Perchée au-dessus de la ville, battue par les vents, fouettée par les embruns, frappée par la foudre, la statue de Notre-Dame de la Garde domine Marseille depuis plus d’un siècle et demi. Pour les Marseillais, elle n’est pas qu’un monument : elle est un repère, un refuge, une présence familière. À l’occasion de la fin de la première grande phase de restauration de la statue et de son piédestal, les enjeux du chantier, les fruits d’une campagne de mécénat populaire inédite, et le programme des festivités prévues le dimanche 7 décembre, dont un spectacle son et lumière exceptionnel viennent d’être présentés.

« Prendre soin de la Bonne Mère, c’est prendre soin de notre humanité »
C’est le Père Olivier Spinosa, recteur de la basilique Notre-Dame de la Garde, qui a ouvert la rencontre. Il commence par un geste de simplicité : «Je vous accueille ici au nom de la Bonne Mère. Ici, c’est toujours elle qui accueille. » Puis il élargit aussitôt la perspective : il accueille aussi au nom du cardinal archevêque de Marseille, Mgr Jean-Marc Aveline, et au nom de tous ceux, à Marseille et dans le monde, qui lèvent les yeux vers cette silhouette familière.
Pour lui, ce chantier n’est pas seulement une suite d’opérations techniques. «Il a quelque chose de profondément spirituel». Au fil des travaux, la statue est apparue « dans tous ses états » : étincelante, puis mise à nu, dépouillée de son or, avant de retrouver progressivement son éclat. Le recteur y voit le reflet de nos vies : « des phases d’abondance, des phases de dépouillement, des passages à découvert où l’essentiel se révèle».
« Prendre soin de la Bonne Mère, c’est prendre soin de chaque Marseillais, et plus largement de notre humanité », souligne-t-il. La statue restaurée n’est pas qu’un objet brillant : elle rappelle, pour les croyants, une promesse – «celle d’une destinée à la lumière. Et même pour ceux qui ne partagent pas la foi, elle symbolise un élan, une élévation, un lien commun».
Le Père Spinosa insiste surtout sur ce que l’on ne voit pas : les pierres, les structures, tout ce qui soutient la statue. « Dans nos vies, ce qui brille tient sur ce qu’on ne voit pas », confie-t-il. Les fondations invisibles -les pierres solides comme les gestes discrets- sont ce qui permet à ce qui illumine de tenir. «Ce chantier, dit-il, nous a appris quelque chose de nous-mêmes : ne pas négliger l’invisible, ce qui, silencieusement, porte tout le reste.» Ce moment, il le voit comme une étape qui marquera la mémoire de la ville pour des décennies : « Ce que nous vivons aujourd’hui portera Marseille pour les cinquante années à venir, avant qu’une nouvelle restauration ne soit nécessaire. »
Une prouesse de restauration au sommet de Marseille
Après cette mise en perspective spirituelle, c’est Xavier Didier, architecte en charge de la restauration, qui prend la parole. En technicien passionné, il rappelle d’abord une phrase de Viollet-le-Duc, l’immense architecte du XIXᵉ siècle : selon lui, la galvanoplastie – le procédé utilisé pour réaliser la statue de la Bonne Mère – ne résisterait pas longtemps aux agressions atmosphériques de Marseille. Les ateliers Christophe, qui avaient fabriqué la statue, n’avaient d’ailleurs garanti leur œuvre que quinze ans, négociés ensuite à cinquante. « Nous sommes un siècle plus tard, et elle est encore là », sourit Xavier Didier. Une performance en soi, mais aussi un avertissement : «L’environnement exceptionnel de Notre-Dame de la Garde est aussi d’une grande violence pour les matériaux. En trente ans, on a comptabilisé en moyenne cinq impacts de foudre par an. Les embruns arrachés à la mer par le mistral attaquent la pierre, le fer, le cuivre. La statue, elle, porte aussi les cicatrices de l’histoire : huit impacts de balles, laissés par les combats de la libération de Marseille, fin août 1944. »
L’architecte décrit ensuite la finesse extraordinaire de l’œuvre. «Sur les mains de l’Enfant Jésus, on distingue les mêmes petites fossettes que sur celles d’un nouveau-né. Le regard de la Vierge se tourne vers le large, à l’entrée du Vieux-Port, comme pour veiller sur ceux qui partent et ceux qui reviennent. L’Enfant, lui, se penche vers la ville pour la bénir, relié à sa mère par ce geste de tendresse où elle soutient son pied.
Si cette douceur s’exprime avec tant de précision, c’est grâce à la galvanoplastie : un procédé électrochimique qui a permis de reproduire en cuivre, sans intervention de la main du modeleur, la finesse même de l’original en plâtre. »
Mais pour préserver cette œuvre, il a fallu organiser un véritable chantier de haute couture technique. Un échafaudage de 52 tonnes, posé non pas au sol mais sur la « terrasse des anges », a été monté en porte-à-faux pour travailler tout autour de la statue et dépasser la couronne, à plus de 211 mètres d’altitude. Sept semaines étaient prévues pour l’installer ; il en faudra neuf. Quatre semaines pour le démonter ; il en faudra six. Jusqu’au dernier camion, parti à peine quelques heures avant l’installation du dispositif du Monumental Tour.
La pierre a été soignée comme un patient précieux :
– la pierre verte, fragilisée par une « maladie » liée à sa constitution, a été traitée pour empêcher toute reprise du processus ;
– la pierre blanche de Calissane, notamment celle des anges, a été dessalée et bioconsolidée grâce à des bactéries qui, en mourant, recréent une fine couche de calcite ;
– certaines pierres très altérées ont été remplacées, avec de véritables prouesses de stéréotomie pour ajuster des oculi circulaires sur une façade tronconique et inclinée.
Le fer, lui, demandait un soin extrême : cette structure du XIXᵉ siècle, vulnérable à la rouille, partait parfois d’une épaisseur de 1 cm pour en faire 5 une fois corrodée. Il a été entièrement déplombé, nettoyé, protégé, puis repeint avec des systèmes anticorrosion.
La statue de cuivre a retrouvé son intégrité par une soixantaine de petites réparations à l’étain et au plomb, dans la droite ligne des techniques de 1870.
Enfin, l’or a fait son entrée. Une équipe de doreuses est montée sur le chantier début septembre. Un atelier hermétique et climatisé a été installé en haut du sanctuaire, pour maintenir une température constante et protéger les produits des variations de chaleur et de l’air salin. Le protocole – mis au point par les ateliers Goar il y a plus de vingt ans – compte une dizaine d’opérations. L’application de la feuille d’or n’est que la neuvième étape.
Au total, près de 27 000 feuilles d’or, de quelques microns d’épaisseur, ont été posées. « Pour obtenir un millimètre d’épaisseur d’or en les empilant, il faudrait environ 10 000 feuilles », rappelle Xavier Didier, pour illustrer la délicatesse de la matière. Selon le directeur des ateliers, la dorure ainsi protégée devrait durer au moins quarante ans.
Cette première phase, centrée sur la statue et sa structure, sera suivie, à partir de 2026, d’une seconde série de travaux plus orientée vers l’accueil du public : nouvel éclairage de la basilique, rénovation du brûloir de la crypte, restauration du pont-levis emprunté quotidiennement par des milliers de personnes, réfection de la terrasse des ex-voto, améliorations en matière de sécurité et de vidéosurveillance. « Ce n’est pas qu’une affaire de fer, de pierre et d’or, conclut l’architecte. C’est une affaire de vie : celle d’un lieu qui accueille, qui reçoit, qui respire. »
Une campagne de mécénat vraiment populaire
Le responsable du mécénat, Édouard de Taille, est venu, lui, raconter l’autre versant du chantier : celui de la mobilisation financière. L’objectif initial de la campagne lancée – 2,8 millions d’euros – pouvait sembler ambitieux. Aujourd’hui, le résultat est là : 3,3 millions d’euros collectés.
Cette réussite tient d’abord au choix d’une campagne populaire. L’idée forte était simple :
50 euros = 1 feuille d’or pour la statue. De quoi permettre à chacun de « voir » son geste dans l’éclat retrouvé de la Bonne Mère. Mais le dispositif a été pensé pour que tout le monde puisse participer, même modestement : arrondis en caisse à 1 €, dons par SMS, plateforme en ligne, chèques, virements, partenariats avec des boutiques marseillaises, etc.
Au total, près de 40 000 donateurs ont répondu à l’appel. Un chiffre presque symbolique, puisqu’il correspond au nombre de feuilles d’or nécessaires pour la restauration. La grande majorité des dons, souligne Édouard de Taille, se situe entre 1 € et 50 €. Marseille, la France entière et bien au-delà se sont rassemblés autour de la Bonne Mère, avec plus de 5 000 messages personnels laissés sur la plateforme dédiée.
Les collectivités territoriales ont pris une part importante (environ 1,3 million d’euros, soit 39 % de la collecte), complétée par les particuliers et les entreprises (61 %), dont une quinzaine de grands mécènes. Il rappelle le rôle moteur du groupe CMA CGM, ainsi que celui du Crédit Mutuel, particulièrement impliqué, à la fois dans la restauration et dans l’inauguration.
Pour dire merci, l’équipe a voulu que la reconnaissance soit, elle aussi, visible et symbolique. Un ex-voto en forme de Sacré-Cœur, en cuivre doré, a été réalisé et placé au pied de la statue intérieure de Marie et de l’Enfant Jésus. À l’intérieur : les prénoms de tous les donateurs, ceux des collectivités et des entreprises. Un cœur offert en retour à ceux qui ont offert.
Autre manière de lier patrimoine, économie locale et mécénat : la création de produits exclusifs, confiés à des maisons marseillaises ou régionales. Parmi eux, un santon doré à la feuille d’or, réalisé par le santonnier Escoffier en collaboration avec les doreurs, présenté dans un coffret conçu par une entreprise marseillaise centenaire. Un objet rare, disponible en édition limitée, décliné aussi en versions plus accessibles dorées “couleur or”.
Un spectacle « Élévation » pour faire rayonner la Bonne Mère
Pour célébrer la fin de cette première étape, un partenariat artistique d’exception a été noué avec le DJ et producteur Michael Canitrot et son projet Monumental Tour, cofondé avec Mathieu Gautier. Depuis 2019, Monumental Tour fait dialoguer patrimoine et création contemporaine, à travers des spectacles mêlant musique électronique, lumières, vidéo mapping et nouvelles technologies. Mont-Saint-Michel, Palais-Royal, Tour Eiffel, réouverture de Notre-Dame de Paris : la liste des lieux que le projet a déjà mis en lumière parle d’elle-même. Pour Notre-Dame de la Garde, Michael Canitrot a imaginé une œuvre originale baptisée « Élévation », pensée en quatre tableaux visuels et sonores.
Le premier évoque le lever du soleil, avec des jeux de lumière inspirés de la mer, de ses reflets et de ses teintes. Le deuxième célèbre le lien unique entre la Bonne Mère et la Méditerranée, avec des couleurs bleues et turquoises et des projections animées qui épousent la musique.
Le troisième tableau s’intéresse à l’élévation proprement dite : de grands faisceaux verticaux, reliant symboliquement le sol et le ciel, dans des nuances mauves et violettes, comme une prière lumineuse envoyée au-dessus de la ville.
Enfin, le quatrième tableau, intitulé « Rayonnement », plonge la statue restaurée dans des teintes dorées et cuivrées. Il vient magnifier, une dernière fois, le travail des artisans, des architectes, des équipes et de tous ceux qui ont œuvré pour la restauration. Le spectacle, visible à 360°, pourra être contemplé depuis de nombreux quartiers, et sans doute bien au-delà grâce aux images relayées par les médias et les réseaux sociaux.
Sur le plan musical, Michael Canitrot a voulu se laisser déplacer lui aussi, en sortant des chemins tout tracés de la simple musique électro de club. Il propose une réinterprétation d’un Ave Maria, qui commence dans une tonalité classique, presque liturgique, avant de s’élever progressivement vers une écriture plus électronique. Pour l’occasion, il s’est entouré de la chanteuse lyrique marseillaise Mélody Blue Legion, qui interprétera la pièce en direct, accompagnée d’une partie des chœurs de Notre-Dame. Ensemble, ils donneront corps à cette rencontre entre tradition et modernité, entre prière et création contemporaine. Le spectacle principal durera une dizaine de minutes, mais la mise en lumière de la basilique se prolongera ensuite jusque tard dans la soirée, afin de permettre au plus grand nombre d’en profiter.
Un dimanche en trois temps
Pour que cette journée soit à la hauteur de l’événement, l’organisation a été confiée à une équipe coordonnée, dont Anne-Sophie Ozel a présenté les grandes lignes.
Les festivités se dérouleront en trois temps :
- 15h30 : une messe solennelle sera célébrée à l’abbaye Saint-Victor, en présence du cardinal Jean-Marc Aveline.
- 17 heures : une procession partira de la place Joseph Étienne pour monter vers la place du Colonel Édon, située juste en contrebas de la basilique.
- 18 heures : la bénédiction de la statue restaurée par le cardinal sera suivie du spectacle son et lumière « Élévation ».
Pour des raisons de sécurité, la colline de Notre-Dame de la Garde ne sera pas accessible aux piétons ce soir-là -une différence notable avec d’autres grandes fêtes. Le public sera donc invité à se rassembler principalement place du Colonel Édon, point de vue privilégié pour la bénédiction et le spectacle. D’autres points de vue, notamment au jardin du Pharo ou sur le front de mer, permettront d’admirer le rayonnement de la Bonne Mère illuminée.
Des restrictions de circulation et de stationnement seront mises en place autour de l’abbaye, sur le parcours de la procession (certaines rues étant temporairement fermées) et aux abords du sanctuaire. Des navettes RTM transporteront les fidèles qui ne peuvent monter à pied, depuis le boulevard de la Corderie jusqu’à proximité de la basilique.
Au-delà des chiffres, des prouesses techniques et du dispositif de sécurité, il reste l’essentiel : pour Marseille, cette inauguration est un moment de communion. La Bonne Mère, restaurée, dorée, à nouveau rayonnante, ne change pas de place. Mais, comme l’a rappelé le Père Olivier Spinosa, « ces travaux nous ont peut-être changés».
À partir du 7 décembre, il suffira de lever les yeux vers la colline pour le vérifier.
Patricia CAIRE



