ITALIE

Un nouveau Premier ministre qui parle une autre langue que l’austérité
Après deux mois de blocus, Enrico Letta, âgé de 46 ans, est parvenu à former un gouvernement d’union nationale avec la gauche, le centre de Mario Monti et la droite de Silvio Berlusconi. Si ce dernier peut apparaître comme le grand vainqueur de cette passe d’armes, l’arrivée de cet ancien démocrate chrétien à la tête d’un des pays les plus crises en Europe n’en est pas moins porteuse d’espoirs. Car comme François Hollande, qui sera désormais moins seul à Bruxelles, il veut faire entendre une voix discordante à celle de l’austérité.

Le phénix qui renaît toujours de ses cendres : ainsi est Silvio Berlusconi. Alors que l’on pensait il y a encore quelques mois « Il Cavaliere » définitivement éloigné des arcanes du pouvoir, englué qu’il était dans ses frasques judiciaires, le voilà revenu d’un seul coup sur le devant de la scène politique. C’est en effet son bras droit et homme de confiance, souvent désigné comme son « dauphin » politique, Angelino Alfano, le secrétaire général de son parti le Peuple de la Liberté (PDL) (droite populiste), qui vient d’hériter du portefeuille de l’Intérieur et de la vice-présidente du nouveau gouvernement italien, dirigé par Enrico Letta du Parti démocrate (PD). Car ce n’est qu’au prix d’un accord avec le leader du PDL, Silvio Berlusconi, que ce social-démocrate de centre-gauche, âgé de 46 ans, est parvenu à sortir l’Italie du blocus politique dans lequel elle était maintenue depuis deux mois.
C’est en effet un pays ingouvernable qui était sorti des urnes lors des élections générales des 24 et 25 février derniers. Certes la coalition de gauche conduite par le secrétaire du PD, Pier Luigi Bersani, était bel et bien arrivée en tête, que ce soit pour le scrutin de la Chambre des députés que pour celui du Sénat. Mais s’il disposait d’une majorité absolue dans la première assemblée (345 élus pour le PD et ses alliés sur 630 sièges avec 29,5% des voix), grâce à un système qui accorde 54% des fauteuils à la formation arrivée en tête, les règles électorales sont différentes dans les deux chambres. Et Pier Luigi Bersani, avec 31,63% des voix – dont 27,43% des voix au PD et 2,97% à Sinitra Ecologia Libertà (SEL), Gauche, écologie et liberté – ne disposait ainsi que de 123 élus sur 315 sièges dans la deuxième chambre, bien loin des 158 requis pour disposer de la majorité absolue. Or, en vertu du système bicaméral italien, le pays est ingouvernable sans majorité claire au Sénat.

Mario Monti, le grand perdant du scrutin

Impossible pour Pier Luigi Bersani de se tourner vers les seuls centristes de Mario Monti, le président du gouvernement sortant, les grands perdants du scrutin. Là où le président du Conseil des ministres tablait sur 15% des suffrages, il a dû se contenter de 10,56% des voix (45 sièges) à la Chambre des députés et 9,13% des voix (18 sièges) au Sénat. Même avec cet apport le PD ne pouvait donc pas disposer de la majorité absolue dans la deuxième chambre (141 sièges au lieu des 158 nécessaires). Dans un scrutin marqué par une abstention plus importante que cinq ans plus tôt (un peu moins de 25% contre 20% en 2008), les électeurs ont fait payer cher à Mario Monti ses 15 mois de politique d’austérité (novembre 2011-février 2013). Au final, le président du gouvernement sortant n’est plus un élément incontournable de la vie politique italienne.
Alors pour parvenir à cet indispensable seuil de 158 élus au Sénat, Pier Luigi Bersani aurait pu se tourner vers la grande surprise du scrutin marqué par la fin de la bipolarisation de la vie politique italienne : l’humoriste Beppe Grillo et son Mouvement 5 Etoiles (M5S). Dans un scrutin énormément influencé par la crise et la rigueur budgétaire imposée par le gouvernement technique de Mario Monti, Beppe Grillo a su séduire en surfant sur un rejet de la classe politique, la colère contre l’austérité et la défiance à l’égard de l’Europe. Catalyseur du malaise social dans un pays en pleine récession (-2,2% en 2012), il a rassemblé sur un programme jugé « populiste » par ses adversaires (fin du financement public des partis politiques, revenu minimum de 1 000 euros et référendum sur l’euro) au-delà de tous les pronostics même les plus optimistes. L’humoriste et le M5S ont ainsi recueilli au final 25,55% des suffrages à la Chambre des députés (108 sièges) et 23,79% des suffrages au Sénat (54 sièges) devenant du même coup la troisième force politique du pays. Or, dès les résultats définitifs, Beppe Grillo a indiqué qu’il n’était pas disposé à collaborer avec les autres formations politiques.

Une solution préconisée par le président Giorgio Napolitano

Pour disposer d’une majorité absolue au Sénat, Pier Luigi Bersani n’avait donc plus qu’une seule possibilité : faire alliance avec Silvio Berlusconi. Car si la coalition de droite n’a remporté que 125 sièges avec 29,18% des voix à la Chambre des députés, en vertu du système électoral en vigueur, elle était incontournable au Sénat forte de ses 117 sièges (30,72% des suffrages dont 22,30% pour le PDL et 4,33% pour la Ligue du Nord son principal allié). Dès les premiers jours qui ont suivi la publication des résultats, « Il Cavaliere » a d’ailleurs largement ouvert la porte à une telle alliance, excluant tout accord avec les centristes de Mario Monti mais indiquant réfléchir à une telle éventualité avec la coalition de centre gauche. Sauf que Pier Luigi Bersani ne voulait pas entendre parler d’un accord avec le leader du PDL.
S’en sont suivis 43 jours de blocus politique durant lesquels l’Italie est apparue totalement ingouvernable. Quarante-trois jours à l’issue desquels Pierluigi Bersani et Silvio Berlusconi, qui avaient multiplié les attaques mutuelles au cours des derniers mois, ont été contraints et forcés de se rencontrer afin de s’entendre sur le nom du nouveau président de la République et sortir ainsi l’Italie de cette impasse. Et de s’accorder sur la reconduction de Giorgio Napolitano. A 87 ans, ce dernier a ainsi dû se résoudre à accepter un second mandat de 7 ans afin de résoudre les problèmes de la classe politique italienne : ce n’est donc qu’à 94 ans qu’il pourra prendre sa retraite à laquelle il aspirait légitimement.
Or, comme en novembre 2011 quand il avait choisi Mario Monti pour diriger un gouvernement technique, c’est du président de la République qu’est, une nouvelle fois, venue la solution. Puisque Pier Luigi Bersani ne veut pas entendre parler d’alliance avec Silvio Berlusconi, va pour Enrico Letta, le numéro 2 du PD, un homme de consensus. A l’instar de l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la Belgique, l’Italie s’est ainsi dotée d’un gouvernement d’union nationale rassemblant le centre-gauche, la droite, ainsi que les centristes de Mario Monti. Une décision que Giorgio Napolitano a pleinement assumée devant les micros ce samedi 27 avril : « C’était le seul gouvernement possible et, pour le bien de l’Italie et de l’Europe, sa constitution ne pouvait pas attendre ».

L’ombre de Berlusconi

Comme le souligne le quotidien espagnol « El Pais », il s’agit bel et bien d’« un répit pour l’Italie ». Il a cependant provoqué des dégâts collatéraux au sein même du Parti démocrate qui, comme l’observe Marcello Sorgi dans le journal italien « La Stampa », « ne réussit pas à digérer l’idée de faire partie d’un gouvernement de large entente avec Berlusconi ». Des dégâts aussi au sein de la coalition de gauche. Car si le nouveau gouvernement a obtenu lundi 29 avril et mardi 30 avril une large confiance des parlementaires (453 « oui », 153 « non » à la Chambre des députés, 233 « oui », 59 « non » au Sénat), il n’a pas obtenu celle des députés de la gauche écologiste SEL qui faisaient pourtant partie de la coalition de gauche vainqueur de ces élections générales. Enfin, on constate que si les élections passent, les noms incontournables de la scène politique italienne demeurent invariablement les mêmes : Giorgio Napolitano, pourtant âgé de 87 ans, et… Silvio Berlusconi qui ne cesse de partir pour à chaque fois mieux revenir.
Car c’est bien lui qui apparaît aujourd’hui comme le grand vainqueur de ces deux mois de blocage de la vie politique italienne. « Il Cavaliere » n’a d’ailleurs manqué de jubiler ce samedi 27 avril à l’annonce officielle de la composition de ce nouveau gouvernement. Quelques jours plus tôt, c’est lui qui avait posé ses conditions depuis Dallas où il assistait à l’inauguration de la bibliothèque George W. Bush : « Nous allons préparer huit projets de loi qui sont urgents et indispensables pour l’Italie. Nous donnerons notre feu vert à n’importe quel gouvernement qui soit capable de les mettre en œuvre. » Difficile de faire plus clair ! Et Silvio Berlusconi de poursuivre : « Il n’est pas important de savoir qui dirigera ce gouvernement qui devra maintenir ensemble ceux qui ne veulent pas être ensemble. Ce qui est important c’est qu’il y ait un gouvernement, puis un parlement, qui peuvent approuver ces projets. » Dans son discours inaugural, Enrico Letta n’a d’ailleurs pas manqué de donner satisfaction à Silvio Berlusconi en annonçant la suspension en juin de la taxe impopulaire sur les résidences principales, un cheval de bataille d’« Il Cavaliere » lors de la campagne électorale.

Un gouvernement plus jeune et plus féminin, avec une incorruptible à la Justice

Vu les conditions qui ont conduit à sa constitution, on peut douter que ce gouvernement tienne 5 ans, surtout dans un pays qui a connu 62 gouvernements depuis l’après-guerre pour une durée moyenne d’exercice de 361 jours ! Pour autant, les premiers pas du Premier ministre Enrico Letta, ancien démocrate chrétien, catholique modéré qui a déjà occupé plusieurs postes ministériels, semblent montrer qu’il ne résumera pas à n’être une marionnette entre les mains des principaux partis d’Italie. Tout d’abord, cet européen convaincu a d’ores et déjà démontré sa grande habileté politique en parvenant à construire en seulement trois jours un consensus national après deux mois de blocage.
Il a également innové dans la composition de son gouvernement de 21 membres, dont 7 femmes, un record en Italie. Cette équipe gouvernementale d’une moyenne d’âge de 53 ans, 11 de moins que celle dirigée par Mario Monti, est dépourvue de grandes têtes d’affiche, ce qui semble enfin aller dans le sens d’un renouvellement de la classe politique italienne, appelée de ses vœux par Giorgio Napolitano. A cette occasion, Enrico Letta a aussi tenu bon face à Silvio Berlusconi : ce n’est pas le PDL qui a hérité du très convoité ministère de la Justice, mais Anna Maria Cancellieri qui était la ministre de l’Intérieur du gouvernement de Mario Monti. Agée de 69 ans, l’ancienne préfète est connue pour ses batailles contre la criminalité, les infiltrations mafieuses et son intransigeance face à la corruption ou la faillite des finances locales : on doute dans ses conditions qu’« Il Cavaliere » parvienne à peser sur les instructions en cours des affaires judiciaires le concernant.
On peut aussi penser que ce nouveau gouvernement, issu d’élections générales, aura davantage de légitimité que le gouvernement technique de Mario Monti dans la conduite de sa politique.
Enfin, Enrico Letta, qui a promis d’« utiliser le langage subversif de la vérité », pourrait aussi changer la donne au sein de l’Union européenne. Depuis sa prise de fonctions, il a en effet sévèrement critiqué la rigueur et l’austérité mises en œuvre durant 15 mois par son prédécesseur. Il entend au contraire « réactiver la croissance sans mettre en péril le processus de consolidation budgétaire. Avec le seul assainissement l’Italie meurt. Après plus d’une décennie sans croissance, les politiques de relance ne peuvent plus attendre. Il n’y a pas le temps. Beaucoup de familles souffrent de désespoir. » Le fait qu’il ait débuté son mandat par une tournée européenne à Berlin et Paris semble confirmer qu’il entend peser sur les futures orientations de l’Union européenne. C’est devenu une certitude : le président français François Hollande n’est plus le seul à porter une autre voix que l’austérité sur la scène européenne.

Andoni CARVALHO

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