Publié le 24 octobre 2017 à  12h49 - DerniÚre mise à  jour le 28 octobre 2022 à  17h42
Patrice Busseuil est arrivĂ© lentement alors que nous patientions devant le portail de lâĂ©cole Ă©lĂ©mentaire de Saint-Joseph ServiĂšres, dans le 15e arrondissement de Marseille. Il actionnait un petit joystick pour faire avancer son fauteuil et la premiĂšre chose que jâai remarquĂ©e chez lui ce sont ses yeux. Dâun bleu clair dans lequel on aurait pu se noyer tant ce regard Ă©tait profond. Mais derriĂšre ses yeux jâai tout de suite senti quâil y avait des choses, plein de choses Ă dire et Ă faire. Jâavais dĂ©jĂ hĂąte de lâentendre.
Patrice est tĂ©traplĂ©gique. En 1996, il fait une mauvaise chute Ă moto. Il en sortira brisĂ© physiquement mais aussi psychologiquement. Il nâavait que 19 ans et la vie devant lui. Il a fallu quâil rĂ©apprenne Ă vivre, Ă accepter ce qui lui tombait dessus : le handicap. Il nous avouera en avoir bavĂ© pour faire le deuil dâune vie de valide, de ne plus pouvoir se tenir droit et dĂ©vorer la vie comme on le fait Ă 20 ans.
Câest en 2005 quâil est contactĂ© par la sĂ©curitĂ© routiĂšre pour intervenir dans les lycĂ©es afin de sensibiliser les jeunes gens aux risques de la route. Il raconte ses premiĂšres arrivĂ©es dans les salles de classe et le regard gĂȘnĂ© des adolescents face Ă un tĂ©traplĂ©gique puis les questions pragmatiques qui titillent les ados et que lâon peut aisĂ©ment imaginer. Patrice rĂ©pondait Ă tous sans tabous et sans honte et lentement il recommençait Ă vivre.
En 2005, il crĂ©e « Saphir 13 » pour Sensibilisation et Action pour les Personnes HandicapĂ©es, leur IntĂ©gration et leur Reconnaissance. Un joli nom pour une renaissance aux couleurs du rĂȘve, de la sagesse et de la vĂ©ritĂ©. Le bleu du saphir allait se confondre avec la couleur azur de ses yeux pour ne donner de lui que le meilleur et se mettre au service des autres afin les sensibiliser Ă la cause des personnes handicapĂ©es. En septembre 2017, il est approchĂ© par Synergie Family et commence Ă travailler pour lâassociation. Il intervient donc auprĂšs des jeunes enfants de lâĂ©cole Ă©lĂ©mentaire de ServiĂšres et notamment les Ă©lĂšves de Cours PrĂ©paratoire.
Son idĂ©e câest de sensibiliser les enfants aux conditions de vie et aux difficultĂ©s que rencontrent les handicapĂ©s. Il dĂ©bute son cours par une demi-heure de dialogue Ă bĂątons rompus avec les enfants afin de les cerner et de lever toutes ambiguĂŻtĂ©s. Patrice est positif et ne souhaite pas que le public auquel il sâadresse ait de lâempathie et encore moins de la pitiĂ© pour lui. Il rĂ©pond Ă toutes les questions que ces enfants peuvent lui poser. De la plus indiscrĂšte Ă la plus pragmatique, toutes les problĂ©matiques sont abordĂ©es par les enfants ou mĂȘme directement par lui-mĂȘme. PassĂ©e la gĂȘne et la retenue, Patrice fait soudain partie des leurs. Par son approche pĂ©dagogique, il rĂ©ussit Ă briser les Ă priori et les prĂ©jugĂ©s. Pour aller encore plus loin Patrice va mettre les enfants en situation de handicap pour les amener Ă rĂ©flĂ©chir sur le quotidien dâune personne non valide et surtout sur leurs propres regards et attitudes face aux personnes handicapĂ©es.
Câest par le jeu et lâactivitĂ© sportive quâil parvient Ă ses fins, quâil apprivoise ce jeune public habituellement dissipĂ© mais Ă©trangement calme et Ă lâĂ©coute de ce moniteur atypique. Il utilise un ton monocorde pour sâadresser aux enfants, jamais il nâĂ©lĂšve la voix. Depuis son fauteuil, il arbitre le match de Torball, un sport durant lequel les enfants ont les yeux bandĂ©s et tentent de saisir un ballon Ă©quipĂ© de petits grelots lancĂ© par lâĂ©quipe adversaire. Les enfants se passionnent en dĂ©couvrant Ă leur insu le quotidien dâun mal voyant. Mais Patrice va encore plus loin puisquâil va inviter les enfants Ă se mouvoir sur un fauteuil roulant. Sur un parcours semĂ© dâobstacles il dĂ©montre Ă ces jeunes enfants les difficultĂ©s que peuvent rencontrer les personnes Ă mobilitĂ© rĂ©duite. Lentement le regard des gamins Ă©volue, change âŠ
Les mots de Patrice remettaient de lâordre dans ma tĂȘte, dans mon crĂąne de valide. Je pris moi aussi conscience de son travail et de son courage. Pour conclure, il me confia avec un lĂ©ger sourire que cette activitĂ© avait donnĂ© un sens Ă sa vie. Je ne doute pas quâil ait compris quâil venait de donner un sens Ă la mienne comme Ă celle des ces gosses qui patientaient en lâattendant derriĂšre nous. Nous nous sommes Ă©loignĂ©es aprĂšs lâavoir remerciĂ© de nous avoir accordĂ© du temps. Jâai revu ses grands yeux bleus dĂ©bordant de joie de vivre, de courage et de force.
Jây pense encore âŠ
Marc LA MOLA