Club Ethic Eco : l’agriculture au cœur du débat

Le Conseil régional de l’ordre des experts-comptables (Croec) Provence-Alpes-Côte d’Azur vient d’organiser un déjeuner-débat à Marseille sur Éthique et Agriculture, en présence de Romain Blanchard, président de la FNSEA 13 et Olivier Nasles, président du Comité National de l’Agriculture Biologique de l’Inao (Institut national de l’origine et de la qualité) et de Mohamed Laqhila, député de la 11e circonscription des Bouches-du-Rhône, fondateur du club Ethic Eco.

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Le Club Ethic Eco a mis l’agriculture au cœur du débat en présence Mohamed Laqhila, Nicolas Férand, Romain Blanchard, Olivier Nasles, Alain Gargani, Daniel Salenc (Photo Michel Caire)

Mohamed Laqhila invite à débattre des éthiques de conviction et de responsabilité en matière d’agriculture. Il rappelle en premier lieu que « l’éthique est cette branche de la philosophie qui étudie les valeurs morales et les standards de comportement dans la société. Elle nous interroge sur ce qui est bien ou mal, juste ou injuste et cherche à guider nos actions au quotidien ». Il en vient à l’éthique de conviction « développée par Max Weber, elle se concentre sur le respect absolu des principes sans considérer les conséquences de ses actes. A l’opposé l’éthique de responsabilité prend en compte les impacts de nos actions, cherchant un équilibre entre différents intérêts et valeurs pour le bien-être collectif ». Puis, il évoque l’Europe, des continents où la lutte contre la famine est quotidienne pour souligner : «L’équilibre entre éthiques de conviction et de responsabilité est crucial pour répondre aux défis contemporains de l’agriculture».

« Pendant très longtemps l’agriculture a été considérée sous sa seule fonction nourricière »

Pour Romain Blanchard, il importe de savoir de quoi on parle lorsqu’on parle d’agriculture : «Pendant très longtemps l’agriculture a été considérée sous sa seule fonction nourricière. Aujourd’hui elle doit répondre aux besoins d’énergie, stocker du carbone, aménager le territoire… Moi je suis en bio mais, regarder en bien ou en mal les pratiques agricoles est une simplification». Olivier Nasles précise : « L’agriculture c’est aujourd’hui 1% de la population active avec une surface agricole qui n’a pas fortement baissé. Ainsi 400 000 exploitations nourrissent 65 millions  de Français et une partie du monde ». Il rappelle : « Dans les années 60 nous avons eu à connaître les excès d’une certaine agriculture et la société nous a rappelé que le productivisme use la capacité de notre terre à produire. Les agriculteurs français sont conscients que l’on ne peut plus faire n’importe quoi mais qu’il faut faire entre une productivité nécessaire pour répondre aux besoins et une vision idéalisée de l’agriculture ». Il en vient à l’eau : « C’est une c…. de dire qu’elle est gaspillée. Quand on arrose son gazon on contribue à la biodiversité. Et, si on regarde la Crau on voit que c’est la main de l’Homme qui a façonné la biodiversité sur ce territoire. Il en va de même en Camargue, si on arrête l’agriculture il ne restera que du sel ». Il aborde ensuite l’importance de l’élevage : « S’il n’y a plus d’élevage dans notre pays il n’y aura plus de bio. Je suis 100% en végétal mais je sais que s’il n’y a plus de moutons, de poules, de vaches, je n’aurais plus de quoi nourrir ma terre ». Puis de poser la question du consommateur : « Il a deux morceaux de cerveau. Un morceau veut du bio et l’autre prend des produits d’importation pas bio et pas chers. Et pendant ce temps on ne vit plus de notre travail, les agriculteurs vivent à 70% de la PAC et vendent à perte et, une partie de la profession doit travailler 80 heures par semaine pour un Smic ».

« Des gens transforment en dogmes l’éthique de conviction »

Pour Alain Gargani, président de la CPME Sud : « Des gens transforment en dogmes l’éthique de conviction. C’est un peu ce que vivent nos PME. Oui il faut des règles mais il faut en finir avec la surtransposition des normes dans notre pays, un système qui ne nous permet pas de lutter à armes égales avec nos voisins ». Romain Blanchard acquiesce : «On doit pouvoir produire dans les mêmes conditions que nos voisins. Je ne suis ni chimiste ni biologiste, quand on me dit qu’un produit est nocif et qu’il ne faut plus l’utiliser je comprends mais lorsque je vois sur les rayons des produits allemands utilisant les produits interdits en France je ne comprends plus ».  «Et puis, ajoute-t-il, il faut revoir la répartition des valeurs. Quand on dépense 100 euros pour l’alimentation il faut savoir que seulement un peu moins de 8 euros reviennent dans la ferme. Après, il faut aussi mesurer que l’agriculture, si on rencontre les bonnes personnes, peut permettre de faire des carrières épanouissantes même sans diplômes ».

« Il existe jusqu’à 5 intermédiaires entre les agriculteurs et le consommateur »

Mohamed Laqhila évoque alors le chlordécone utilisé pendant plus de 20 ans avant d’être interdit, « mais les stocks restants ont été utilisés. Le taux de cancer de la prostate est de 80% est on donne de l’argent aux pêcheurs car ils ne peuvent plus travailler le long des côtes, polluées ». Au-delà de ce cas, tragique, il interroge : « L’agriculture représente 253 millions d’euros de dépenses publiques. Pour cette somme ne serait-il pas possible de produire mieux et de meilleure qualité ? ». Olivier Nasles réagit : « L’agriculture française c’est 85 milliards à l’exportation ». Et il n’attend pas de nouvelles lois pour permettre aux agriculteurs de mieux vivre : « La grande distribution trouvera toujours un moyen de contourner les règles. Et puis il y a un autre problème, les Français dépensent moins pour l’alimentation. Là où il dépensait 22% de leur budget il y a une trentaine d’années il n’en dépense plus aujourd’hui que 14% et cela tombe à moins de 9% pour les jeunes de 20 à 30 ans. L’alimentation devient comme un dû qui n’a pas de coût. Alors l’État et l’Europe compensent mais la grande distribution prend en compte ces aides pour réduire le prix d’achat, d’une part et d’autre part nous ne sommes pas des mendiants. Et le consommateur a une responsabilité sociétale dans ce qu’il achète et le prix qu’il paie. Et que dire de l’État ? Il fixe des règles sur le consommation de bio, règles qui sont respectées par une seule cantine ministérielle, celle du ministère de l’agriculture. Et je n’oublie pas que 25% de la production est gaspillée ». Romain Blanchard tient à signaler : « Il existe jusqu’à 5 intermédiaires entre les agriculteurs et le consommateur. Il faut arriver à réduire cela et il faut se mettre d’accord, sur le moyen et le long terme, sur ce que l’on attend de l’agriculture ».

«Il faut faire de la pédagogie, expliquer comment nous travaillons sinon nous n’avancerons pas»

Daniel Salenc, Chambre des métiers et de l’artisanat 13 s’interroge: « Comment faire comprendre à la population qu’il ne reste presque plus d’industries dans notre pays et que la production de richesses vient de l’agriculture, de l’artisanat, des PME ? Comment faire comprendre que les boulangers ont accepté de payer plus cher pour avoir un blé de qualité et qu’une grande surface annonce la baguette à 5 centimes sans que le gouvernement ne réagisse ? Il faut faire de la pédagogie, expliquer comment nous travaillons sinon nous n’avancerons pas ».

Mohamed Laqhila interroge : «On demande trop à l’État alors que nous sommes dans du commerce international. On veut bien vendre au Canada mais pas de libre-échange avec ce pays. On n’ importe plus rien ? D’accord mais alors on n’exporte plus rien. Il y a trop d’intermédiaires entre le producteur et le consommateur ? mais n’est-ce pas la faute des agriculteurs qui n’ont pas su organiser des filières ? ».

« Nous ne sommes pas contre les importations nous voulons simplement une équité sociale et environnementale »

Olivier Nasles répond : « Nous ne sommes pas contre les importations nous voulons simplement une équité sociale et environnementale ». Concernant le manque de structuration du monde agricole il reconnaît que c’est vrai mais ajoute qu’«il existe des initiatives qui fonctionnent »  et cite la Fondation Avril, reconnue d’Utilité Publique par décret du 11 décembre 2014. «Elle a été créée par le monde agricole et s’inscrit dans une volonté d’agir et de s’impliquer dans les territoires ruraux et auprès de leurs habitants les plus en difficulté, en France et en Afrique, en poursuivant des missions d’intérêt général. Elle s’appuie sur l’expérience de ses fondateurs dans les domaines de l’agriculture et de l’alimentation, du développement des filières agroalimentaires, de l’innovation et de la coopération internationale ». Romain Blanchard ajoute : « Il faut bien comprendre que les producteurs et les consommateurs sont les deux maillons d’une même chaîne. A partir du moment où on comprend que nous sommes tous acteurs de la chaîne agroalimentaire  il faut que nous nous entendions sur les objectifs et les moyens à donner pour les atteindre et, alors, notre agriculture pourra prospérer ».

Nicolas Férand, président du Croec Paca insiste sur l’importance de ces clubs Ethic Eco : « Nous sommes au cœur de l’économie, du monde des affaires, nous ne sommes pas seulement la profession du chiffre et nous devons comprendre ce monde qui change afin de fournir des conseils plus éclairés à nos clients ».

Michel CAIRE

Leg Pour Mohamed Laqhila « l’équilibre entre éthiques de conviction et de responsabilité est crucial pour répondre aux défis contemporains de l’agriculture »

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