Entretien. Samuel Somot, chercheur-climatologue au Centre National de Recherches Météorologiques de Toulouse: « La Méditerranée a dépassé les 30 degrés à Porquerolles…»

Indéniablement le réchauffement climatique impacte la Méditerranée. De Monaco au détroit de Gibraltar nous sommes dans la partie la plus froide de la mer et pourtant les températures s’envolent. La bouée de Porquerolles a fait exploser le mercure avec 30,2 degrés début juillet. « Il faudra s’y habituer », prévient Samuel Somot, chercheur-climatologue au Centre National de Recherches Météorologiques de Toulouse, spécialisé sur la Méditerranée. Entretien.

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Samuel Somot, chercheur-climatologue au Centre National de Recherches Météorologiques de Toulouse, spécialisé sur la Méditerranée (Photo DR)

30,2° à Porquerolles, l’île du Planier qui tutoie les 29°, on n’a jamais rencontré ces températures ?

Non, on n’avait jamais dépassé les 30° sur cette partie de la Méditerranée. Plus de 30° ce sont presque des températures tropicales. Depuis 2019, on a chaque année un nouveau record sur la bouée du Planier (Marseille) par exemple. En théorie, sur le temps long, on a moins de chance de battre un record de température marine. Or là, on les enchaîne. La température de la Méditerranée ne reproduit pas que les variations saisonnières, plus chaud l’été et plus froid l’hiver, elle prend de plein fouet le réchauffement climatique. De 2011 à 2025 on a une série de records battus, c’est exceptionnel.

A quand remonte les premières alertes ?

La première vague de chaleur marine remonte à 1999. Elle n’a pas été détectée par nous, les climatologues, mais par des biologistes. Ils s’interrogeaient sur la mort massive dans les écosystèmes marins. Cela nous a amenés à étudier plus précisément ce phénomène et à faire des projections.

Pourquoi la mer Méditerranée est-elle si dépendante de la canicule atmosphérique ? On a l’impression d’un calque.

L’inertie thermique en été de la Méditerranée est très faible. La couche, la profondeur en interaction avec l’atmosphère est très réduite. Cela entraîne une réaction très forte aux variations atmosphériques. Si le mercure est élevé elle se réchauffe vite. A l’opposé, un coup de mistral et elle se refroidit. Sur la bouée de Porquerolles on a perdu 10° en 48 heures en juillet ! La température marine est en quelque sorte pilotée par la couche de l’atmosphère.

Vous avez réalisé des modélisations à horizon 2030, 2050, 2100… Que disent-elles sur l’évolution de la température marine de la Méditerranée ?

D’ores et déjà on ne s’attendait pas à une évolution aussi rapide. Les mers, les océans connaissent en général une évolution lente, ils lissent les choses or on a des événement extrêmes en Méditerranée. On peut établir un corolaire entre augmentation des gaz à effet de serre et le réchauffement climatique, c’est indéniable. Premier constat, on ne pourra pas respecter les accords de Paris dont l’ambition était de limiter à 1,5° l’évolution thermique à horizon 2030, ni la neutralité carbone en 2050. Or le futur dépend de cela. Si on stabilise le rejet de Co2 dans l’atmosphère on pourra limiter les dégâts sans réparer le mal qui est fait. Dans le cas contraire il faut s’attendre à des vagues de chaleurs marines plus sévères, plus tôt et plus tard dans la saison.

Et la Méditerranée surchauffe… 

Oui, comme les pôles, le pourtour méditerranéen subit le plus durement le réchauffement climatique, pour deux raisons : le couvert nuageux, déjà peu présent, se réduit et l’assèchement progressif des terres limite l’évaporation. Cela crée une amplification thermique de l’ordre de 50%. Si au niveau mondial la température mondiale croît de 2°, ce sera 3° ici, c’est énorme.

A quelle échéance ?

Selon nos modélisations il faut s’attendre à une hausse des températures d’environ 2° sur le pourtour méditerranéen en 2030. C’est presque demain. On ne le mesure pas assez mais l’impact de 2° sur l’environnement et la vie en général est colossal.

Quelles sont les conséquences immédiates de ce réchauffement sur mer ?

Avec des températures marines dépassant les 30° on risque d’avoir un milieu aquatique profondément affecté. Les gorgones, éponges ou coraux qui sont condamnées à rester dans un même lieu n’auront pas le temps de se modifier génétiquement afin de résister à ces températures. Pour les poissons, ce sera aussi très compliqué car la Méditerranée est un cul de sac. Ils ne peuvent pas remonter vers le Nord. En revanche on voit l’arrivée d’espèces lessepsiennes (en référence à Ferdinand de Lesseps, créateur du canal de Suez). Elles ont quitté la mer Rouge et s’aventurent en Méditerranée via le canal. C’est le cas du poisson lion. Un prédateur qui détruit les juvéniles.  Donc on va avoir des disparitions inéluctables d’espèces et l’arrivée d’autres adaptées à ces températures.

Et côté humain ?

L’homme supporte des températures élevées mais à certaines conditions. Si on a une chaleur sèche à 40°, c’est supportable. En buvant, la chaleur du corps s’évacue avec la sudation. En revanche avec une chaleur humide, à 40° cela devient très vite insupportable. L’humidité de l’air empêche l’évaporation et le corps souffre sérieusement. C’est très critique pour les bébés et les personnes âgées. Ce qu’il faut avoir en tête c’est que ces événements climatiques vont se reproduire et s’amplifier. Des étés comme celui de 2003 seront très banals dans deux ou trois décennies. On ne peut pas rester spectateur.

Alors que faut-il faire ? S’adapter ?

A partir du moment où l’on sait qu’on ne pourra pas respecter les accords de Paris et la neutralité carbone en 2050, c’est la seule solution. Le pouvoir est entre les mains des gens et des élus. Il faut verdir les villes pour éviter les îlots de chaleur, multiplier les déplacements doux, gommer les passoires thermiques. C’est une écologie qui peut traverser toutes les familles politiques. On aura au mieux un infléchissement du rejet de Co2 dans l’atmosphère donc il faut se préparer à des pics de chaleur plus nombreux et sur une plage beaucoup plus large.

C’est assez effrayant. Pour conclure quels sont les risques majeurs liés à ce réchauffement dans les prochaines années ?

Ils sont pour moi au nombre de quatre :

  • On aura une multiplication des vagues de chaleur atmosphérique et marine.
  • Un déficit accru des ressources en eau. On le mesure déjà dans les Pyrénées orientales. Et, en parallèle, des épisodes méditerranéens, à savoir des pluies plus rares mais violentes comme à valence en Espagne ou dans la vallée de la Roya qui entraînent d’énormes dégâts et de nombreuses victimes.
  • Des températures élevées avec une importantes humidité de l’air qui fatiguera les corps.
  • Une hausse du niveau de la mer avec la fonte de la calotte glaciaire. Ce ne sera pas immédiat mais il faut s’y préparer. En Méditerranée on a construit au plus près de la mer en raison de l’absence de marée. Toutes ces constructions côtières peuvent être menacées.

Propos recueillis par Joël BARCY

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