Aix-en-Provence – Les Musées du Vieil Aix et du Pavillon de Vendôme sont entrés en année Cezanne 2025

En attendant le vernissage de l’exposition « Cezanne au Jas de Bouffan » au Musée Granet, les Musées du Vieil Aix et du Pavillon de Vendôme ont inauguré deux expositions dont la visite peut être un instructif prélude à la rencontre plus approfondie avec le maître d’Aix. La première pour situer le personnage dans la société aixoise en son temps, la seconde pour évoquer deux expositions qui ont fait date au milieu du siècle dernier.

Destimed Milene Cuvillier © M.E
Milène Cuvillier présente les œuvres de Joseph Ravaisou qu’elle a sélectionnées pour figurer au cœur de l’exposition « Cezanne vu d’Aix, entre légende et mémoire collective » au Musée du Vieil Aix. © M.E.

Cezanne entre rejet et affection au Musée du Vieil Aix

Paul Cezanne était-il cet artiste maudit sur lequel les gamins aixois lançaient des pierres, selon des souvenirs d’Émile Bernard ? Son œuvre était-elle réellement rabaissée pour laisser attribuer aujourd’hui ces propos à Henri Pontier, conservateur du Musée d’Aix (« baptisé » Granet par la suite) à l’époque « moi vivant, aucun Cezanne n’entrera au musée… »? N’y avait-il que des Louis Gautier et Henri Dobler (ancien propriétaire du Pavillon de Vendôme) pour dénigrer avec virulence -et jalousie ?- l’œuvre du maître d’Aix ? Chacun trouvera des réponses à ces questions en parcourant l’exposition « Cezanne vu d’Aix, entre légende et mémoire collective » dont le commissariat est assuré par Milène Cuvillier, conservatrice du Patrimoine et responsable du Musée du Vieil Aix qui accueille cette exposition.

Pour la jeune femme, il est indéniable que les relations entre Aix-en-Provence et son artiste devenu fétiche, sont longtemps demeurées tumultueuses. Mais, confie-t-elle : «Nombre de propos attribués à x ou y aujourd’hui sont déformés, voire n’ont jamais été tenus et les premières biographies de Paul Cezanne sont parfois à prendre avec des pincettes.» Et si Cezanne avait ses détracteurs, ce qui est somme toute logique eu égard au caractère novateur de son œuvre qui lui vaudra le surnom de père de l’art moderne, il fréquentait aussi de très nombreux amis, Joachim Gasquet, Achille Emperaire, Joseph Ravaisou, Louise Germain, Philippe Solari, entre autres…

Leurs œuvres, judicieusement choisies sont habilement mises en espace dans les salles du Musée du Vieil Aix et rythment une intelligente déambulation en trois temps : les milieux artistiques aixois et Paul Cezanne, la crispation anti-cezannienne, la constitution d’une mémoire locale. Cette dernière doit beaucoup à Marcel Provence, ardent défenseur du peintre et de son œuvre, à qui l’on doit notamment la préservation de l’atelier des Lauves dont il fut propriétaire jusqu’à sa mort en 1951.

Quant à la relation de Cezanne avec les aixois, pour la décrire, nous laisserons s’exprimer le journaliste du Provençal Paul Chovelon, l’un de nos premiers mentors dans la profession et dont la culture était incommensurable, qui écrivait le 1er septembre 1956 : « Par contre, il (Cezanne) était compris d’instinct par bien des petites gens qui s’enthousiasmaient pour sa peinture : le carrossier Lambeat, le menuisier Cauvet, le peintre Joseph Ravaisou, l’employé municipal (et poète) Jean Faubreton et bien d’autres qui, lorsqu’ils prenaient le train pour Marseille, retrouvaient entre Luynes et Valabre tout ce que l’artiste avait su voir, et qu’eux à leur tour, voyaient comme lui. » A l’heure de pousser la porte des lieux de vie et de travail de Paul Cezanne que sont la bastide du Jas de Bouffan et l’Atelier des Lauves et au moment de découvrir, ou redécouvrir, ses œuvres majeures au musée Granet, l’exposition du musée du Vieil Aix permet de rendre à Cezanne son humanité et la complexité de sa personnalité.

L’expo des expos au Pavillon de Vendôme

Il aura fallu attendre cinquante ans, et la commémoration de sa mort le 22 octobre 1906, pour que Cezanne retrouve une place dans l’histoire de sa ville natale. Si une première rétrospective s’était tenue en 1953 au Musée Granet, c’est sous l’impulsion de Léo Marchutz et avec la participation très active de John Rewald qu’en 1956 et 1961 le Pavillon de Vendôme allait accueillir les deux premières expositions majeures consacrées au maître d’Aix. Ironie de l’histoire, c’est entre les murs du Pavillon ayant appartenu à Henri Dobler, détracteur actif de l’œuvre de Cezanne qu’il qualifiait de « sale peinture » que se sont déroulés les deux exposition, la seconde se transformant en fait divers retentissant avec le vol jamais élucidé de huit toiles retrouvées un an plus tard à Marseille dans le coffre d’une Peugeot 404.

Une chose est certaine, au milieu du siècle dernier, le montage d’une exposition, même majeure, ressemblait à une garden partie joyeuse et détendue avec ouverture des caisses sous les platanes et devant quelques représentants de la maréchaussée chargés d’assurer la sécurité ; les photographies principalement signées du studio Henry Ely en témoignent. Des photographie accompagnées de nombreux documents de l’époque rassemblés par Christel Pélissier-Roy, directrice des Musées d’art et d’histoire de la ville et responsable du Pavillon de Vendôme, en charge du commissariat de l’exposition, ainsi qu’une restitution en réalité virtuelle des salles d’exposition de l’époque, détaillent la tenue de ces deux événements et, bien entendu, racontent par le détail le vol, dans la nuit du 12 au 13 août 1961des huit toiles dont « Les Joueurs de cartes » du Musée du Louvre. Un fait divers qui prend ici une tournure originale avec la complicité des Rencontres du 9ème art…

Demandez « Le Mystère Cezanne »…

Destimed Camille LavaudBenito Les Cranes et Les Joueurs de cartes © M.E
Camille Lavaud-Benito et l’un des panneaux de l’exposition en plein air sur le « mystère Cezanne » représentant deux des tableaux qui avaient été volés dans la nuit du 12 au 13 août 1961: « Les Crânes » et « Les Joueurs de cartes ». © M.E.

Les Rencontres du 9e art organisent chaque année le Festival BD d’Aix-en-Provence largement consacré aux œuvres de créateurs qui y sont le plus souvent présentées sous forme d’expositions en divers lieux de la ville. A l’occasion de cette année Cezanne, les Rencontres se sont associées à « L’expo des expos » au Pavillon de Vendôme pour y développer un projet autour du vol nocturne et mystérieux,  jamais résolu, des huit toiles de Cezanne en 1961. C’est l’autrice Camille Lavaud-Benito qui a mené l’enquête, documentant en profondeur son travail à partir des documents existants mais aussi en consultant les archives mises à sa disposition, notamment celles, hélas peu fournies, de la police. Camille Lavaud-Benito (prix révélation au festival international de la bande dessinée d’Angoulême en 2022 pour son album « La Vie souterraine » ) a travaillé plusieurs mois sur ce sujet « cezannien » pour livrer un journal BD sur « Le Mystère Cezanne » tiré à 25 000 exemplaires et distribué gratuitement aux visiteurs ainsi qu’une exposition en plein air à découvrir gratuitement dans les jardins du pavillon. Une façon pour le moins originale d’entrer dans le monde de Paul Cezanne par une porte dérobée…

Michel EGEA

« Cézanne vu d’Aix, entre légende et mémoire collective » jusqu’au 4 janvier 2026, au Musée du Vieil Aix, 17, rue Gaston de Saporta. Tous les jours sauf le lundi de 10 heures à 18 heures jusqu’au 30 septembre puis de 10 heures à  12 h 30 et de 13h30 à 17 heures à partir du 1er octobre. Tél. 04 42 91 88 74.

« L‘expo des expos, Cezanne au Pavillon de Vendôme en 1956 et 1961 » jusqu’au 2 novembre au Musée du Pavillon de Vendôme, 13, rue de la Molle ou 32, rue Célony. Tous les jours sauf le lundi de 10 heures à 18 heures jusqu’au 30 septembre puis aux horaires habituels du Musée à partir du 1er octobre.

Plus d’informations  cezanne2025.com

 

Une distinction nationale pour Milène Cuvillier
Milène Cuvillier, conservatrice du Patrimoine et responsable du Musée du Vieil Aix depuis juillet 2022, réalise sa deuxième exposition aixoise d’importance avec « Cezanne vu d’Aix, entre légende et mémoire collective ». La première, « Aix au Grand siècle »  lui a permis d’obtenir il y a peu le 2e prix Michel Laclotte, créé par la Fondation pour l’art et la recherche et placé sous l’égide du Comité français d’histoire de l’art (CFHA). Ce prix récompense une première réalisation remarquable d’un conservateur du patrimoine ou d’un attaché de conservation qui s’inscrit dans les domaines de recherches et d’activités de Michel Laclotte (1929-2021). Cette réalisation peut prendre la forme d’une recherche d’une certaine ampleur (publiée ou non), d’un travail muséographique ou de valorisation patrimoniale. Un prix qui, s’il récompense avant tout le travail effectué par la jeune conservatrice, met aussi en lumière la richesse du patrimoine aixois. Nos plus sincères félicitations à Milène Cuvillier.

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