Décryptage – Marseille. Pillages dans le centre-ville. Entretien avec Jean Viard : ‘Protéger les commerces n’est pas la priorité ‘

Publié le 2 juillet 2023 à  14h52 - Dernière mise à  jour le 22 août 2023 à  10h51

Il connaît parfaitement Marseille, son économie, sa population, ses avantages et ses handicaps, ses soubresauts aussi. Jean Viard, sociologue et directeur de recherches au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), décrypte pour Destimed les événements du 1er juillet et ceux qui suivront peut-être. Entretien.

Jean Viard (Photo Philippe Maillé)
Jean Viard (Photo Philippe Maillé)

 

Destimed. Comment expliquer cet ouragan de violences dans le centre-ville de marseille et tous ces pillages ?
Jean-Viard : On est dans une phase d’amortissement, dans une période où il faut à tout prix éviter le pire, à savoir la mort d’un jeune ou d’un policier dans des affrontements. Alors, on laisse faire les pillages pour éviter la confrontation. L’idée est de protéger des vies, pas les commerces !

Marseille ne suit en général pas les émeutes qui touchent la France. Là, que s’est-il passé ?
C’est vrai c’est du jamais vu ces scènes et cette stratégie de pillages en particulier à Marseille. Les temps ont changé. On est plus en 2005, tous ces jeunes vivent avec TikTok, twitter ou autres. Ils sont très mobiles, ne limitent plus leur action dans les quartiers avec destruction des symboles de l’État. Une partie vit dans l’illégalisme avec les réseaux de drogue, le phénomène de bande est donc plus fort qu’ailleurs. Ils ont l’habitude de fonctionner en réseau, là ils sont passés rapidement du deal au vol. Ils sont souvent mineurs. Ils s’amusent, font la fête, volent ce qu’ils ont envie et vont revendre leur butin. C’est un vol pour soi, cela n’a pas de sens politique.

On a connu la violence des gilets jaunes, cette fois c’est les jeunes…
Il y a une grande différence, les gilets jaunes était un mouvement revendicatif, violent aussi, mais ils dénonçaient la pauvreté des populations périphériques qui ne pouvaient plus payer de quoi remplir leur réservoir. La violence a payé, ils ont obtenu plusieurs milliards. Dans le cas des jeunes on peut parler de délinquance. Ils volent pour faire du business même si le déclencheur a été Nahel.

Un fois le soufflet retombé quelles actions mener ?
Dans les quartiers près de 40% des jeunes sont parfaitement intégrés et réussissent un beau parcours scolaire. Il reste les autres notamment les quelque 100 000 décrocheurs scolaires chaque année. Ils n’ont pas confiance dans les autorités, le politique ou la police. Il n’y a plus de dialogue, les mêmes codes. Ils sont extérieurs à la société. Les milliards investis dans la politique urbaine ne pourront pas inverser seuls cette tendance.

Quel remède pour les banlieues et les quartiers Nord en particulier ?
Une partie de la société n’accepte pas la présence d’une communauté arabo-musulmane. Elle aimerait qu’elle disparaisse ! Mais ce n’est pas possible. Près de 20% des nouveaux-nés garçons reçoivent un prénom d’origine arabo-musulmane en France. Il faut l’intégrer ! Et, à Marseille, 250 000 personnes ont une origine arabo-musulmane. J’ai proposé de créer une commune indépendante dans les quartiers Nord (250 000 habitants) avec un maire de plein exercice, capable d’exister au sein de la Métropole pour recréer du lien, peser sur les choses, faire revenir les services et l’État. Aucun vrai transport en commun n’irrigue les quartiers Nord en 2023. Est-ce normal ?

« Marseille en grand » prévoit d’investir dans les quartiers…
C’est bien mais aujourd’hui on gouverne trop les gens avec les sondages. Ce n’est pas possible. Il faut prendre en compte le ressenti, le vécu des gens. Abattre une tour, restaurer un immeuble ne suffit pas. Ces jeunes continuent de croire qu’ils sont des citoyens de seconde zone. Cette jeunesse manque d’espérance, aucun politique ne s’adresse réellement à elle. Il faut tout un environnement et retrouver des codes pour se parler, pour retrouver la confiance. Le chemin est long.
Propos recueillis par Joël BARCY

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