Depuis qu’il vient en Provence, où on l’a vu très jeune et déjà impressionnant, Alexander Malofeev n’a cessé d’élargir son répertoire. Pour ce récital, donné à Aix-en-Provence au Conservatoire Darius Milhaud, ce virtuose du piano est parti sur les traces d’œuvres rares.

On est d’emblée saisis par la profondeur des « Sept lieder de Mendelssohn » transcrits pour piano par Franz Liszt. On y entend une partition innovante et nous sommes ensuite touchés par « Les Arbres » de Jean Sibelius qui soixante-dix ans plus tard célèbre la nature dans une forme panthéiste. Pour conclure cette première partie, on apprécia « La suite Holberg » de Edward Grieg, où le compositeur rend hommage à des danses baroques contemporaines données avec éclat et précision.
Grande originalité du récital, Alexander Malofeev enchaîne tous les mouvements des œuvres choisies sans s’arrêter, donnant ainsi l’impression d’avoir à entendre une seule partition. C’est d’une limpidité absolue, et ne se regarde pas jouer, le pianiste offrant avec humilité sa vision personnelle de Mendelssohn, Grieg et Sibelius, trois compositeurs au tempérament très « paysager », dit-il, signant ainsi « une musique que l’on peut sentir, presque visualiser au moment où on la joue » ajoute-t-il.
Brumes, Funérailles, et Préludes dans la seconde partie
On passe dès le début de la seconde partie en Tchéquie avec « Dans les brumes », magnifié autrefois par David Kadouch, qui, comme l’a fait remarqué le musicologue Olivier Lexa, « reflète l’état émotionnel de Leos Janácek en 1912, alors en pleine remise en question de sa capacité à créer». «Le compositeur, poursuit-il, part ainsi à la recherche de toute une constellation de sources d’inspiration différentes, avec lesquelles tranche l’unité stylistique des Funérailles de Liszt.» Et de conclure : « Cette 7e pièce du recueil intitulé Harmonies poétiques et religieuses date d’octobre 1849 et constitue une réponse à l’écrasement de la révolution hongroise de 1848 par les Habsbourg. Elle a aussi souvent été interprétée comme un hommage à Frédéric Chopin, décédé le 17 octobre 1849, ce que semblent accréditer les réminiscences de la Polonaise héroïque op. 53 de ce dernier. »
Mêlant Janacek, Liszt et Scriabine, compositeurs qui de l’aveu même de Alexander Malofeev « n’ont pas grand-chose en commun de prime abord », le pianiste avoue être « fasciné par l’expressionnisme qu’ils ont développé, sans jamais collaborer entre eux. » C’est là encore joué d’un seul tenant et on est subjugués par autant d’intériorité et de virtuosité associées. Une « Fantaisie, op. 28 » composée par Scriabine pour conclure ce moment de musique rare donné dans l’écrin du Darius Milhaud d’Aix avant des rappels d’une beauté à couper le souffle, dont l’ultime consacré à un morceau de Haendel d’une poésie infinie.
Jean-Rémi BARLAND