafia et la misère collective de cette ville sicilienne. La présence d’une femme reporter au milieu des années 70 dans une société très machiste était inédite. Elle se voyait souvent refuser l’accès à la scène de crime alors que ses collègues masculins y accédaient sans problème. « Il fallait souvent que je crie et je pleure pour que cela alerte le responsable de la police et que je puisse enfin faire mon travail», raconte-t-elle dans un documentaire. « Battaglia » en italien veut dire combattante. Elle a su le démontrer pour exister.
Immersion
Chez Letizia Battaglia, pas de téléobjectif, ses photos sont sans filtre, toujours au grand angle, au plus près de la scène. « J’ai besoin d’être vue, quitte à ce qu’on me crache au visage, confiait-elle, toujours dans un documentaire. Je veux qu’on voie que je prends une photo. Être d’égal à égal. » Cette prise de risque la fera chuter lors d’un tournage. Le mafieux Leoluca Bagarella tentera, entre les mains des policiers, de lui donner un coup de pied. Elle l’évite mais se retrouve sur les fesses.
Prises de risques
A Palerme les assassinats se multiplient. Au départ il s’agissait d’inconnus puis de politiques et enfin de magistrats. Cosa Nostra ne fait pas de cadeaux et la photographe aurait pu y laisser sa peau. Mais elle reste, continue de multiplier les clichés pour son journal, L’Ora. Elle couvre les meurtres mais traduit aussi la douleur des veuves, en fait des madones à l’image de Rosaria Costa Schifani dont le mari, un des policiers d’escorte de Falcone, est mort lors de l’attentat perpétré contre le juge. Pour elle l’image est un acte de résistance.
Née à 40 ans…
Le parcours de Letizia Battaglia est inédit. Mariée à 16 ans, elle divorce à 39 ans et « commence » sa vie, libérée. Elle travaille pour un journal qui lui demande de faire des photos pour agrémenter ses articles. L’autodidacte prend goût à la pellicule, dresse des portraits vibrants de Palerme où se mêlent misère sociale et urbaine. Où la faim taraude les estomacs et les cercueils envahissent les rues. Le sang coule mais la photographe ne se limite pas aux scènes de crime de la mafia. Elle traduit le corolaire de cette violence : la misère. Des portraits où la dignité sert d’étendard dans une ville meurtrie. La photographe est décédée en 2022 en laissant des centaines de milliers de clichés. Photographe engagée, elle a dénoncé sans filtre, le marasme dans lequel s’enfonçait Palerme. Elle qui a vécu au milieu des morts n’avait qu’une phrase à la bouche : « J’ai toujours cherché la vie ».
Reportage Joël BARCY
Letizia Battaglia « J’ai toujours cherché la vie » jusqu’au 5 octobre 2025 – Chapelle Saint-martin du Méjan à Arles