Les mots contre la barbarie ou Jean Valjean, Javert et « la question juive » par Hagay Sobol
A l’occasion de la sortie en salle d’une nouvelle version cinématographique du chef d’œuvre de Victor Hugo, « Les misérables », mesurons, à l’aune de l’actualité, combien les grands classiques de la littérature peuvent illustrer la condition des juifs et de ce qu’elle a d’universel.
Si les textes des grands auteurs sont intemporels, les médiocres plumitifs doivent tordre les faits afin qu’ils correspondent à leur triste prose et traiter de sujets en vogue pour bénéficier d’un peu de lumière. Ainsi, de nos jours, « si t’es pas Gaza, t’existes pas » ! A l’opposé de ce miroir déformant, le vécu des personnages de l’œuvre phare de Victor Hugo, « Les misérables », illustre parfaitement celui des juifs en France et ce qu’il a d’universel. Ce qui arrive à cette minorité aujourd’hui pourrait bien être le lot de tous prochainement si l’on n’y prend pas garde.
Jean Valjean ou le choix de son destin
Jean Valjean, personnage central des « Misérables » de Victor Hugo, est l’archétype du héros positif. Par sa force morale, ses choix et ses rencontres, il va tordre le destin qui lui était assigné de par ses modestes origines. Il se réinvente totalement et évolue au gré des événements et des défis auxquels il est confronté. Tout au long du roman, il poursuit une lutte incessante contre l’injustice, quitte à se mettre lui-même en danger au nom de cet idéal qui sera désormais son guide.
Tout commence par un pain qu’il vole pour survivre. Cela le conduira au bagne pour 19 ans. Victime d’une justice implacable, il devient un paria. L’acte de miséricorde de Monseigneur Myriel, évêque de Digne, lui pardonnant le vol de son argenterie, va tout changer. Il découvre qu’il peut emprunter une nouvelle voie et que ce sont ses actes qui paveront son avenir et celui des autres.
Après avoir changé de vie, sous l’identité de Monsieur Madeleine maire de Montreuil-sur-mer, sa détermination sera mise à rude épreuve. Mais il n’hésitera pas à sauver un de ses administrés coincé sous une charrette, dévoilant par sa force exceptionnelle son passé de forçat, sous les yeux de l’inspecteur de police Javert, ou en se dénonçant pour éviter qu’un inconnu soit accusé à sa place.
En adoptant Cosette, fille de Fantine, ouvrière réduite à la prostitution, il changera sa destinée. Il en sera de même pour Javert, lancé à sa poursuite, en lui sauvant la vie sur les barricades de Paris. Jean Valjean est une figure moderne, à la fois complexe, dynamique, résiliente et altruiste. Sa révolte contre l’adversité, il la transforme en énergie positive pour construire, donner un sens à sa vie et à celles des autres.
Javert ou la loi sans humanité
A l’inverse, Javert, l’inspecteur de police, est un individu tragique et monolithique. Né dans une prison, on peut dire que mentalement il n’en est jamais sorti. Sa haine des criminels travestit sa quête de justice en une sorte de vengeance contre son propre acte de naissance. Pour lui personne ne peut changer. Les criminels le resteront toute leur vie. Il n’y a ni rédemption ni pardon. C’est l’incarnation d’une justice totalitaire ne laissant aucune place à l’humain et qui n’évolue jamais. Elle s’exerce dans un cadre rigide et impose aux individus un statut irrévocable. Cette conception n’est pas sans parenté avec celle prônée par Alexis Carrel dans « L’homme cet inconnu » (1). Bien que prix Nobel de médecine, il postule l’inégalité biologique des hommes. Se faisant l’apôtre de l’hérédité sociale et de l’eugénisme, il sera une source d’inspiration pour les nazis et son ouvrage deviendra un best-seller sous l’occupation. Tout comme Javert, cela mènera à une impasse. Ce dernier, insensible aux faits, traque sans relâche Jean Valjean. Et quand l’ancien bagnard lui sauve la vie, plutôt que de s’amender et d’évoluer, il met fin à ses jours. Il ne peut supporter une réalité incompatible avec sa vision du monde.
Juif, telle est la question !
Il est paradoxal de constater que de l’inquisition au nazisme, ou de Marx à Sartre, le mot « question » quand il est associé aux juifs, est souvent une affirmation. Alors que l’interrogation et l’étude, induisant une multiplicité de points de vue, et son corollaire le débat permanent, sont les moteurs du peuple de Moïse. Ce qui peut se traduire de la manière suivante : « Pour ceux qui le sont, juif est une question, pour les antisémites une affirmation » (2).
A l’image de l’univers, le fait juif est un processus dynamique, complexe et évolutif. Maintenir la cohésion d’un groupe dont la diversité est la marque de fabrique, revient à rechercher constamment un équilibre entre des forces opposées, telles que la tradition et la modernité, l’individuel et le collectif ou l’universel et le particulier.
Cette complexité est également abordée sous l’angle juridique. Faisant le constat que l’Humanité, de par sa nature faillible, ne pouvait exister sous le règne d’une seule Loi, ni même se soumettre à 10 paroles absolues, 613 mitzfot ou commandements ont été érigés, dont certains sont contradictoires ou qui ne peuvent être appliquées en même temps. Ce qui impose réflexion éthique, discernement et jurisprudence pour un bon usage du droit.
Tout comme Jean Valjean, les juifs sont régulièrement confrontés à un environnement qui ne capte qu’une partie de cette complexité, plus ou moins déformée, et qui en fait une vérité figée et absolue. C’est un peu comme si, à partir d’un film on ne retenait qu’une seule image. Et par des lois spécifiques on les met d’abord dans des cases, des ghettos, puis des bagnes ou des camps pour tenter de les faire disparaitre. Cela peut être physique ou des versions transposées comme le boycott et la « cancel culture ».
Face à ces vicissitudes millénaires, au lieu d’en vouloir à la terre entière, le peuple juif s’est adapté pour survivre. Il s’est intégré sans se renier, et a continué à partager ses valeurs, ses idées et ses innovations. Il s’en est trouvé à toutes les époques et en tous lieux pour se révolter contre la tyrannie de pharaon jusqu’au Tzar de toutes les Russies ou pour faire évoluer le droit. Il n’est qu’à penser à Simone Veil ou Robert Badinter.
Du particulier à l’universel
Dans les suites du 7 octobre, la guerre à Gaza a été le prétexte d’une déferlante antisémite inouïe, sous couvert d’antisionisme. Les digues ont cédé, les médias se sont fait le relai du Hamas conditionnant une jeunesse en mal de grandes causes, et bien des politiques ont suivi le mouvement par crainte ou calcul politique.
Depuis le cessez-le-feu négocié par Donal Trump, entre l’Etat hébreu et le groupe terroriste, loin d’assister à un soutien unanime à la paix, on entend désormais scander dans les rues : « à bas Israël, l’Amérique et les occidentaux » et le refus du désarmement de la milice islamiste qui depuis règle ses comptes avec les Gazaouis ne l’ayant pas soutenu. C’est la démonstration que pour certains, des Frères musulmans aux réseaux russes, ainsi que leurs relais, le soutien à la cause palestinienne n’est qu’un cheval de Troie pour porter atteinte à nos valeurs communes.
Comme par le passé, les juifs ne sont jamais que les premières victimes de la haine et du totalitarisme qui ensuite touche tous les autres. C’est la lutte existentielle entre tous les Jean Valjean et tous les Javerts. Pour que nous ayons un avenir, comme les héros du roman de Victor Hugo, nous devons remporter la victoire par l’union de tous les modérés contre les extrémistes et les obscurantistes.
1 Alexis Carrel, « L’homme cet inconnu » – Plon.
2 Hagay Sobol, L’antisémitisme, cette convergence des haines qui vient de loin, in « Critique de la déraison antisémite » – Ed. Intervalles, Dis. Les Belles Lettres
Hagay Sobol, Professeur de Médecine est également spécialiste du Moyen-Orient et des questions de terrorisme. A ce titre, il a été auditionné par la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée Nationale sur les individus et les filières djihadistes. Ancien élu PS et secrétaire fédéral chargé des coopérations en Méditerranée. Il est Président d’honneur du Centre Culturel Edmond Fleg de Marseille, il milite pour le dialogue interculturel depuis de nombreuses années à travers le collectif « Tous Enfants d’Abraham ».
Article en partenariat avec Art&Facts : LE LANGAGE, au début était le verbe : des mots pour dialoguer et mettre fin à la violence. Le numéro 1 d’Art&Facts, le magazine de l’Art, où l’esthétique rencontre l’éthique et l’actualité. Avec Yana Grinshpun, Guy Konopnicki, Bérangère Viennot, Jean-François Strouf, Hagay Sobol, Lise Haddad, Simona Esposito, Sarah Scialom, Jasmine Getz, Bernard Désormière…
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