Brexit ou démocrexit ? par Eric Delbecque

Publié le 24 juin 2016 à  14h28 - DerniÚre mise à  jour le 29 novembre 2022 à  12h31

Le vote britannique constitue un sĂ©isme d’abord politique. Les citoyens du Royaume-Uni ont brisĂ© un tabou. L’idĂ©e mĂȘme de sortir de l’Union europĂ©enne fut prĂ©sentĂ©e durant deux dĂ©cennies comme une hĂ©rĂ©sie, un acte dramatique aux consĂ©quences incalculables. Ce management des perceptions populaires par les Ă©lites ne fonctionne plus. La question n’est plus dĂšs lors de commenter sans fin le choix qui vient d’ĂȘtre fait Outre-Manche, mais de concevoir et de mettre en Ɠuvre une autre vision du projet europĂ©en. Lequel sera forcĂ©ment davantage articulĂ© sur la promotion d’une Europe des nations : aller dans la direction contraire risquerait de provoquer de nouvelles rancunes aux effets plus violents.

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DĂ©mocrexit ?

On n’en prend pourtant pas le chemin ce matin. Le niveau des commentaires se rĂ©vĂšle le plus souvent affligeant ou indigent. De nombreux politiques, journalistes, Ă©conomistes et intellectuels se livrent une nouvelle fois Ă  leur petit sport favori consistant Ă  faire la leçon aux peuples europĂ©ens. DĂšs les premiĂšres heures du jour, on entendait une vibrante dĂ©nonciation du nationalisme et du refus de l’ouverture au monde qui venait de l’emporter chez nos voisins
 Quel que soit l’avis que l’on porte sur ce vote, il ne doit pas ĂȘtre travesti : il tĂ©moigne d’abord et avant tout des impasses structurelles dans lesquelles s’est engagĂ©e l’Union europĂ©enne depuis des annĂ©es. On ne peut pas pour autant qualifier les partisans du Brexit de nationalistes. Va-t-on bientĂŽt les traiter de fascistes ? Rappelons sobrement que les Britanniques constituĂšrent le cƓur de la rĂ©sistance au nazisme entre 1939 et 1942, renforcĂ© ensuite par l’entrĂ©e en guerre des États-Unis. Le respect des peuples est condition premiĂšre du gouvernement des dĂ©mocraties
 Au moins que le dĂ©mocrexit soit Ă  l’ordre du jour?

D’autres tentent de positiver Ă©trangement en notant « qu’au moins les choses sont dĂ©sormais claires », et que cette sortie de Londres de l’Union Ă©quivaut Ă  une saine amputation qui Ă©vitera aux autres nations d’ĂȘtre « gangrĂ©nĂ©es » par l’euroscepticisme britannique ! Il est ahurissant que de tels mots soient employĂ©s pour commenter un processus parfaitement dĂ©mocratique.

L’Europe de la peur ?

Pire : un fĂ©dĂ©raliste europĂ©en convaincu explique doctement que la peur est le moteur de l’Union europĂ©enne
 Les pays du continent firent l’Europe Ă  partir des annĂ©es 50 parce qu’ils avaient peur (d’une nouvelle guerre et de Staline), et nous devons la poursuivre dorĂ©navant parce que nous sommes angoissĂ©s par : le terrorisme, les problĂšmes Ă©cologiques, Vladimir Poutine, etc.

Il faut prĂ©cisĂ©ment proposer aux citoyens d’Europe un projet qui suscite l’enthousiasme, le dĂ©sir d’avenir, qui fasse aimer l’Union parce qu’une espĂ©rance se lĂšve pour l’avenir de nos enfants ! On ne fonde rien de durable et de grand en mobilisant les peurs.

Transformons plutĂŽt cet Ă©vĂ©nement lourd de significations en une opportunitĂ© de dĂ©finir un nouveau dessein europĂ©en enracinĂ© dans des objectifs industriels, culturels ou de politique Ă©trangĂšre, et Ă©chappant Ă  la simple accumulation de normes techniques en tous genres. On pourrait par exemple rĂȘver d’une vĂ©ritable rĂ©sistance organisĂ©e au TAFTA, doublĂ©e d’une stratĂ©gie industrielle et commerciale europĂ©enne (s’appuyant sur une diplomatie Ă©conomique), ou d’une politique d’influence culturelle mettant en valeur l’hĂ©ritage des diffĂ©rentes histoires nationales et son apport au reste de l’humanitĂ©.

Ce choix britannique du Brexit porte bien entendu un message fort qu’il importe de dĂ©crypter convenablement. Les peuples europĂ©ens veulent rĂ©gler leurs comptes avec leurs Ă©lites
 Dans tous les domaines. Indiscutablement, l’extrĂȘme droite va instrumentaliser ce vote et cette tendance Ă  l’euroscepticisme dans la plupart des pays du continent. Mais la dĂ©nonciation grandiloquente du populisme ne sert Ă  rien.

En finir avec le politiquement correct, exiger des gouvernants qu’ils proposent des solutions aux vĂ©ritables questions que posent les citoyens, du chĂŽmage Ă  « l’insĂ©curitĂ© culturelle » (cf. Laurent Bouvet), en passant par la garantie de l’ordre public et la rĂ©novation de la cohĂ©sion nationale, voilĂ  le chemin le plus convaincant pour recrĂ©er un rĂȘve europĂ©en et une rĂ©alitĂ© institutionnelle communautaire adaptĂ©e aux enjeux du XXIe siĂšcle. Aucun leader dans l’Hexagone n’en esquisse encore l’ambition


Eric Delbecque, PrĂ©sident de l’ACSE, auteur de : Les chants de guerre. Par-delĂ  droite et gauche ou PromĂ©thĂ©e dĂ©livré  (Éditions du Rocher) intelligences-croisees.com
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