Malgré un huitième trimestre consécutif de baisse de chiffre d’affaires pour les TPE-PME de Provence-Alpes-Côte d’Azur, l’heure n’est pas seulement au constat mais à l’action. Si des secteurs comme la restauration, le bâtiment ou le transport restent en difficulté, d’autres montrent déjà des signaux de reprise. Pour Nicolas Férand, président du Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables Provence-Alpes-Côte d’Azur, la transition numérique et les démarches de durabilité offrent des opportunités concrètes pour anticiper, ajuster et rebondir. Aux côtés des dirigeants, les experts-comptables entendent transformer cette période de tensions économiques en levier d’innovation. Entretien.

Destimed: Vous parlez d’un huitième trimestre consécutif de recul d’activité pour les TPE-PME de la région. Comment décririez-vous aujourd’hui la situation économique des entreprises en PACA ?
Nicolas Férand: La situation des TPE-PME est clairement préoccupante. Les chefs d’entreprise n’ont pas le moral. Ils ont le sentiment que nos gouvernants « jouent à la baballe » avec la fiscalité : on ajoute une taxe, on en enlève une autre, puis on la rétablit… Bref, on joue un peu avec leurs nerfs. Le moral était déjà entamé l’an dernier, quand nous avons attendu la loi de finances pendant des mois sans savoir « à quelle sauce on allait être mangés ». Cette incertitude permanente est anxiogène. Et un chef d’entreprise qui n’a pas le moral n’a ni envie d’investir, ni envie d’aller de l’avant. Il freine, il repousse ses projets, il se recroqueville. Aujourd’hui, beaucoup ont même le sentiment d’être pris pour des imbéciles. Forcément, dans ce contexte, la confiance est très basse.
Ce recul ne serait-il pas simplement un palier d’adaptation, plutôt qu’un véritable changement de cycle ?
Non, je pense que l’on soit sur un vrai changement de cycle. On parle beaucoup de fast fashion, d’achats sur Internet, de consommation locale… On a dans la région un bon exemple avec les Hautes-Alpes : ce département maintient son chiffre d’affaires et son activité, notamment parce que les habitants consomment local, défendent leurs entreprises, valorisent le terroir. Visiblement, cela fonctionne. Il faut donc que l’on se pose les bonnes questions dans les autres territoires. Ce mouvement vers le local est en route, et des chefs d’entreprise essaient de le porter : travailler ensemble, sur le territoire, pour surperformer, parce que la région a beaucoup d’atouts. À mes yeux, ce n’est pas un simple palier : on est bien dans un changement de modèle.
On observe des écarts entre les territoires. Comment expliquez-vous ces contrastes ?
Le troisième trimestre a été partiellement sauvé par les mois de juillet-août : la saison estivale a été globalement bonne. En revanche, le mois de septembre a été très compliqué. Les disparités se jouent surtout entre départements. La Côte d’Azur tire bien son épingle du jeu grâce au tourisme, ce qui permet de compenser la baisse d’activité. Les Bouches-du-Rhône, moins dépendantes du tourisme, subissent davantage la contraction de la demande, avec une baisse plus marquée.
Plusieurs secteurs sont en difficulté : restauration, bâtiment, transport, débits de boissons… Pourquoi ?
Dans la restauration, le consommateur consomme moins. Il va moins souvent au restaurant et, lorsqu’il y va, il dépense moins : les tickets moyens sont en baisse. Dans le même temps, les restaurateurs subissent depuis trois ans une hausse forte du coût des matières premières et des denrées alimentaires. Ils ont été obligés de répercuter ces hausses sur leurs prix. Les plats ont augmenté, alors que les consommateurs, inquiets pour l’avenir, se montrent plus prudents : on prend un café plutôt qu’un soda ou un Perrier en terrasse;au restaurant, on se limite au plat sans dessert; on réduit les extras. Cela a pour conséquence un chiffre d’affaires en baisse, alors que les charges continuent d’augmenter. Les assurances n’affichent jamais de baisse de tarif, au contraire : +3 à +4 % par an. L’énergie a également fortement augmenté. L’étau se resserre. D’où l’urgence d’un vrai signal politique pour restaurer la confiance. Aujourd’hui, cette confiance en l’avenir manque cruellement.
Ne pensez-vous pas que certains modèles économiques doivent être repensés en profondeur ?
Il y a clairement un modèle à repenser : celui des aides en France. On a empilé les dispositifs au fil des années, comme les couches d’un millefeuille devenu complètement indigeste. Plus personne ne s’y retrouve. Notre économie fonctionne, mais elle fonctionne sous perfusion d’aides. C’est problématique. On ne peut pas durablement faire tourner un pays sur des mécanismes d’exception.
Quelles pistes proposez-vous pour sortir de cette logique de perfusion ?
Si on coupe progressivement la perfusion des aides, cela doit servir à réduire les charges sociales. En baissant ces charges, on fait mécaniquement baisser le coût de la consommation et le coût du travail. Les taxes et contributions sociales (CSG, etc.) ne servent pas uniquement à financer la santé et les retraites ; elles financent aussi une multitude de dispositifs d’aides. Certains sont parfaitement légitimes : il est dans l’ADN de notre pays de ne pas laisser les gens dans la rue. Mais il y a aussi beaucoup d’effets d’aubaine, et cela plombe nos comptes. Au final, on surtaxe pour surdonner, et je pense qu’on donne trop et surtout pas toujours au bon endroit.
Vous insistez sur le fait qu’il ne faut pas lire les chiffres de ce troisième trimestre comme un constat d’échec, mais comme des indicateurs d’ajustement. Qu’entendez-vous par là ?
Nous ne sommes pas face à un effondrement brutal. On ne s’est pas pris un mur. Ce qui est inquiétant, c’est la durée : trimestre après trimestre, la baisse se poursuit. Quand on cumule près de deux ans de recul, cela fait beaucoup. Cela reste une pente douce, mais continue. Et cette phase coïncide avec la fin du « quoi qu’il en coûte ». On est donc, en partie, dans une vague d’ajustement : le marché reprend ses droits après une période très artificielle. Le problème, c’est que ce marché reste lui aussi largement perfusé. On n’est pas dans une situation totalement transparente ou saine.
Votre rôle d’expert-comptable, dites-vous, est de transformer les difficultés en leviers d’innovation. Concrètement, comment accompagnez-vous une TPE qui se sent sous pression ?
Quand une TPE est sous pression, c’est l’occasion de faire un diagnostic : un mini audit pour identifier forces et faiblesses, et construire une stratégie. Concrètement, on commence souvent par une « chasse aux coûts » : revoir les abonnements, les dépenses récurrentes, remettre un peu de bon sens dans la gestion. Cela permet d’y voir plus clair. On retravaille aussi fréquemment les prix de vente. Beaucoup d’entreprises n’ont pas actualisé leurs tarifs depuis longtemps, alors que leurs coûts ont augmenté. Rien que ce travail peut déjà changer la donne.
Vous présentez la transition numérique (facture électronique, outils de pilotage, intelligence artificielle souveraine) comme un moteur de croissance. Quels bénéfices une petite entreprise peut-elle en tirer à court terme ?
À court terme, une entreprise accompagnée par un expert-comptable va bénéficier d’un suivi de gestion beaucoup plus rapproché. Grâce à la facture électronique et aux outils d’IA, nous allons recevoir l’information plus vite, quasiment en temps réel. Là où nous étions contraints par le délai de réception des pièces pour la TVA – souvent en fin de mois –, nous pourrons désormais proposer des analyses de gestion mensuelles, voire plus fréquentes. Cela change tout : nous pourrons appeler nos clients rapidement, leur dire par exemple : « Le mois dernier, j’ai vu tel écart, telle évolution. Est-ce normal ? Qu’est-ce qui se passe ? » Et agir plus tôt, au lieu de constater les dégâts a posteriori.
Que répondez-vous aux dirigeants qui voient la facture électronique comme une contrainte administrative supplémentaire ?
La facture électronique, c’est avant tout une mise en conformité. Oui, cela va obliger certains à s’équiper d’un logiciel de facturation agréé, capable d’émettre des factures au format Factur-X. Mais une fois cela en place, le reste de la gestion quotidienne ne change pas fondamentalement : on continue à suivre ses règlements clients, à gérer sa trésorerie… La vraie différence, c’est la qualité et la rapidité de l’information, et les possibilités de pilotage qui en découlent.
Vous voulez faire de 2026 « l’année du rebond durable » et mettez en avant la RSE. Qu’est-ce que cela signifie pour une TPE-PME de la région ?
Nous voulons aider les TPE-PME de la région à identifier et suivre quelques indicateurs simples en matière de RSE, de durabilité et de qualité de vie au travail. L’idée, c’est de s’inscrire dans la durée. Nous sommes convaincus que, dans les années à venir, banques et financeurs demanderont de plus en plus ce type d’informations. Il vaut mieux s’y préparer dès maintenant. Ce qui compte, ce n’est pas seulement de faire un bilan carbone pour dire: « Je consomme X kg de CO₂ par an ». Ce qui est important, c’est l’après : quelles initiatives je prends pour réduire cet impact, pour améliorer la qualité de vie au travail de mes salariés, et comment je mesure l’efficacité de ces actions.
Comment convaincre les dirigeants que la durabilité n’est pas un coût, mais un investissement stratégique ? Quels sont les principaux freins que vous rencontrez ?
Pour beaucoup de petites structures, la RSE n’est pas palpable. Ils résument cela à la durabilité et se disent : « Je vais prendre une voiture électrique et j’aurai fait ma part ». C’est une vision très réduite. La RSE, c’est beaucoup plus large : cela peut être offrir un jour de congé supplémentaire, proposer des cours de sport aux salariés, mettre en place des horaires aménagés, travailler sur l’inclusion, la formation… Le champ est immense. Le frein principal, c’est qu’ils y voient d’abord un coût. À nous, ensuite, de les aider à définir des indicateurs pour mesurer en quoi ces actions améliorent la performance de leurs équipes et, in fine, leur compétitivité.
Dans une période où les indicateurs sont fragiles, vous dites choisir « le camp de l’action, de la confiance et du mouvement ». Quel message voulez-vous adresser aux chefs d’entreprise de la région qui traversent cette période d’inquiétude ?
Je leur dis : « N’hésitez surtout pas à décrocher votre téléphone et à appeler votre expert-comptable. Venez nous voir avant que la situation ne se dégrade trop.» On va chez le médecin souvent trop tard, quand on sait déjà où on a mal. Alors que l’idéal, c’est d’y aller dès qu’on sent que quelque chose ne va pas. Pour l’entreprise, c’est pareil : demander un point, une situation intermédiaire, un diagnostic. Oui, cela a un coût, mais c’est un mal nécessaire pour éviter de tout perdre demain. C’est de la prévention, et c’est exactement notre rôle.
Quels sont les secteurs qui résistent ou repartent à la hausse ? Que révèlent ces signaux positifs ?
On voit quelques signaux positifs dans l’immobilier, l’aménagement paysager, l’eau, l’électricité. Dans l’immobilier, c’est un rebond technique : le secteur avait touché le fond. Avec une légère baisse des taux et un marché qui se réveille, les transactions reprennent. C’est mécanique. Pour l’eau, l’électricité, l’aménagement paysager, on est beaucoup sur de la dépense contrainte : réparer une fuite, mettre une borne pour une voiture électrique, abattre un arbre dangereux, réaliser un gros entretien annuel… L’activité repart, mais ce n’est pas forcément un signe de pérennité, plutôt un rattrapage de travaux nécessaires. Tant que le bâtiment et la construction ne repartiront pas franchement, avec des permis de construire, des grands projets, le reste suivra difficilement. Le bâtiment entraîne derrière lui tous les corps de métier. Quand l’immobilier va, tout va.
Vous estimez que la responsabilité n’est pas seulement régionale mais nationale. Le contexte politique est-il, selon vous, au cœur du problème ?
Pour moi, oui. Le contexte politique actuel est très instable. On n’a jamais ce moment de sérénité qui permet de se projeter. Quand je regarde ce qui se passe au Parlement, je ne vois pas de porte de sortie claire ni de prise de conscience réelle. J’ai le sentiment que nos gouvernants sont davantage préoccupés par les élections et par leur position que par la situation des Français et des entreprises.
Le contexte international n’arrange rien non plus ?
Effectivement, il ajoute une couche d’inquiétude. Quand, il y a quelques semaines, le chef d’état-major des armées explique qu’il faut se préparer à « perdre nos enfants », cela fait froid dans le dos. Entre crise économique et risque de conflit majeur, on se demande parfois si l’on ne va pas revivre, d’une manière ou d’une autre, ce que nos grands-parents ont traversé. Si tel était le cas, malgré le recul du temps et les récits forcément édulcorés qu’ils nous en ont faits, nous serions très mal embarqués.
Propos recueillis par Patricia CAIRE



