Entretien. Luc Langeron, directeur du département information et prévention de l’Entente de Valabre : « La lutte contre les incendies de forêts est née dans les Bouches-du-Rhône»

En 1962, des incendies ravagent la forêt méditerranéenne, le sous-préfet Francis Arrighi, décide de réagir. Des équipes vont au Canada et reviennent avec l’idée des avions bombardiers d’eau. Nait l’Entente de Valabre à Gardane, une union chargée de financer ce dispositif, puis une école de formation des cadres pour apporter une réponse opérationnelle aux incendies. Mais aujourd’hui, avec le dérèglement climatique, on touche aux limites de la gestion des incendies. Il faut impérativement régler un angle mort : celui de la prévention. Rencontre avec Luc Langeron, directeur du département information et prévention de l’Entente de Valabre qui mène une campagne de prévention contre les feux de forêt avec la Région Sud et l’Occitanie.

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Poussé par des vents violents, cet incendie a ravagé fin juillet 2025 720 hectares des Pennes-Mirabeau jusqu’à Marseille ©Pompiers 13

Le département des Bouches-du-Rhône est donc pionnier en matière de lutte contre les incendies et la prévention ?

Oui, nous sommes à l’origine de la stratégie des DFCI (Défense des Forêts Contre les Incendies). Elle vise à limiter le développement des incendies dans les massifs forestiers.  L’Entente de Valabre est née sous l’impulsion du sous-préfet Arrighi après de dramatiques feux en 1962.  Elle comprenait au départ 7 départements, Aujourd’hui l’établissement public est fort de 31 collectivités.  Il réunit 15 départements du Sud méditerranéen et la Corse, 15 services départementaux d’incendie et depuis 2014, il s’est ouvert à 3 régions : Provence-Alpes-Côte d’Azur, Occitanie et Rhône-Alpes-Auvergne

Cette union a-t-elle vraiment été une force ?

Cette Entente a permis la location des premiers avions bombardiers d’eau puis l’achat.  L’école d’application de sécurité civile de Valabre a ensuite été créée en 1967. C’est une référence en matière de formation des cadres sapeurs-pompiers professionnels, militaires et volontaires. Elle est unique en Europe, elle prépare à tous les domaines du risque. On vient de nombreuses régions pour s’y former.

Est-ce que l’Entente de Valabre a eu un réel impact en matière de lutte contre les incendies ?

Clairement et dans plusieurs domaines : la connaissance de l’incendie, son déplacement et son évolution ainsi que la réponse opérationnelle à apporter. L’école d’application de la sécurité civile a permis de former des cadres qui gèrent les sinistres. 21 000 journées stagiaires se déroulent ici chaque année. On aborde quatre domaines : l’innovation, la recherche, la formation et la prévention.

On a vu les oppositions des sapeurs-pompiers lors de l’arrivée des premiers avions bombardiers d’eau, l’Entente a permis de calmer les rivalités ?

Les rivalités se sont progressivement réduites grâce justement aux formations interservices. Vous parlez de l’opposition, lutte aérienne et terrestre, mais elle existait aussi entre forestiers-sapeurs et sapeurs-pompiers. Les premiers traçaient des pistes que les second refusaient d’utiliser ! La mission Vulcain dans les années 90 a mis fin à ces luttes intestines et à ce travail en silo.

Le credo ces dernières décennies a été d’avoir une force d’action rapide capable d’agir massivement sur les feux naissants. A-t-elle porté ses fruits ?

Sans aucun doute, elle a réduit l’extension des incendies. Selon un rapport d’information du Sénat de 2022, cette doctrine que nous avons initiée, a permis de diviser par cinq les surfaces anéanties entre 1980 et 1997. Ce n’est pas négligeable.

Mais ne trouve-t-elle pas ses limites aujourd’hui face aux sinistres dimensionnants ? Ce sont des dizaines de milliers d’hectares qui partent en fumée.

Il est clair qu’avec le dérèglement climatique on a passé un cap. Nous avons des incendies extrêmes. Le réchauffement laisse une somme de combustible colossal au sol, résultat on a des feux d’une intensité exceptionnelle avec une puissance thermique qui peut atteindre 10 000 kw par mètre et se déplacer entre 1 et 3 km/h. Ils progressent avec leur propre énergie, pas uniquement avec l’impact du vent. Dans ce contexte les largages massifs aériens (130 dans l’Aude) et les hommes sur le terrain n’arrivent pas à rivaliser avec cette puissance.

Que faut-il faire, multiplier l’arsenal de lutte avec l’achat d’autres Canadair ?

A un moment il faut se rendre à l’évidence que la « course à l’armement » a ses limites. Si on dépasse les 40°, que l’air est sec et qu’il y a du mistral on sera vite débordés quels que soient les moyens à dispositions. La meilleure puissance de feu reste la prévention. Empêcher le feu évite le pire.

Il reste de gros efforts à faire…

 Absolument. Selon une enquête de la fondation Vinci autoroute: un fumeur sur cinq jette encore son mégot par la fenêtre de son véhicule parce qu’il n’aime pas le tabac froid dans sa voiture. On progresse un peu, un quart des automobilistes faisaient ce geste auparavant ! Il faut impérativement alerter les citoyens sur les conduites à éviter comme les barbecues, les travaux près des forêts avec des tronçonneuses ou des meuleuses. Il faut développer une culture du risque. Il faudra attendre le résultat de l’enquête mais le feu dans les Corbières n’aurait certainement pas dû se produire.

Après les incendies dramatiques de Pedrogao au Portugal en 2017 qui avaient fait 66 morts, le pays a crée une agence spécialisée dans les incendies et multiplié par 10 les investissements en matière de prévention. Faut-il tendre vers cela ?

La prévention est encore trop souvent le parent pauvre en France. Le pourcentage des investissements est infime. Or il faut se mettre en ordre de marche, décréter une mobilisation générale quand l’été approche et mener une campagne nationale d’envergure. Elle passe par la multiplication des panneaux lumineux d’alerte aux feux sur autoroute ; la distribution de cendriers de poche dans les tabacs et la présence en nombre de médiateurs sur le terrain. Des comités feux sont mobilisés, la région Sud a créé des gardes régionaux, 250 la sillonnent, cela va dans le bon sens.

 Finalement on banalise encore trop les incendies ?

La population est mobilisée lors des incendies mais la mémoire se dilue rapidement. Les incendies c’est un peu le marronnier de l’été, ils semblent une fatalité mais ce n’est pas une fatalité. Dans 3 cas sur 5 c’est une imprudence coupable. Chaque année une trentaine de personnes sont jugées mais on n’en parle pas or ils pourraient servir d’exemple et susciter une prise de conscience.

Propos recueillis par Joël BARCY

 La loi de modernisation de la Sécurité Civile, du 3 août 2004, prévoit la création d’un établissement public, associant, outre les départements : les régions, les Services d’incendies et de secours et les Établissements publics de coopération intercommunale.

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