Entretien. « L’historiographe du royaume » de Maël Renouard : un roman exceptionnel sur le Maroc d’Hassan II – Fiction ou réalité ?

Publié le 2 septembre 2020 à  12h10 - Dernière mise à  jour le 31 octobre 2022 à  12h12

Il s’appelle Abderrahmane Eljarib. A compter du 1er septembre 1968 Sa Majesté Hassan II le nomme «historiographe du royaume». De son parcours étonnant, le faisant passer de l’exil aux lambris du pouvoir, et vice-versa, il a tiré une longue confession. C’est lui le narrateur de l’exceptionnel roman de Maël Renouard qui, publié chez Grasset, s’impose comme un des livres majeurs de la rentrée. Rencontre avec un écrivain surdoué.

Maël Renouard présente son ouvrage
Maël Renouard présente son ouvrage

Destimed: Pourquoi un roman sur le Maroc et sur Hassan II ?
Maël Renouard: J’ai trouvé, en me documentant, que c’était une matière très riche pour la littérature, un contexte historique particulier déjà romanesque en soi, mêlant à la fois, du point de vue de l’histoire, le XVIIe et le XXe siècle, et du point de vue de la géographie, l’Orient et l’Occident. J’ai voulu mettre en évidence cette atmosphère très singulière par les moyens de la littérature. C’est également un contexte historique prodigue en événements, en rebondissements, et en anecdotes liées à la vie de la cour, dans l’entourage d’un roi séducteur, spirituel, mais aussi capable d’arbitraire et de cruauté. Et j’ai créé un personnage de poète et d’historien dont le point de vue permet de mettre tout cela en lumière.

Pourquoi trouve-t-on autant de références aux «Mille et une nuits» dans votre roman?
J’ai été frappé, en lisant des ouvrages historiques sur Hassan II, de voir que quelquefois la réalité rejoignait l’univers des contes des «Mille et une nuits». Hassan II (et déjà son père, Mohammed V) se déplaçait incognito en se déguisant en homme du commun, pour sonder l’opinion du peuple, comme le calife de Bagdad dans les «Mille et une nuits ». Autre exemple : j’ai lu dans une biographie de Hassan II qu’il aurait forcé, par vengeance, la fille de l’un de ses officiers à épouser un homme très laid ; or on trouve une anecdote très similaire dans un conte des «Mille et une nuits», et l’on pourrait en trouver d’autres. A plusieurs reprises, dans le roman, j’emprunte presque textuellement des phrases des «Mille et une nuits» qui s’appliquent très bien à des situations vécues ou racontées par le narrateur.

Comment avez-vous construit votre roman ?
Il y a eu, d’un côté, les recherches dans les livres d’Histoire sur la période, les biographies de Hassan II, les livres qu’il a lui-même publiés, et aussi le visionnage d’archives vidéo du roi, sur Internet, qui sont nombreuses et dont j’ai essayé de m’inspirer dans les scènes où le narrateur est face à lui. D’un autre côté, pour donner au style de mon personnage un aspect proche de celui d’un historiographe du XVIIe ou du XVIIIe siècle, je me suis replongé dans la littérature de cette époque, et pas seulement dans les «Mémoires» de Saint-Simon ou les «Mille et une nuits» traduites par Antoine Galland. Je mentionnerai en particulier deux chefs-d’œuvre de style : Le Siècle de Louis XIV de Voltaire (qui fut lui-même, un temps, historiographe au service de Louis XV) et «Histoire d’une Grecque moderne» de l’abbé Prévost.

Votre style épouse l’époque du XVIIe siècle. Avec des allusions à l’écriture de Marguerite Yourcenar et Julien Gracq?
Ce sont deux auteurs que je lis et admire depuis très longtemps. Mémoires d’Hadrien et Le Rivage des Syrtes sont deux romans fabuleux. J’ai brièvement correspondu avec Julien Gracq il y a une vingtaine d’années, car j’ai écrit à l’époque des textes sur lui, notamment mon tout premier livre. Il y a, dans «L’Historiographe du royaume», quelques clins d’œil au Rivage des Syrtes, et mon personnage de Morgiane emprunte des traits à celui de Vanessa dans le roman de Julien Gracq. Cependant, d’un point de vue stylistique, le travail d’immersion dans la littérature classique aboutit à un résultat assez différent, au fond, à mes yeux, de l’écriture de Julien Gracq, qui, dans la double filiation de Proust et de surréalisme, est très riche en métaphores, en images, en comparaisons poétiques. C’est une caractéristique absente ou très peu présente dans la prose des XVIIe et XVIIIe siècles, qui joue sur le rythme et la précision. Il n’y a peut-être pas une seule métaphore dans La Princesse de Clèves… Une autre différence avec les deux grands romans de Yourcenar et de Gracq est qu’il y a probablement dans L’Historiographe du royaume une part de comique beaucoup plus grande, qui est liée en particulier au burlesque des situations de courtisanerie.

Quels sont les grands thèmes que vous développez et comment définissez-vous votre narrateur ?
Je préfère, en littérature, montrer plutôt que démontrer, et la recherche du plaisir du lecteur prime sur la définition de thèmes à traiter, mais il est certain que c’est un livre qui évoque le pouvoir, l’arbitraire, les vicissitudes que traversent ceux qui se trouvent dans l’entourage des rois, des chefs d’État, des «Grands», comme on aurait dit au XVIIe siècle. J’ajouterai le parallélisme des destinées, entre les époques et entre les rives de la Méditerranée. A plusieurs reprises il est fait mention des Vies parallèles de Plutarque, et c’est un motif qui court tout au long du récit. Le narrateur, justement, ressemble en partie à Paul Pellisson, qui fut historiographe de Louis XIV, et dont il découvre l’existence au cours de ses recherches. Pour caractériser mon personnage, disons tout d’abord que ses origines sociales modestes et sa très grande culture le singularisent à la cour. Il lui arrive d’être naïf, maladroit, de susciter la colère ou l’hilarité du roi ; il est ambitieux aussi, il écrit de la littérature, et caresse même l’idée, très brièvement, de se laisser porter à de hautes responsabilités par les révolutionnaires qui entrent en contact avec lui. Il a le même âge que le roi, il a été choisi, quand il était enfant, pour accompagner ce prince dans sa scolarité, et il y a entre eux un rapport complexe de familiarité et de distance, presque de rivalité gémellaire. Sa «confession», comme vous l’appelez, s’arrête en 1972, et on le retrouve à la fin, en 1999, après la mort du roi et peu avant la sienne. Il y a une grande ellipse narrative concernant ce qui lui arrive alors, mais il est cependant assez clair que sa vie va prendre un autre tour, et qu’il ne sera sans doute plus ce lettré aux mains à peu près pures dont on a suivi le récit.
Propos recueillis par Jean-Rémi BARLAND
«L’historiographe du royaume» par Maël Renouard paru chez Grasset ce 2 septembre 2020 – 332 pages – 22 €

Articles similaires

Aller au contenu principal