Interview croisée. Agnès Rossi & Franck Maillé : « L’économie du futur sera solidaire »

À l’occasion du Congrès régional des SCOP et SCIC Paca Corse, qui se tient les 6 et 7 novembre à Avignon, rencontre entre Agnès Rossi, conseillère régionale déléguée à l’économie sociale et solidaire (ESS) en Provence-Alpes-Côte d’Azur, et Franck Maillé, président de l’URSCOP Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse. Ensemble, ils évoquent la dynamique coopérative, les enjeux de la transmission et la place essentielle de l’ESS dans la relance économique régionale.

Destimed URSCOP dESTIMED
Agnès Rossi, conseillère régionale déléguée à l’économie sociale et solidaire (ESS) en Provence-Alpes-Côte d’Azur, et Franck Maillé, président de l’URSCOP Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse et Serge Guintoli , directeur de URSCOP Paca Corse ©DR

Agnès Rossi, vous êtes conseillère régionale déléguée à l’économie sociale et solidaire. Comment cette délégation est-elle née ?

Agnès Rossi: J’ai obtenu cette délégation il y a maintenant presque quatre ans. Elle n’existait pas au départ : elle a été créée à la demande des acteurs de l’ESS, qui ont convaincu Renaud Muselier qu’il fallait un élu dédié à ce sujet. Quand on regarde les chiffres, l’ESS représente 13 % de l’emploi privé et 16 % du PIB régional. C’était donc indispensable de s’y engager pleinement.

Étiez-vous déjà issue de ce milieu ?

Pas du tout ! Je travaille depuis longtemps pour une grande entreprise internationale, donc loin du monde de l’ESS. J’ai découvert cet univers grâce à la CRESS avec son président Denis Philippe et surtout grâce à Serge Guintoli, directeur de l’URSCOP, et à Franck Maillé, qui m’ont proposé une journée de terrain pour rencontrer des coopératives autour de Marseille. Ce fut une révélation : j’y ai découvert des structures passionnantes, comme la coopérative des lamaneurs, un métier historique, ou encore ATEM, une SCOP industrielle reprise par ses salariés après une liquidation, il y a plus de 45 ans. Ils sont passés de 15 à 70 salariés, avec un développement international. C’est là que j’ai compris la force du modèle coopératif : des décisions collectives, des bénéfices réinvestis, une gouvernance partagée et surtout un vrai sens du collectif. Et pour clore cette journée, Pains et Partages, une boulangerie d’insertion en SCIC.

Qu’est-ce qui vous a le plus marquée dans ce modèle coopératif ?

Ce qui m’a frappée, c’est la dimension humaine. On a des gérants et des présidents, bien sûr, mais les décisions sont collectives. On partage les risques, les réussites et les fruits du travail. L’objectif n’est pas seulement de faire du profit, mais de réinvestir dans l’outil, d’élargir les marchés, de faire grandir les équipes. Et surtout, de donner du sens au travail. J’ai vu des salariés profondément engagés, heureux d’agir pour leur entreprise et leur territoire. C’est une autre vision de l’économie, plus équilibrée et profondément ancrée dans le local.

Quel rôle joue aujourd’hui la Région dans ce domaine ?

La Région avait déjà des dispositifs d’aide à la création et à la transmission d’entreprises. Ce que nous avons voulu faire, c’est intégrer pleinement l’ESS dans ces dispositifs, et non la traiter comme une économie à part. Depuis octobre 2024, nous avons voté une stratégie régionale de développement de l’ESS 2024-2030. Nous soutenons des projets de création et de croissance, notamment via le dispositif Mon Projet d’Entreprise, utilisé aussi par les réseaux comme l’URSCOP pour accompagner les porteurs de projets. L’enjeu, c’est de rendre l’ESS visible, lisible et incontournable dans la dynamique économique régionale.

Quel est votre objectif à travers cette stratégie ?

Nous voulons que l’ESS devienne un pilier de la structuration économique régionale. C’est une économie locale, innovante, résiliente, composée d’emplois non délocalisables. Elle a montré sa capacité d’adaptation, notamment pendant la crise du COVID. Et elle attire une nouvelle génération en quête de sens et de cohérence.

Vous évoquez aussi la question du vieillissement et de la transmission des entreprises…

C’est un vrai défi. Dans les Hautes-Alpes, par exemple, l’ESS représente 18 % de l’emploi privé ; dans certains quartiers de Marseille, jusqu’à 20 %. Perdre ces structures, ce serait perdre une part vitale de l’économie locale. C’est pourquoi nous allons lancer un nouveau dispositif : « 1 euro pour 1 euro ». Concrètement, lorsqu’un salarié  investit au capital d’une coopérative, la Région abonde son investissement (dans la limite fixée), afin de faciliter la reprise et la transmission. C’est un outil concret pour soutenir les transmissions d’entreprises coopératives.

Franck Maillé, les SCOP ont 140 ans. Que représente cette longévité ?

Franck Maillé : Oui, 140 ans déjà ! En 2024, nous avons célébré cet anniversaire, juste après les 130 ans du Crédit Coopératif, lui aussi né du mouvement des Coopératives. Depuis le début, notre raison d’être, c’est l’émancipation des salariés et la démocratie en entreprise. Dans une coopérative, chaque salarié-sociétaire a une voix. Il participe aux décisions, élit ses dirigeants et partage les fruits du travail collectif. Je le vois dans ma propre entreprise : quand un jeune de 22 ans me dit qu’il est heureux de venir travailler, c’est qu’il se sent impliqué, reconnu et responsable. C’est ça, la dignité au travail.

Cette gouvernance partagée est-elle toujours simple à mettre en œuvre ?

Ce n’est jamais simple, mais c’est ce qui fait notre richesse. Dans nos entreprises, on se réunit régulièrement pour faire le point : ce qui marche, ce qui bloque, les idées nouvelles. Chacun peut proposer, remettre en question les habitudes. Quand un salarié suggère une autre manière de faire, c’est souvent une amélioration que l’on adopte. Cette intelligence collective, cette liberté d’expression, c’est le moteur de notre innovation.

La transmission est un sujet central pour vous aussi…

Oui, essentiel. Trop d’entreprises ferment faute de repreneurs, alors que leurs salariés sont prêts à reprendre le flambeau. Une étude montre que le taux de pérennité à 5 ans d’une entreprise transmise en SCOP est de 91,5 %, contre 61 % dans le modèle classique. La transmission doit se préparer à temps, pas au dernier moment. Avec l’appui de la Région, on peut aujourd’hui accompagner ces transmissions dans de bonnes conditions.

Serge Guintoli , directeur de URSCOP Paca Corse ajoute à ce propos: « La mise en place par la Région Sud d’une subvention non amortissable d’1 € pour chaque euro apporté par les salariés aurait un effet démultiplicateur : elle renforcerait les quasi fonds-propres de la structure et donc la crédibilité financière des projets en améliorant le ratio fonds propres / emprunts. Ce mécanisme, simple et lisible, viendrait renforcer la confiance des partenaires financiers en sécurisant la structure du capital et en réduisant la prise de risque individuelle des salariés.   »

Quels sont les grands axes de travail à venir pour le mouvement coopératif ?

Notre Congrès régional se tient à Avignon, au Palais des Papes, les 6 et 7 novembre.
Cet événement aura deux dimensions :

  • La première journée, institutionnelle et politique, avec conférences et tables rondes (nous accueillerons notamment les nouvelles coopératives Duralex et Orezza, une Biocoop et SCOPTi), pour réfléchir ensemble à nos valeurs, nos orientations et nos ambitions communes.
  • La seconde journée, plus administrative, dédiée aux comptes de l’année écoulée ainsi que le renouvellement des administratrices et administrateurs, qui seront les porte-voix de cette stratégie pour les quatre années à venir.

Un village coopératif investit dans la cour du Palais, où des SCOP présenteront leurs produits et savoir-faire, et une soirée conviviale pour célébrer cette dynamique collective.

Et les trois grandes orientations du Congrès sont:

  1. Incarner les transitions (écologiques, sociales, économiques)
  2. Faire vivre la culture coopérative
  3. Amplifier le développement du mouvement

Ce travail collectif nourrira la préparation du Congrès national de mars 2026, qui aura lieu à Toulouse, et fixera la feuille de route du mouvement jusqu’à 2030.

Franck Maillé, que souhaitez-vous ajouter en conclusion ?

Depuis l’entrée en vigueur de la loi NOTRe en 2015, notre coopération avec la Région s’est intensifiée. En tant que tête de réseau de l’économie sociale et solidaire, nos services œuvrent désormais en synergie pour structurer, accompagner et valoriser les dynamiques territoriales au travers de nos coopératives.

Agnès Rossi, pour conclure, quels sont les autres projets soutenus par la Région ?

En plus de Mon Projet d’Entreprise (environ un million d’euros par an, pour 400 projets accompagnés), nous avons lancé un partenariat avec l’association Les Canaux, issue des Jeux Olympiques de Paris 2024, afin d’aider les structures de l’ESS à accéder aux marchés publics de grande envergure. Nous travaillons aussi sur l’accélérateur HEC ESS, pour accompagner la croissance des entreprises, et sur le dispositif CEDRE, qui aide les structures à réussir leur transition écologique et environnementale. L’enjeu est clair, il s’agit de faire de l’économie sociale et solidaire une force structurante, innovante et durable au cœur du développement régional.

Propos recueillis par Patricia CAIRE

 

 

Articles similaires