Avec « Alpha » la réalisatrice Julia Ducournau, auréolée de la Palme d’or avec Titane en 2021, revient à Cannes avec une œuvre radicale. Un film où la noirceur côtoie l’amour et l’humanité. Où des malades du sida se transforment en sculptures funéraires. « Une manière de rendre les gens beaux, éternels, confie la cinéaste. C’est un film de luttes, de combat mais pas un chaos».

Métaphore du sida
Pour poser l’intrigue, Alpha est une métaphore sur le sida. Les gens infectés se transforment progressivement en êtres de marbre. Trois personnages, une mère, sa fille (Alpha) et son oncle (Amin) se débattent dans cet univers. Un jour, Alpha revient avec un tatouage, un A grossier sur le bras, réalisé avec, elle ne sait quel matériel dans une soirée arrosée. Est-elle contaminée ?
Amour inconditionnel
Derrière la noirceur, le film est une histoire d’amour, filial et fraternel. Filial, entre une mère et sa fille. Fraternel, entre un frère et une sœur. « Il est composé de deux périodes, explique Julia Ducournau. Le flashback dans les années 80 avec une société unifiée et des couleurs saturées, le Kodak de l’époque. Le virus du Sida existe mais on le méconnait. Après, la peur s’installe, la société homogène devient hétérogène, les victimes du sida sont ostracisées, les couleurs virent au bleu, à quelque chose de métallique, d’organique. Le virus se propage comme le son. L’iconographie et le son permettent d’éprouver le ressenti, la peur des personnages. »
Tahar Rahim « embedded »
Le trio mère, fille, oncle nous embarque dans un monde où drogue, alcool, maladie imprègnent les personnages. Tahar Rahim incarne Amin, l’un des malades appelés à devenir un corps de pierre. Il fuit le monde grâce au paradis artificiel de la drogue. On voit sa déchéance mais son sourire désamorce le drame et illumine le récit. Tahar Rahim, habitué à incarner au plus près ses personnages, a passé trois mois avec une association qui s’occupe des drogués. « Je l’ai revu après ces trois mois, il était Le personnage d’Amin à l’intérieur et à l’extérieur, dans ses gestes, ses positions », confie la réalisatrice. L’acteur a perdu près d’une vingtaine de kilos pour jouer Amin. « Ce rôle a été un cadeau, un challenge estime Tahar Rahim. J’aime retrouver la virginité de la première fois, le dépassement. Le régime a été la porte d’entrée ensuite il a fallu créer un monde. »
Catharsis
Le film est centré sur la douleur, le rejet de l’autre et la peur de la contamination. La réalisatrice reconnaît avoir a été très marquée par les années sida et « Alpha» est une sorte de catharsis. Si le film est sombre Julia Ducournau estime être une grande optimiste. Amin transformé en sculpture de marbre meurt paisiblement. Alpha triomphe grâce l’amour. Cela suffira-t-il pour s’imposer dans le palmarès ? Le film en tout cas divise.
Joël BARCY correspondant Destimed à Cannes