À Marseille, la Région Sud fait front contre l’antisémitisme

La Région Sud a accueilli ce mercredi 29 octobre une Agora exceptionnelle intitulée « Pourquoi toujours de l’antisémitisme et comment lutter contre ? ». Sous l’impulsion du président Renaud Muselier, président de Provence-Alpes-Côte d’Azur,  responsables politiques, intellectuels, artistes, chercheurs et représentants religieux se sont succédé pour dresser un constat alarmant et appeler à un sursaut collectif. De Renaud Muselier à Marek Halter, de Hassen Chalghoumi à Nora Bussigny, Omar Youssef Souleiman, Amine El Khatmi, Alexandre Arcady ou Bernard Valero et Alexis Leproux, les interventions ont mêlé témoignages, analyses et propositions, dans un climat de gravité et d’émotion.

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Quelque 500 personnes ont participé à l’Agora intitulée « Pourquoi toujours de l’antisémitisme et comment lutter contre ? » organisée par la région Sud © Franck Maillé

Renaud Muselier sort la boussole républicaine

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Renaud Muselier, président de Provence-Alpes-Côte d’Azur © Hagay Sobol

À l’ouverture d’une nouvelle Agora, Renaud Muselier a replacé la lutte contre l’antisémitisme au cœur du débat public, dans la continuité des forums qu’il organise régulièrement sur la pollution, l’environnement ou encore la réindustrialisation décarbonée. « Depuis le 7 octobre, il n’y a plus de débat possible. L’agressivité s’installe, l’inquiétude grandit et le phénomène s’inscrit dans une vague mondiale qui touche aussi la France. » Le dispositif se veut sans tunnel : cinq minutes par prise de parole, puis débat. L’objectif précise-t-il est de «parler à tout le monde» et retisser les fils d’une conversation civique là où la peur gagne une partie des Français juifs.

Le président de Région rappelle que l’antisémitisme « n’a jamais été aussi fort depuis des décennies », avec une hausse de plus de 200 % des actes recensés. Il met en exergue son refus d’importer le conflit israélo-palestinien dans l’espace public français. Il reconnaît l’onde de choc internationale, évoque les otages et un possible «redémarrage » du processus de paix à Gaza, mais fixe le cap : préserver la cohésion nationale. À l’heure où certaines mairies ont hissé un drapeau palestinien, lui oppose le drapeau français et la devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». « Ce débat n’est pas communautaire», rappelle-t-il.  Renaud Muselier insiste sur la liberté de culte, la sécurité des villes et le respect mutuel. Marseille, « ville-monde » métissée depuis 2 600 ans, demeure pour lui un modèle fragile : les manifestations pro-Gaza sont compréhensibles « au regard des drames là-bas », mais ne doivent pas déraper ni transposer la haine. « Ici, on se parle et on s’écoute », martèle-t-il, mettant en garde contre l’immédiateté, les jugements tronqués et les ressentiments qui abîment la République. Le président affirme avoir reçu des demandes d’annulation -pétitions et courriers « de militants de gauche, peut-être d’ultragauche ». Il dit avoir tenu bon : « Parler d’antisémitisme est essentiel », indissociable de la lutte contre le racisme et des libertés garanties par la République. À l’issue de la réunion, le président dévoilé un plan d’actions…

Le plan d’actions dévoilé

A l’issue de l’Agora Renaud Muselier a formulé des propositions concrètes, notamment en matière d’éducation et de prévention de la radicalisation, déjà engagées dans les lycées régionaux. Et il promet « des mesures et pas seulement des mots »pour desserrer l’étau

1) L’école comme antidote (2024–2028).
Avec les rectorats et le Camp des Milles, la Région étendra des parcours de sensibilisation dans tous les lycées d’ici 2028, et jusque dans les ligues sportives. Il s’agit en ligne de mire de déconstruire l’antisémitisme et le complotisme, outiller les équipes, créer des réflexes d’alerte. En parallèle, la Région a déjà formé ses agents de lycées aux signaux précoces de radicalisation : une première marche, pas l’aboutissement.

2) Les victimes, de l’isolement à l’accompagnement.
Renaud Muselier promet un circuit court pour le dépôt de plainte, en partenariat avec le tissu associatif, et une attention aux publics jeunes (lycéens, étudiants) où les humiliations et menaces se banalisent. L’objectif implicite est de sortir du réflexe de renoncement : «ça ne servira à rien» et documenter les faits.

3) “Région Sud Fraternité”, la scène commune.
Plutôt qu’un énième colloque, un dispositif permanent : représentants juifs, chrétiens, musulmans réunis dans un espace de travail pour co-produire des projets (événements, ateliers, rencontres dans les établissements). Le pari est d’institutionnaliser l’amitié civique et donner des prises à une majorité silencieuse qui ne sait plus comment s’exprimer autrement qu’en ligne.

Agora. Paroles croisées : mémoire, foi, enquête, exil, cinéma et diplomatie

Marek Halter : «L’antisémitisme, c’est la mort. Les mots peuvent désarmer »

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L’écrivain Marek Halter © Hagay Sobol

 L’écrivain Marek Halter a livré un plaidoyer mêlant mémoire, lucidité et espérance. À 89 ans, ce militant de la Paix dit être « optimiste par devoir », mais rappelle que cet optimisme « se nourrit d’un pessimisme initial » : « L’histoire nous apprend que l’homme est capable du pire comme du meilleur.» Pour l’écrivain, l’antisémitisme est « la mort, la haine ». Il rejette toute logique d’hostilité de principe : « Pourquoi détesterais-je un Juif, un bouddhiste, un musulman ? » Il cite l’enseignement d’un pape ami : « Si on t’agresse, approche-toi et demande pourquoi : les mots désarment. » Un réflexe de parole qu’il juge trop peu mobilisé. Il a aussi proposé d’explorer de nouvelles formes pédagogiques, jusqu’à l’usage de robots éducatifs pour enseigner la tolérance aux enfants : « Puisqu’on ne nous croit plus, faisons parler les machines. » Et de conclure par une métaphore : « La haine, c’est comme un tube de dentifrice : une fois sortie, on ne la remet pas dedans. » D’où un appel à agir tôt et à ne rien laisser passer  par l’éducation, le dialogue et une vigilance collective.

Hassen Chalghoumi : «Réveiller la majorité silencieuse contre la haine »

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L’imam de Drancy, Hassen Chalghoumi © Franck Maillé

L’imam de Drancy, Hassen Chalghoumi connu pour son engagement interreligieux, a livré une intervention vibrante  « Il n’y a pas un enfant qui naît avec la haine. Elle s’enseigne, elle s’alimente par le mensonge et le silence.» Dénonçant à la fois la propagande islamiste, la haine en ligne et la passivité de la majorité silencieuse, il a exhorté les citoyens à se lever : « Aujourd’hui, ce sont les Juifs. Demain, ce sera nous. La République ne peut pas rester indifférente. » Il distingue trois attitudes citoyennes : les engagés, courageux, justes ; les indifférents et silencieux ; et ceux qui basculent dans la malveillance.

S’il dénonce la flambée de l’antisémitisme, Hassen Chalghoumi pointe aussi le racisme anti-musulman et l’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien par certaines formations politiques et mouvances islamistes (dont les Frères musulmans). Mélanger islam et islamisme, ou immigration et musulmans, attise, selon lui, les préjugés et fracture le pays. Il met en exergue un triptyque d’action: L’éducation pour armer les jeunes contre la désinformation et les théories simplistes, le discours religieux promouvoir une parole spirituelle claire — « S’il n’est pas ton frère en religion, il est ton frère en humanité » pour désamorcer les stéréotypes. Hassen Chalghoumi a aussi insisté sur la responsabilité des réseaux sociaux, appelant les parents et les éducateurs à « reprendre la main sur cette jeunesse livrée aux influenceurs ».

Nora Bussigny : «Après m’avoir lue, vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas»

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La journaliste et essayiste, Laura Bussigny autrice du livre “Les Nouveaux Antisémites” © Hagay Sobol

La journaliste et essayiste, autrice de Les Nouveaux Antisémites, a témoigné de son enquête menée deux ans durant sous couverture dans les milieux pro-palestiniens radicaux. Elle montre, dit-elle  montrer, dit-elle, comment une empathie légitime pour la cause palestinienne peut être instrumentalisée par des collectifs ultra-radicaux, parfois proches d’organisations classées terroristes.

Laura Bussigny signale avoir recueilli plus d’une centaine de témoignages (élus, enseignants, militants, lycéens) et documenté des faits à Marseille, où elle dit avoir observé une dégradation du climat : tags antisémites, pressions sur des jeunes, et exfiltration d’un collectif juif (Nous Vivrons) lors de la marche du 8 mars « faute de pouvoir garantir leur sécurité ». « C’est alarmant, et c’est aussi pour cela qu’un événement comme cette Agora est primordial », insiste-t-elle.

Au fil de ses investigations, l’autrice affirme avoir identifié un glissement sémantique : des groupes qui se réclament de «l’antisionisme » verseraient en réalité dans un antisémitisme assumé et la glorification d’actes violents. Elle cite, pour Marseille et le Sud, des collectifs en phase de dissolution et évoque Urgence Palestine, soutenu selon elle par des partis politiques.

Laura Bussigny dit faire face à des menaces renforcées depuis son audition parlementaire et relie ces attaques à son profil franco-marocain et à ses prises de position : « Je suis considérée comme une traîtresse, à l’instar de l’imam Hassen Chalghoumi, harcelé pour avoir dénoncé l’antisémitisme. » Elle  plaide pour «couper le robinet» des soutiens publics : ne plus offrir de caution républicaine à des événements hébergés ou co-organisés avec des groupes visés par des dissolutions ou reliés au terrorisme. Elle appelle la justice à saisir ces dossiers.  Elle conclut par un avertissement : « Après m’avoir lue, vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas », assumant une démarche qui se veut sourcée, documentée et tournée vers l’action.

Omar Youssef Souleiman : « Je ne veux pas que la France devienne ce que j’ai fui»

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L’écrivain franco-syrien, Omar Youssef Souleiman auteur des Complices du mal ©Hagay Sobol

L’écrivain franco-syrien, auteur des Complices du mal, livre son témoignage: « En Syrie, le mot “juif” était une insulte. J’ai fui les islamistes pour trouver refuge en France. Mais je retrouve ici une ambiance de haine que je croyais avoir quittée. » Installé en France à 25 ans, il dit avoir retrouvé des ambiances radicales et rapporte avoir été agressé dans le métro parisien après Charlie Hebdo, l’assaillant le visant parce qu’il le croyait juif. C’est, dit-il, l’une des raisons qui l’ont conduit à écrire son livre.

Après le 7 octobre, l’écrivain indique s’être infiltré dans des dizaines de cortèges (organisés, dit-il, par des collectifs pro-palestiniens radicaux et des élus de gauche). Il rapporte y avoir entendu des slogans en arabe et en français encourageant le Hamas et appelant à la destruction d’Israël. Il cite des responsables associatifs qui auraient honoré «le Déluge d’Al-Aqsa » (nom donné par le Hamas à l’attaque du 7 octobre) et érigé en porte-parole légitimes ceux « dans les tunnels de Gaza ». « Dans ces manifestations, j’ai eu l’impression de ne plus être en France, mais en Syrie au début des années 2000 », résume-t-il.

Omar  Souleiman met en cause des proximities entre certains collectifs (ex. Urgence Palestine) et des mouvances islamistes, ainsi que des liens revendiqués avec des organisations classées terroristes comme le FPLP. Il cite également des élus ou figures publiques qu’il accuse de complaisance. Il insiste sur le fait que son propos « n’a rien à voir avec l’interdiction de manifester pour Gaza », mais vise « la manière dont certains organisent ces mobilisations ».

Il met en cause des proximities entre certains collectifs (ex. Urgence Palestine) et des mouvances islamistes, ainsi que des liens revendiqués avec des organisations classées terroristes comme le FPLP. Il cite également des élus ou figures publiques qu’il accuse de complaisance. Il insiste  sur le fait que son propos « n’a rien à voir avec l’interdiction de manifester pour Gaza », mais vise « la manière dont certains organisent ces mobilisations ». Pour l’auteur, l’antisémitisme n’est pas l’affaire des seuls Juifs : le tolérer ouvrirait la voie à l’islam radical et mettrait en péril l’ensemble de la République.

Amine El Khatmi : « Il faut rendre coup pour coup, par la République et la laïcité»

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Amine El Khatmi,ancien président du Printemps républicain, ex-conseiller municipal d’Avignon © Franck Maillé

Ancien président du Printemps républicain, ex-conseiller municipal d’Avignon, Amine El Khatmi a livré une intervention très politique, arrimée à son parcours et à une conception exigeante de la laïcité. Vingt ans après y avoir siégé comme lycéen, il revient au Conseil régional « pour dire aux Français juifs : vous n’êtes pas seuls ».

Marqué par Toulouse (2012) et 2015 (« Charlie », Hyper Cacher…), Amine El Khatmi rappelle les noms des victimes et martèle : « Ce n’est pas une affaire communautaire : c’est l’affaire de tous. » Il cite les assassinats d’Ilan Halimi, Sarah Halimi et Mireille Knoll pour souligner l’ampleur du traumatisme et la nécessité d’une solidarité des non-juifs.  L’ancien socialiste dénonce «une trahison» d’une partie de la gauche, qu’il accuse d’avoir abandonné la laïcité. « Ne pas nommer l’antisémitisme, c’est l’encourager. »  Il met en cause Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise (LFI), qu’il accuse de minimiser l’antisémitisme et d’entretenir un climat qui « autorise des passages à l’acte ».

Alexandre Arcady : «De l’antisémitisme résiduel à la censure déguisée»

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Le cinéaste Alexandre Arcady © Franck Maillé

Le réalisateur de L’Union sacrée et du Grand Pardon a exprimé sa colère face au climat actuel. «  Pendant quarante ans, l’antisémitisme paraissait résiduel au quotidien. Puis il y a eu un basculement », dit-il, citant l’affaire Ilan Halimi, les enfants de Toulouse, Mireille Knoll et Sarah Halimi : « On n’était plus dans l’insulte, mais dans une violence déterminée. » Alexandre Arcady décrit des freins discrets dans la filière : Son film Le Petit Blanc de la Casbah devait sortir sur 300 copies ; après le 7 octobre, la distribution avait chuté à 90 copies. « On ne dit pas “non parce que…”, mais on ne programme pas. » Sur Fausse Note (avec Benoît Poelvoorde et Kad Merad, film sur la Shoah), il  Alexandre Arcady affirme aussi avoir dû batailler pour le faire produire certains diffuseurs lui rétorquant : « Vous voulez encore faire pleurer sur les Juifs ? » « C’est abject. On parle d’histoire, pas de politique. » Il  déplore une méconnaissance croissante de la Shoah chez les jeunes.

Bernard Valero : «L’antisémitisme n’a pas de frontières»

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Bernard valero, Ancien diplomate, ex-porte-parole du Quai d’Orsay et membre du Conseil de surveillance de l’Union pour la Méditerranée © Franck Maillé

Ancien diplomate, ex-porte-parole du Quai d’Orsay et membre du Conseil de surveillance de l’Union pour la Méditerranée, Bernard Valero a appelé à « regarder au-delà de nos frontières » pour mesurer l’ampleur d’un phénomène qui frappe tous les pays européens. « Les chiffres, effrayants, sur la progression et l’intensité des discours et des actes antisémites se retrouvent partout en Europe », alerte-t-il, plaidant pour une coopération internationale soutenue, au premier rang de laquelle l’Union européenne. Il rappelle l’adoption, en 2021, de la Stratégie européenne de lutte contre l’antisémitisme et de promotion de la vie juive (2021-2030), présentée comme une réponse structurelle. Cette stratégie se décline en trois piliers, dont le premier vise à prévenir et combattre toutes les formes d’antisémitisme. Les deux autres axes portent sur la protection et la promotion de la vie juive en Europe, ainsi que sur la transmission/éducation et la mémoire, afin d’enraciner une vigilance commune. « L’antisémitisme n’a pas de frontières. La réponse ne doit pas en avoir non plus. »

Père Alexis Leproux : « Les murs n’arrêtent pas le terrorisme »

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Alexis Leproux, curé de Notre-Dame-du-Mont à Marseille et vicaire en charge de la Méditerranée © Franck Maillé

Pour, Alexis Leproux, curé de Notre-Dame-du-Mont à Marseille et vicaire en charge de la Méditerranée « les murs n’arrêtent pas le terrorisme. Seule l’amitié déjoue les pièges de la haine». Tout juste arrivé de Rome où le Pape Léon XIV a rassemblé 150 dignitaires de toutes les réligions du monde. Il rapporte que le Pape a déclaré solennellement qu’il fallait fermement « prendre position contre toutes les formes d’antisémitisme».

Entre témoignages intimes, plaidoyers politiques et propositions concrètes, les intervenants ont partagé une même conviction : « Combattre l’antisémitisme, c’est défendre la République. »

Hagay SOBOL et Patricia CAIRE 

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