Directrice adjointe de l’O.J.M. et de la programmation Méditerranée du festival d’Aix-en-Provence, Pauline Chaigne est confrontée depuis quelques années déjà aux problèmes liés à la géopolitique au Moyen-Orient. Pour cette édition 2025 du Festival d’Aix-en-Provence, la conjoncture est, hélas, une nouvelle fois dramatique. Pourtant 91 jeunes instrumentistes âgés de 18 à 26 ans représentant 22 nationalités du bassin méditerranéen vont jouer ensemble au cours de trois concerts programmés en juillet. Interview.

Destimed : La situation géopolitique au Moyen-Orient pèse-t-elle cette année encore sur l’organisation de la session 2025 de l’O.J.M. ?
Pauline Chaigne : Effectivement et l’une des conséquences directes est que nous n’avons pas pu nous déplacer pour organiser des auditions dans les conservatoires au Moyen-Orient. Impossible, donc, de poursuivre sur le terrain une coopération avec eux dont, malheureusement, et naturellement, les priorités se situent ailleurs. Ainsi cette année, nous n’avons pas pu aller auditionner au Liban par exemple. C’est difficile à accepter et nous mettons tout en œuvre afin de ne pas laisser se déliter le fil des liens humains très forts qui nous unissent. Pour pallier cela, nous avons laissé les portes ouvertes aux vidéo-candidatures spontanées et ce sont notamment des musiciens issus de la diaspora qui se sont manifestés. Ainsi nous allons accueillir, par exemple, , deux palestiniens membres de la Barenboim Saïk Akademie en Allemagne.
De plus il semble que le conflit entre Israël et l’Iran ait lui aussi une incidence sur cette session 2025…
Nous devons effectivement faire face aux restrictions mises en place en ce qui concerne les fermetures répétées des transports aériens. Pour l’heure nous espérons que quelques uns des musiciens de l’orchestre, tous en possession de visas, pourront bien se rendre en France et que pour eux la situation évoluera favorablement.
« L’espace que nous proposons est un creuset de Paix »
On constate cependant que toutes ces contraintes qui pèsent sur votre travail depuis quelques années n’empêchent en aucune façon la tenue et la vie de ces sessions…
On peut même dire, je crois, que notre volonté de maintenir ici un dialogue ouvert entre les musiciens des pays du bassin méditerranéen n’en est que plus renforcée. L’espace de dialogue interculturel que nous proposons avec l’orchestre des jeunes et sa programmation spécifique est rare, très rare. Il faut le préserver à tout prix afin qu’il continue d’exister et d’être un creuset de Paix au cœur duquel prospère l’humanité artistique avec l’écoute mutuelle, les échanges, la création collective de jeunes musiciens qui sont avant tout les porte-drapeaux de la musique à travers leurs instruments plus que ceux de telle ou telle nationalité. Cette année encore, tout ce qui était prévu est en place et nous pouvons honorer notre mission qui est d’accueillir les jeunes participant à cette session. Et même si c’est de plus en plus difficile à mettre en œuvre, il faut à tout prix préserver ces espaces où l’identité méditerranéenne dans toute sa diversité s’exprime au-delà des frontières à travers la pratique musicale commune. Il ne faut pas laisser la géopolitique prendre le contrôle. La place de la musique dans les sociétés, notamment autour du bassin méditerranéen, est primordiale, ce qui confère toute sa pertinence et sa raison d’être à notre projet.
Nous devons faire face aux défis qui se dressent devant nous car nous sommes persuadés que ces jeunes qui viennent se perfectionner et apprendre tous les étés dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence pourront un jour faire bouger les lignes. Il ne faut céder ni à la peur, ni au défaitisme, il faut montrer ce que cet orchestre apporte à nos sociétés, montrer qu’il fait du bien et qu’il avance, fort de ses quarante ans d’existence. Il a traversé, traverse actuellement et traversera encore des crises mais il est une réponse positive forte par rapport à tout ce qui se passe actuellement au Moyen-Orient.
Propos recueillis par Michel EGEA
Les rendez-vous avec l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée
Les concerts de l’Orchestre des Jeunes de la Méditerranée seront donnés les 17, 21 et 23 juillet, sous la direction d’Evan Rogister pour la deuxième année consécutive. Ils ponctueront une résidence au cours de laquelle les instrumentistes auront travaillé, accompagnés par des musiciens du London Symphony Orchestra, un programme unissant les œuvres de compositeurs occidentaux et, pour deux des trois concerts, la composition collective réalisée par cinq musiciens et musiciennes sous la direction artistique de Fabrizio Cassol. Cette composition collective a été travaillée à l’Opéra d’Athènes en mai dernier avant d’être transmise à l’orchestre au complet dont les 86 jeunes artistes y contribuent également. Elle repose exclusivement sur la mémorisation à l’exclusion de toute notation, et propose un questionnement du concept même d’orchestre et du rapport voix/instruments.
Le concert du 17 juillet sera donné par l’O.J.M. sous la direction d’Evan Rogister au Théâtre Antique d’Orange dans le cadre de la Grande Scène émergente des Chorégies. Les sopranos Amina Edris, Susanne Burgess (Académie Festival d’Aix), la mezzo soprano Floriane Hasler (Académie des Chorégies d’Orange), le ténor, Julien Henric (Académie des Chorégies d’Orange), le baryton-basse, Maurel Endong (Académie Festival d’Aix) participeront à cet événement qui permettra d’entendre des œuvres de Wagner, Gounod, Charpentier, Offenbach, Bizet, Verdi ainsi que la Symphonie n°1 « Titan » de Mahler.
Le 21 juillet, au Grand Théâtre de Provence, on pourra entendre la composition collective évoquée plus haut ainsi que l’ouverture des Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Wagner, « Voici la vaste plaine », l’air de la Crau de Mireille de Gounod interprété par Amina Edris et la Symphonie n°1 « Titan » de Mahler. Ce même programme sera proposé le 23 juillet à Vauvenargues dans le cadre du Festival organisé par le violoniste Bilal Alnemr.
Signalons enfin que dans le cadre d’une programmation « Méditerranée » qui a débuté au cours d’Aix en juin, le 13 juillet un concert sera donné dans les jardins de la villa Lily Pastré (rue Vendôme à Aix-en-Provence) par le quintet de Waed Bouhassoun, chanteuse et oudiste dont l’art spirituel et humaniste fait résonner son héritage culturel syrien. Elle est accompagnée pour l’occasion de chanteurs et d’instrumentistes dont certains sont issus de l’ensemble Orpheus XXI, dont elle est la co-directrice artistique, où dialoguent la musique occidentale et les héritages iraniens, arméniens, turcs ou syriens. Ensemble, ils dévoilent un tout nouveau projet consacré à tous ces chants que leur ont transmis leurs maîtres et leurs familles durant l’enfance.