C’est avec l’un des ouvrages les plus joués de Verdi que Maurice Xiberras, le directeur général de l’Opéra a choisi de boucler la saison du centenaire de la maison. Un « Trouvère » à la mise en scène signée par l’enfant de Marseille, Louis Désiré, et qui réunit une distribution de haut niveau.

Le fait-divers est horrible. Accusée de sorcellerie, une gitane est brûlée vive sur les ordres du Conte de Luna père. Azucena, sa fille veut la venger et enlève un des fils du conte; mais dans un moment de démence, c’est son propre enfant qu’elle expédiera dans les braises, élevant ensuite Manrico, comme son propre fils. Manrico et de Luna (fils) ignorent tout de leur lien familial. Les deux sont en conflit de pouvoir et aiment la même femme, Leonora. Affrontement, exécution de Manrico, Azucena informe le conte qu’il vient de tuer son propre frère avant de lever les yeux au ciel et de crier à la mère « tu es vengée… » Point final !
Sordide, non ? Et pourtant sur ce livret, Guiseppe Verdi va composer une partition de génie qui fera entrer cet opéra dans le cercle de ceux qui sont le plus joués dans le monde. A Marseille, c’est Michele Spotti, le directeur musical de la maison qui, pour l’occasion, se retrouvait au pupitre à la tête de cet orchestre dont il sait depuis quelques mois qu’il peut se transcender une fois qu’il s’est intellectuellement transporté de l’autre côté des Alpes. Et pour ce « Trouvère », ça n’a pas manqué avec de l’engagement, des couleurs, une mise en valeur des nuances et un accompagnement idéal d’une distribution de haut niveau. Ovation debout garantie pour le maestro et ses troupes !
Drame sombre, voix lumineuses
Le succès de cette production on le doit aussi à Louis Désiré, le metteur en scène, et à ses fidèles compagnons Diego Méndez-Casariego et Patrick Méeüs. Les lumières du dernier cité, les costumes et décors minimalistes, sombres mais tellement efficaces, de Diego ont été les pierres angulaires d’une mise en scène tournée vers la mise en valeur des caractères des protagonistes et de la musique de Verdi. Un travail remarquable aboutissant à quelques sommets d’émotion. Pour nous, au premier rang d’entre eux, la première partie de l’acte II, celle du camp des gitans, restera à jamais dans notre mémoire.
Débarrassée de toutes les loufoqueries dont on l’affuble trop souvent, cette scène fut exceptionnellement dramatique, avec un chœur somptueux, à l’instar de la totalité de ses interventions au long de l’œuvre, et une Azucena qui à tiré les larmes, à laquelle Aude Extrémo donnait vie et voix. La mezzo-soprano a habité ces instants, physiquement et vocalement, avec puissance, sensibilité, précision ; une intensité artistique rare dont elle ne s’est pas départie par la suite pour recueillir un triomphe amplement mérité.
A ses côtés, Teodor Ilincai fut un Manrico idéal, se jouant avec aisance des difficultés de sa partie. Le Cinte de Luna, incarné par Serban Vasile, fut de la même veine, conférant à son personnage une « sombritude » bienvenue, sans aucune défaillance vocale. Angélique Boudeville retrouvait le rôle de Leonora qu’elle affectionne et auquel elle a donné une belle dimension humaines alors que Patrick Bolleire s’imposait sans problème en Ferrando, personnage qu’il maitrise depuis longtemps. Laurence Janot, Inez, Marc Larcher, Ruiz, ont complété de façon plus qu’efficace cette distribution à laquelle Arnaud Hervé et Norbert Dol, artistes sortis du chœur, ont aussi apporté leur contribution. Un grand moment pour boucler une saison qui fera date…
Michel EGEA
« Il Trovatore » de Guiseppe Verdi à l’Opéra de Marseille. Autres représentations les 3, 5 et 10 juin à 20 heures. Plus d’informations et réservations opera-odeon.marseille.fr