OFF d’Avignon : «Mercutio » de Kévin Olivier Salles un western théâtral et musical déjanté d’après Shakespeare

« Capulet et Montaigu se déchirent, Roméo et Juliette se découvrent. Au milieu de ce chaos, le fantasque Mercutio danse avec la mort. Mercutio est un électron libre, ni Capulet ni Montaigu. Comment se faire une place au milieu de leurs querelles ? Lui l’amuseur, le beau parleur, le masque, le fantasque, le soleil ! Il est le meilleur ami de Roméo, mais il n’est plus sûr que cela lui suffise… Et une fois seul, ce sont ses démons et ses peurs qui viennent lui rendre visite. Là où la romance de deux amants prend vie sous la mauvaise étoile, une troisième âme, seule, meurt sous la Lune ». Ainsi peut-on résumer cette pièce délirante signée Kevin Olivier Salles présentée par le Collectif Nox.

Destimed Mercutio Photo Collectif Nox
“Mercutio” © Collectif Nox

Conditionnement et pression sociale

Le collectif Nox précise: « Notre objectif en adoptant le point de vue d’un personnage secondaire d’une œuvre majeure comme Roméo et Juliette est d’aborder les thèmes transgénérationnels que sont le conditionnement et la pression sociale, le paraître et la recherche d’identité, la mort et l’amour. Mercutio est pour nous une expression de la jeunesse à laquelle nous pouvons nous identifier, un pont vers de multiples sujets de société. Donner la parole à un personnage “avorté” par son écrivain Shakespeare semble s’être amusé à parsemer son œuvre d’indices quant à la sexualité de son personnage, sans pour autant lui donner la place et le temps d’exister : d’où notre emploi de l’adjectif « avorté ». À travers ses monologues interrompus – « La paix Mercutio, la paix, vous parlez de rien » ou sa mort violente et soudaine, le personnage de Mercutio, homme viril à la limite du vulgaire, est la représentation d’une homosexualité proscrite par son époque, ne pouvant que se taire ou mourir, malgré une envie irrépressible de s’exprimer et de vivre fougueusement.»

Le récit d’une figure paradoxale, un homme qui se bat contre son extrême solitude:  quelle est ma place ? Suis-je légitime ? Ai-je le droit d’être différent de ce que l’on attend de moi ? Mercutio soulève la question du conditionnement, pour chacun des personnages de la pièce, et notamment pour une jeunesse dorée qui cherche le chaos en temps de paix. «Aborder la pièce par le prisme de ce personnage, poursuit le collectif,  est également pour nous l’occasion d’exposer l’envers d’un décor connu. Ainsi s’entremêlent le texte original de Shakespeare et écritures d’invention contemporaines. »

Et voilà Mercutio ici entièrement réinventé par Kevin Olivier Salles auteur et metteur en scène d’une pièce déjantée, irrésistible, emplie de bruit et de fureur. De danses aussi et de chansons comme celle d’Alizée où il est dit : «Moi je m’appelle Lolita… c’est pas ma faute à moi » – « Au suivant » de Brel, ou encore « Ah vous dirais-je maman » présenté sur une autre musique.

Un podium lumineux

Quant à la scénographie, le dramaturge explique :  « Elle se déploie  autour d’un podium lumineux à deux étages, en demi-cercle, trône en fond de scène afin de créer tantôt un piédestal, tantôt l’espace d’intimité des personnages de la pièce. Devant celui-ci, un grand rideau argenté, s’ouvrant à l’italienne, forme un mur pour certains et une bulle pour d’autres. La lumière tient une place importante au sein de la représentation, leds et guirlandes viennent instaurer l’ambiance cabaret de notre univers. En effet, l’ombre et la lumière sont une nécessité pour représenter les deux facettes d’un équilibre, un yin et un yang qui s’entremêlent. Deux actes, deux jours dans la fiction, un compte à rebours vers une mort certaine. »

Revisitant de manière explosive la célèbre pièce de Shakespeare par les yeux de Mercutio, le collectif Nox signe ici une sorte de western avec drag queen où l’on verra entre autres Mercutio tomber amoureux de Roméo, et Thibald le cousin de Juliette se muer en maître de cérémonie de fêtes charnelles. A ce titre, Kevin Olivier Salles indique:  «Notre démarche esthétique  s’inscrit dans une recherche d’identité collective pour le groupe et particulière pour chaque personnage. Notre univers oscille entre le burlesque et une pointe de féerie. Dans cette recherche d’identité, il est devenu évident pour nous que les personnages s’amusent avec les codes des genres, représentant une nouvelle génération qui les refuse. Les codes du féminin et du masculin sont parfois floutés, parfois stéréotypés pour s’en amuser et mieux les dénoncer. Les couleurs jouent un rôle important, chaque personnage a sa palette particulière, permettant de définir un caractère, de suggérer au public un état émotionnel primaire ou intensifiant un possible processus d’empathie. »

Des interprètes virtuoses

Le résultat est saisissant. Et d’une précision diabolique. Car, ne nous y trompons pas. Derrière l’apparent foutoir se déployant sur la scène, se cache une horlogerie des plus huilées. A chaque chose sa place et une place pour chaque chose… pourrait-on dire. Tous les interprètes, exceptionnels de virtuosité : Simon Davalos (Frère Laurent), Diane Renier (la méchante reine Mab), Lucas Berger (Mercutio), Tudual Gallic (explosif Roméo), Bokai Xie (incroyable en Tybalt) sans oublier le phénoménal et bouleversant Kevin Abgrall interprète de Benvolio -et en grande partie auteur des morceaux musicaux donnés en live- sont animés d’un esprit de troupe contribuant aussi à la réussite de ce spectacle coloré et inoubliable.

Jean-Rémi BARLAND

« Mercutio » au Rouge Gorge, Place de l’Amirande, jusqu’au 26 juillet à 19h05.  Relâche les 15, et 22 juillet.Réservations : au 04 84 51 24 34 ou sur  lerougegorge.fr

 

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