Club Ethic Eco des experts-comptables. Sarah El Haïry Haute-commissaire à l’Enfance: « Il importe maintenant de sortir des logiques de silo et de penser à hauteur d’enfant»

Le Conseil régional de l’ordre des experts-comptables (Croec) Provence-Alpes-Côte d’Azur vient d’organiser un déjeuner-débat à Marseille avec Sarah El Haïry Haute-commissaire à l’Enfance, occasion de croiser les regards face à l’alerte nationale concernant les défaillances de la protection de l’enfance dénoncées par le rapport d’enquête parlementaire et ses constats alarmants.

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Sarah El Haïry Haute-commissaire à l’Enfance entourée de Nicolas Férand, président du Croec Paca et Mohamed Laqhila ancien président du Croec Paca ©DR

Mohamed Laqhila, qui a initié Ethic Eco lorsqu’il était à la tête du Croec Paca, revient sur les raisons qui ont motivé la création de ce club : «Les experts-comptables se présentent comme des experts du chiffre alors qu’ils font du droit et que la déontologie fait partie de leur ADN.» Nicolas Férand, l’actuel président de l’Ordre ajoute : « Nous avons la prétention de croire que nous sommes au cœur de l’économie et de la société puisque nous sommes un partenaire du monde associatif et nous sommes sensibilisés à la question de l’enfance. » Puis Mohamed Laqhila se souvient, lorsqu’il était député, de l’arrivée la toute jeune députée Sarah El Haïry, une littéraire, à la commission des finances : «Travailleuse, elle a très vite appris, est devenue une excellente députée avant d’entrer au gouvernement.» Elle  occupe plusieurs fonctions ministérielles, à la Jeunesse, ou encore à l’enfance, la Jeunesse et les familles. Elle a été nommée Haute-commissaire à l’Enfance le 5 mars 2025 : «Après une discussion avec le Président et le Premier ministre il est apparu, face à une crise aussi profonde, inédite, qu’il fallait trouver l’organisation la plus opérationnelle possible. Et il est apparu qu’un poste de Haute-commissaire était plus pertinent car plus protégé de l’instabilité politique et parce que l on touche là à une responsabilité partagée. L’aide sociale à l’enfance relève de la compétence des départements, la petite enfance est portée par le bloc communal, la santé infantile est une responsabilité de l’État. Certaines réalités comme la santé ou la scolarité protégée relèvent de l’État. Et nous vivons une crise majeure pour de multiple raisons».

Les données présentées  sont effectivement terribles. 400 000 enfants font l’objet d’une procédure de placement, 20% de plus qu’en 2011. Un SDF sur quatre né en France est un ancien enfant placé, 70% des jeunes de l’aide sociale à l’enfance quitte le système sans diplôme. 3 355 décisions de placements d’enfants en danger ne sont pas appliquées… Sans oublier le fait qu’il y a en moyenne un encadrant par nuit pour 60 bébés dans une pouponnière. Ce Haut-commissariat, placé auprès de la ministre chargée de l’enfance, a pour mission d’apporter son concours à la définition, la coordination, la promotion, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques conduites en matière d’enfance. La santé de l’enfant, le soutien à la parentalité, l’adoption, la petite enfance ou encore l’accueil du jeune enfant entrent notamment dans son périmètre. La haute-commissaire à l’enfance contribuera également « à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques conduites à l’égard des professionnels de l’enfance.»

« le 119 est de plus en plus utilisé »

Pour la Haute-commissaire : « Il faut rappeler que les dépenses des conseils généraux s’élèvent à plus de 10 milliards. Mesurer que nous avons une crise de l’attractivité des métiers, c’est vrai dans ces secteurs, cela l’est aussi dans l’animation, l’autonomie, l’inclusion. La question de la rémunération se pose, elle n’est pas la seule. Il y a la question de la formation, de la progression des carrières, de la reconnaissance de ces métiers. Et, puis, et c’est extrêmement positif, nous avons une société qui supporte moins la maltraitance des  enfants. » Elle note à ce propos que le 119 est de plus en plus utilisé. Rappelons que le 119 est un service dédié à la prévention et à la protection des enfants en danger ou en risque de l’être ainsi qu’aux adultes confrontés ou préoccupés par une situation d’enfant en danger ou en risque de l’être : famille proche, famille élargie, voisins, communauté éducative…. gratuit le service est disponible 24h sur 24, 7 jours sur 7.

« Sortir des logiques de silo »

Sarah El Haïry avance : « Il importe maintenant de sortir des logiques de silo et de penser à hauteur d’enfant. L’idée du Haut-commissariat est de mettre autour de la table l’ensemble des personnes qui ont un levier, une opportunité d’agir. Cela va de l’État, pour qu’il soit au rendez-vous de ses compétences, aux associations en passant par les collectivités territoriales. On doit sortir d’un système dans lequel chacun dit que cela relève de la responsabilité de l’autre.» Considère: «Il ne faut pas culpabiliser ceux qui parlent. Il faut de la prévention, intervenir auprès des familles. Il faut aussi prévenir, offrir un soutien aux parents, leur permettre de souffler, leur donner la possibilité de s’adresser à une personne de confiance.»

Sarah El Haïry soumet également l’idée «de réduire la durée du divorce lorsque l’on sait à quel point cette période peut être l’objet de tension s avec les enfants». Puis aborde le placement : « Lorsqu’il s’impose, il faut chercher des tiers de confiance car il est toujours plus doux d’être dans une famille de cœur que dans une institution. Et ce tiers de confiance on doit l’accompagner, l’aider, le former. Peut-être faut-il indemniser la famille d’accueil car toutes n’ont pas les moyens d’accueillir, un ou deux enfants supplémentaires. Il faut du lien, des racines. » A ce titre, elle en vient à la question de l’adoption : « La famille d’accueil doit être prioritaire pour l’adoption. Ce n’est pas bon pour tous les enfants mais est-ce que c’est bon de laisser un enfant jusqu’à 5 ou 6 ans en institution ? Aujourd’hui nous avons 10 000 familles adoptantes et, en face, 5 000 enfants pupilles de la Nation qui sont en situation d’être adoptés et qui ne le sont pas. Il y a quelque chose qui ne marche pas. Et si on proposait déjà aux familles un double statut d’assistants familiaux et d’adoptants -s’ils sont en capacité et s’ils le souhaitent peut être- on mettrait moins de bébés en pouponnière. »

Et , pour la Haute commissaire : «Si on veut une évolution il faut s’attaquer à ce qui ne marche pas mais aussi dire qu’il existe de très belles histoires. » «J’ai la conviction, poursuit-elle, que dans les deux prochaines années les solutions seront efficaces.» Pour Sarah El Haïry, l’urgence est qu’« il faut repenser le système. Aujourd’hui les juges pour enfant n’ont pas tous un greffier. La santé, notamment mentale, des enfants n’est pas suffisamment prise en compte alors qu’il s’agit là d’un problème de société puisque 68% des jeunes disent ne pas être bien. » La Haute commissaire n’oublie les 18-21 ans : « A cet âge on n’est pas prêt à supporter tous les coups de la vie».

Le Club Ethic Eco a réuni autour de Sarah El Haïry, un large panel d’acteurs régionaux concernés : élus du Croec Paca, représentants d’associations régionales, des fonds de dotation, des fondations d’entreprises, des services de l’État (DDETS, DRETS, Préfecture), de la justice (juges, inspecteurs), ainsi que des mécènes engagés dans la protection de l’enfance. Et, au terme du déjeuner la Haute-commissaire a pu visiter des structures afin de compléter les échanges du déjeuner/débat Ethic Eco avec des jeunes sortant de la protection de l’enfance. Elle s’est ainsi rendue à la Maison d’Enfant Charles et Gabrielle Servel, cette maison est aujourd’hui un établissement médico-social sous tutelle départementale. Depuis le 1ᵉʳ janvier 2000, elle est gérée par l’Association La Caravelle, fondée en 1979 par Élisabeth Joanon pour venir en aide aux familles en difficulté.

Michel CAIRE

Les deux premières recommandations du rapport de la commission parlementaire
Recommandation n° 1 : Créer un code de l’enfance, comportant un chapitre spécifiquement consacré à la protection de l’enfance, et un manuel de référence sur la protection de l’enfance, qui permettront de disposer d’une vision clarifiée et consolidée des droits des enfants et de la politique publique de protection de l’enfance.
Recommandation n° 2 : Sur le modèle de ce qui se pratique déjà dans d’autres pays, systématiser l’étude des expériences négatives survenues pendant l’enfance (adverse childhood events ou ACE) dans le cadre des diagnostics en santé des enfants protégés et plus globalement en faire un nouvel outil d’analyse en population générale. Inclure l’étude des ACE dans le cadre de la formation des médecins.

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