Entretien avec Arnaud Bastide, président de la FPIP : « Si rien n’est fait pour relancer le logement, on va vers un énorme problème démocratique »

Publié le 5 avril 2024 à  10h09 - Dernière mise à  jour le 8 avril 2024 à  14h14

S’il est vrai que « quand le bâtiment va tout va » on a du souci à se faire à en croire Arnaud Bastide, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers de Provence (FPIP) et président de Spirit Provence. Il alerte ainsi sur la situation du logement sur le territoire et en France, avance des propositions, invite les citoyens à mesurer que le logement est « un bien commun, un bien de première nécessité » et plaide pour que les maires soient aidés afin de retrouver un intérêt à construire. Il affiche enfin son intérêt pour l’opération « 22 territoires engagés pour le logement » dont la ville de Marseille est lauréate. Entretien.

Destimed Bastide copie
Arnaud Bastide, le président de la Fédération des promoteurs immobiliers de Provence (FPIP) © FPIProvence

Destimed : En tant que  Président de la FPIP, comment analysez-vous  la situation du logement sur le territoire métropolitain?

Arnaud Bastide :  Depuis 2020, nous avons des difficultés à obtenir des permis de construire ce qui nous conduit aux problèmes que nous connaissons cette année en matière d’offre. Et, nous savons déjà que la situation sera pire dans deux ans, sur Marseille comme sur le reste du département. Il faut mesurer que la situation de toute la filière du logement est grave.

Concernant l’immobilier la profession est en difficulté. Depuis 2022 les coûts du crédit ont explosé (+400% en 2 ans) et le coût de réalisation de nos opérations a augmenté de 30%. Ces augmentations ne peuvent être répercutées à nos clients, car eux aussi sont en difficulté avec une perte du pouvoir d’achat d’environ 25%. Cet effet ciseau nous conduit à une crise de la demande. Concernant la construction de logements, il importe de savoir que l’objectif du Programme Local de l’Habitat est de construire 11 000 logements par an sur la métropole Aix-Marseille Provence. Pour parvenir à un tel résultat il faudrait déposer un peu plus de 20 000 permis (Recours, refus, décalage divers…). Or, en 2023 nous avons réalisé 3 440 réservations et nous avons obtenu 5 764 logements. Si on sort 2 800 réservations en 2026 ce sera le bout du monde. La situation est grave et elle ne l’est pas que pour les promoteurs ou la filière. Prend-on bien conscience que les promoteurs construisent à marge zéro, voire à perte, 70% du logement social dans la région ? Mesure-t-on que nos partenaires institutionnels, ne peuvent remplacer les promoteurs privés ? Est-on conscient que la construction de logement neuf c’est l’effet papillon.

« Les prochains mouvements sociaux se feront autour du logement »

Qu’entendez-vous par effet papillon ?

11 000 logements, ce serait du logement locatif social, du logement locatif libre, de la primo-accession. Cela dégripperait l’ensemble de la chaîne sachant qu’aujourd’hui le turn-over est proche de zéro dans le parc locatif social comme le privé, que la machine est totalement grippée. La crise Covid a pourtant montré que le logement était extrêmement important, encore plus que ce que l’on pouvait imaginer.

Mais il n’y a pas une prise de conscience à la hauteur des enjeux. Les gens sont obligés de rester dans leur logement même si, il n’est plus adapté à leur situation (familiale, travail, …). Pensez également à certains couples qui sont obligés de rester vivre ensemble alors qu’ils souhaitent se séparer et tout cela car ils n’ont pas d’autres choix faute de logements.

On ne peut pas loger dans de bonnes conditions les personnes habitant sur le territoire. C’est un vrai problème de société. Il est évident pour moi que les prochains mouvements sociaux se feront autour du logement. Comment accepter que des gens, qui ont un emploi, soient contraints de dormir dans leur voiture ? En France nous avons la chance d’avoir le dispositif de l’Aide Personnalisée au Logement (APL) qui permet à des ménages à faibles revenus d’accéder ou se maintenir dans un logement. Le problème qui commence à arriver concerne les charges qui ne sont pas prises en compte, or avec l’explosion du prix de l’électricité ils sont de plus en plus nombreux à ne plus pouvoir les payer.

J’ajoute que l’on parle de grandes implantations industrielles autour de l’Étang de Berre. Très bien. On va jusqu’à évoquer 11 000 emplois directs et 40 000 emplois indirects, cela fait, à minima, 25 à 30 000 personnes nouvelles sur notre territoire. Où va-t-on les loger ? Qui voudra venir travailler ici avec tant de difficultés pour trouver un logement et à des prix d’achats ou de locations si élevés. La question du logement va être un frein pour l’attractivité économique du territoire.

Le syndrome « du dernier ferme la porte »

Est-ce, selon vous, une fatalité que de voir la crise du logement s’aggraver ?

Non, mais il faut une prise de conscience, un sursaut citoyen. Nos concitoyens sont heureux d’avoir un logement, en veulent un pour les membres de leur famille quand les enfants grandissent notamment, fondent une famille, etc. Mais, ils ne veulent pas que l’on construise. C’est le syndrome « du dernier ferme la porte ». C’est le vivre ensemble qui ne fonctionne plus. Il faut trouver les moyens pour sortir de l’égoïsme dans lequel nous nous enfermons. Vous vous rendez-compte, nous en sommes arrivés à un point où 19% des étudiants ne peuvent aller à la fac parce qu’ils ne trouvent pas de logements. Alors je me demande ce que nous n’avons pas su expliquer pour aller comme cela droit dans le mur. Il faut s’attaquer à cette question. Ensuite il y a des questions plus techniques à régler. Il faut resolvabiliser nos clients.

Nous avons formulé plusieurs propositions au niveau de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers. Parmi elles, permettre sur une courte période l’exonération partielle de droits à successions lors de la première transmission à titre gratuit d’un logement neuf acquis en Vente en l’état futur d’achèvement (VEFA). Cette mesure ferait rentrer immédiatement des recettes nouvelles de TVA (20%) dans les caisses de l’Etat, la dépense fiscale n’intervenant qu’au moment des successions, quelque 20 ou 30 ans plus tard.

Cela permettrait aussi de flécher l’épargne privée en soutien de la relance du secteur du logement. Et nous aurions là un moyen de répondre à la crise de l’offre locative en mettant de nouveaux biens sur le marché du locatif intermédiaire. Et puis pourquoi ne pas offrir la possibilité aux investisseurs privés d’intervenir dans le logement locatif intermédiaire aux mêmes conditions que les investisseurs institutionnels, c’est-à-dire bénéficier d’une TVA à 10% et d’un crédit d’impôt annuel équivalent au montant de la taxe foncière due pendant les dix premières années de détention. Le logement devant être loué pendant au moins dix ans aux conditions du logement locatif intermédiaire. Nous proposons également la mise en place d’un statut de bailleur privé, véritable dispositif pérenne d’amortissement qui permettrait de faciliter l’investissement des propriétaires dans l’ancien comme dans le neuf.

Mais comment redonner aux maires l’envie de construire ?

C’est vrai qu’actuellement rien ne pousse les maires à construire. Ces dernières années l’État a progressivement confié aux communes la responsabilité de mettre en œuvre la politique du logement sans leur en donner les moyens, notamment financiers. Pire, certains leviers, comme la taxe d’habitation, ont été supprimés. Les maires sont aujourd’hui impuissants et sont en outre confrontés au refus de leurs concitoyens de voir construire, à côté de chez eux, des logements accueillant de nouveaux habitants. Face à cette situation on voit bien que le bâton ne marche pas. Il faut que la commune, ses habitants, trouvent des avantages à de nouvelles constructions. Pour cela il faudrait flécher une part de la TVA immobilière, perçue sur la vente de logements collectifs neufs, vers les communes bâtisseuses pour tout logement construit au-delà d’un certain seuil à définir. A un moment où l’État cherche de l’argent il faut savoir que la FPI a effectué une simulation sur 20 grandes villes : le gain de TVA perçu par l’État s’élèverait à 550 millions d’euros et 170 millions seraient versés à ces communes.

L’ensemble des maires de la métropole ont voté le PLH à l’unanimité

 Quelques motifs d’espérer sur ce territoire ?

Bien sûr. Je note en premier lieu que l’ensemble des maires de la métropole ont voté le PLH à l’unanimité. On peut espérer qu’ils vont respecter ce qu’ils ont voté. Pour cela il faut bien mesurer que tous les tissus urbains n’ont pas la même valeur. Il faut déconstruire des choses, en préserver d’autres et qu’il importe de construire en hauteur si l’on veut répondre aux besoins de logements et aux enjeux environnementaux.

D’autre part Marseille, avec Euromed, fait partie des 22 territoires engagés pour le logement. Une opération qui se traduit par un accompagnement de l’État. Des subventions exceptionnelles pourront être apportées par l’État, après des échanges complémentaires avec les collectivités et les opérateurs. Le versement effectif des subventions sera conditionné, dans le cadre du contrat, au respect du calendrier et des cibles de production de logements, à la satisfaction de critères de qualité urbaine et environnementale, ainsi qu’à un engagement de maîtriser les prix de sortie de la majorité des logements. Pour chaque projet, un comité de pilotage réunira le préfet et ses services, les collectivités concernées ainsi que l’aménageur assurant la maîtrise d’ouvrage du projet. La mise en place de cette gouvernance partagée assurera la maîtrise du calendrier, la coordination des instructions administratives entre les autorités compétentes, ainsi que le pilotage de la soutenabilité économique du projet pour tenir les ambitions, partagées entre l’ensemble des signataires du contrat.

Propos recueillis par Michel CAIRE

 

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