« Marseille républicaine ».  Une Génération pour Marseille lance une plateforme de soutien à ceux qui combattent le crime organisé

Au lendemain des obsèques de Mehdi Kessaci, assassiné à Marseille, Une Génération pour Marseille lance la plateforme numérique Marseille républicaine  espace de soutien à tous ceux qui, au quotidien, combattent le crime organisé : forces de l’ordre, magistrats, associatifs, journalistes, soignants, élus… Président  du collectif, Romain Simmarano explique pour Destimed le sens de cette initiative, son fonctionnement, les garanties apportées en matière d’anonymat, et le message adressé aux Marseillais à quelques mois des municipales.

 

Destimed Romain SIMMARANO
Romain Simmarano, président de “Une génération pour Marseille” © Joël Barcy

Destimed : La mort de Mehdi Kessaci a profondément marqué Marseille. En quoi cet événement a-t-il été, pour vous, un point de bascule qui justifie la création de Marseille républicaine ?

Romain Simmarano : C’est un point de bascule parce que, pour la première fois, on s’en prend à la famille d’un homme engagé, militant associatif et politique contre le narcotrafic et ses ravages. Pour la première fois, on a commis ce que le procureur de la République a qualifié de « crime d’avertissement ». Cela réveille des souvenirs pour beaucoup de Marseillais, que ce soit ceux des années 70 ici ou ceux de familles venues d’Italie, qui connaissent ce type de menaces. D’où la nécessité de rappeler que Marseille, c’est d’abord la République.

Quand vous dites pour présenter la plateforme  « Marseille est républicaine, une et indivisible », qu’est-ce que cela recouvre concrètement dans la ville d’aujourd’hui ?

Cela signifie que nous avons une responsabilité générationnelle : retisser la Marseille que nous avons connue, celle où, dans une même classe, des Arba, des Elkaïm, des Simmarano vivaient ensemble sans se définir d’abord par leurs origines. On se parlait de choses de la vie, pas d’identités figées, et on partageait Marseille. Aujourd’hui, il faut, avec patience et dignité, refaire ce lien. Et pour moi, cela passe par l’amour de la République: la République protectrice, celle de l’égalité des chances, celle qui donne envie de s’engager. C’est le socle de mon engagement politique

Comment fonctionne la plateforme marseille-republicaine.fr : qui peut y écrire, que voit-on, que devient la parole recueillie ?

C’est très simple : un prénom, un texte, on clique sur « envoyer ». Tous les Marseillais, de tous les quartiers et de toutes les sensibilités, peuvent écrire pour dire à ceux qui se battent contre le crime organisé -forces de l’ordre, magistrats, associatifs, journalistes…- qu’ils ne sont pas seuls. On parle beaucoup depuis ce drame, mais on oublie parfois ceux qui ont fait de ce combat le fil de leur vie. Nous ne prétendons pas tout changer, mais nous avons le devoir de leur dire : « Marseille est avec vous. »

Vous insistez sur l’anonymisation, l’absence de récupération de données. Pourquoi ce choix et comment le garantissez-vous ?

Parce que nous sommes dans une période où certains tentent déjà d’utiliser ce drame à des fins politiciennes. Il était donc essentiel de pouvoir dire: nous ne récupérons aucune donnée et nous n’en tirons aucun bénéfice. Concrètement, nous ne demandons qu’un prénom – réel ou non- et un texte. Ni mail, ni téléphone, ni cookie de ciblage. Il n’y a rien à exploiter, même si on le voulait.

Comment sont modérés les messages ? Y a-t-il des contenus refusés, et selon quels critères ?

Oui. Tout ce qui est contraire aux valeurs de la République est refusé, tout comme les messages purement politiciens ou injurieux. Nous voulons que cette plateforme soit un lieu où un policier, un magistrat, un journaliste, un associatif un peu apeuré puissent venir lire des mots de soutien, pas un champ de bataille politique. Nous assumons donc pleinement la modération.

Nombre de lecteurs peuvent se dire : une plateforme de soutien, c’est bien, mais face au narcotrafic et aux assassinats, cela reste très symbolique. Qu’est-ce que vous leur répondez ?

Que c’est une brique dans un pont qu’on doit construire. Évidemment, cela ne remplace pas la lutte opérationnelle contre le crime organisé, qui repose sur des professionnels engagés au long cours. Mais affirmer que Marseille est aux côtés de ceux qui mènent ce combat, c’est crucial, à un moment où certains voudraient faire passer la ville pour déjà perdue. Or, l’écrasante majorité des Marseillais refuse cette fatalité. Cette plateforme sert à le dire, comme on l’a fait pour les soignants pendant le Covid : montrer que la masse silencieuse soutient celles et ceux qui sont en première ligne.

Quel lien faites-vous entre cette initiative et le travail quotidien des forces de l’ordre, des magistrats, des éducateurs, des associations ?

Hier soir, j’ai croisé le regard d’un officier de sécurité chargé de protéger Amine Kessaci. Je me suis demandé : « Est-ce qu’il se sent soutenu, lui aussi dans sa prise de risque quotidienne?»Est-ce qu’il se dit : « Les Marseillais sont avec moi » ? La plateforme veut apporter cette réponse : leur dire qu’une grande partie de la ville est derrière eux.

Est-ce que cette plateforme a déjà produit des effets concrets : connexions entre acteurs, mobilisation, plus de paroles ?

Il est trop tôt pour le mesurer, elle existe depuis quelques heures seulement. Mais nous avons déjà plusieurs centaines de messages. Cela montre au moins une chose : les Marseillais ont envie de prendre la parole pour dire qu’ils choisissent la République.

Vous citez Amine Kessaci et d’autres acteurs de terrain. Comment ont-ils été associés au projet ? Ont-ils été consultés en amont ou mis devant le fait accompli ?

Nous les avons naturellement informés, mais nous ne voulons pas faire peser sur eux une démarche de communication supplémentaire, dans un moment de deuil. Amine Kessaci a sa propre parole, qu’il exprime dans les médias. Nous ne voulons ni la récupérer, ni la parasiter. L’idée, au contraire, est de rester à distance de toute exploitation politicienne de ce qu’il traverse.

Avez-vous prévu des passerelles entre cette plateforme numérique et des actions sur le terrain : rencontres, temps d’échanges, geste symbolique ?

Oui, nous y pensons. Mais nous voulons d’abord voir comment les Marseillais s’emparent de la plateforme. Une chose est déjà décidée : réaliser, à terme, un recueil de ces mots pour le remettre à ceux qui sont directement concernés. Sans communication tapageuse. Simplement pour leur dire : « Voilà ce que les Marseillaises et les Marseillais ont voulu vous dire. Voilà les messages qu’ils vous adressent. »

Est-ce qu’il y a déjà eu des messages de personnes se disant directement en danger ?

Il y a des messages de gens qui disent avoir peur de l’évolution de la ville, oui. En revanche, aucun message ne relève, à ce stade, d’une peur personnelle précise. Et je tiens à le dire clairement : même si je crois à l’utilité de la plateforme, ce n’est pas une plateforme d’appel à l’aide. Elle est anonyme, et il nous est impossible de retracer l’expéditeur. Ce ne serait donc pas le bon endroit pour signaler un danger personnel. Nous ne pourrions pas revenir vers la personne, ni l’aider concrètement.

« Une Génération pour Marseille » est un collectif clairement positionné politiquement, tourné vers les municipales de 2026. Comment éviter que Marseille républicaine soit perçue comme un simple outil de pré-campagne ?

D’abord, par le dispositif lui-même : aucune donnée n’est collectée, aucun fichier n’est constitué. On ne peut pas en faire un outil électoral, même si on le voulait. Ensuite, parce que la démarche est ouverte à tous et pensée comme transpartisane. D’où que l’on vienne, quoi qu’on pense, l’idée est de se retrouver sur un point commun : la République. Dans une période de campagne, il me semble salutaire d’avoir au moins une initiative qui cherche à tisser plutôt qu’à opposer. C’est tout l’inverse d’un instrument de pré-campagne. C’est quelque chose que nous mettons à la disposition des Marseillais, qui ne nous servira à rien électoralement, mais qui peut, peut-être, rallumer quelque chose dans le lien qui nous unit.

Avez-vous proposé à d’autres sensibilités politiques de s’y associer ou de co-signer la démarche ?

Non, car justement nous ne voulons pas en faire un objet de coalition partisane. La plateforme est ouverte à tout le monde, mais sans logos, sans bannières. En revanche, j’ai informé l’ensemble des acteurs politiques, pour que ce soit transparent. L’idée n’a jamais été de mettre quiconque devant le fait accompli ni de revendiquer un monopole sur la République.

Nous sommes à quelques mois des municipales à Marseille. Qu’est-ce que devrait faire, très concrètement, une future équipe municipale si elle veut être à la hauteur de ce que traverse la ville ?

Le temps des propositions détaillées viendra. Notre candidate, Martine Vassal, portera dans les prochaines semaines un projet à la fois ambitieux et « à hauteur d’homme ». Ce qui change vraiment, à mes yeux, c’est cette idée : on ne peut plus prétendre gouverner Marseille depuis une tour d’ivoire, comme si une seule personne pouvait décider pour 870 000 habitants. C’est cette philosophie-là qui inspirera notre programme en matière de sécurité, de prévention, d’urbanisme, d’école.

À quel moment diriez-vous que Marseille républicaine ne sera plus seulement une réaction à l’émotion suscitée par un assassinat, mais un vrai levier de transformation ?

Nous ne prétendons pas en faire un levier de transformation à lui seul. C’est une contribution, pas une solution miracle. Les véritables leviers se jouent au niveau politique et citoyen, dans la durée. En revanche, si nous arrivons à recueillir, par exemple, 10 000 mots de soutien adressés à ceux qui mènent ce combat, ce sera déjà un signe très fort : celui d’une ville qui a encore en elle l’énergie nécessaire pour se défendre.

Si vous aviez une phrase à adresser à un jeune Marseillais qui se dit que le crime a déjà gagné, ce serait laquelle ?

Je lui dirais que le pire n’est jamais certain. Et qu’il n’y a que par l’action et l’engagement qu’on se donne une chance d’y arriver. Nous lui tendons la main pour y arriver ensemble. La politique, qu’on critique beaucoup, reste malgré tout le dernier moyen de changer la vie et de gagner des batailles comme celle-ci. Nous avons une responsabilité générationnelle et politique de ne pas céder à la fatalité. Alors oui, je le répète : nous tendons la main pour y arriver ensemble.

Propos recueillis par Patricia CAIRE

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