Think Tank Écologie des solutions : agriculture, les raisons de la colère

La colère des agriculteurs était au cœur du débat que vient d’organiser en mairie de Gignac-la-Nerthe (13) le think tank « l’écologie des solutions » co-animé par Christophe Madrolle et Fabien Perez. Il accueillait pour l’occasion Romain Blanchard, le secrétaire départemental et secrétaire général adjoint de la FNSEA.

Destimed Think tank 1
C’est au sein de la mairie de Gignac-la-Nerthe (13) que s’est tenu le Think Tank « Écologie des solutions » sur La colère des agriculteurs ©DR

Le message de Romain Blanchard s’est voulu très clair : « Nous sommes des agriculteurs mais aussi des pères et des mères de famille. Nous ne voulons pas que nos enfants, comme ceux de tous nos concitoyens, mangent des aliments qui ne soient pas au niveau de nos productions. On nous interdit, pour le bien de tous, des hormones et des molécules, elles ne doivent pas arriver chez nous avec le Mercosur ». Présents dans l’assistance une jeune femme qui a décidé d’arrêter son métier de maraîchère trop dur, trop peu rentable et un descendant d’une lignée d’agriculteur qui a décidé de prendre une autre activité professionnelle et ne garde que des oliviers et quelques vignes. Cela, dans une ville, Gignac-la-Nerthe, où la mairie fait tout pour accueillir des agriculteurs.

Christian Amiraty, le maire de la commune, insiste sur l’importance de l’agriculture, l’attention que la commune porte à ce dossier, l’ambition et les difficultés auxquelles elle est confrontée pour accueillir des agriculteurs. Fabien Perez précise immédiatement : « Cette réunion, nous l’avons décidé il y a trois mois, bien avant les événements que nous connaissons actuellement. Nous voulions réfléchir sur des questions telles le développement de l’agriculture : comment, pourquoi ? Voir les solutions que nous pouvions porter dans le cadre d’une écologie des solutions».

« Sans nous il n’y aura pas de survie»

De donner la parole à Romain Blanchard qui précise : « Je suis agriculteur dans le secteur de Puyricard (13) dans les domaines de la viticulture et des céréales. Toutes mes productions vont en coopérative ». Il en vient aux enjeux de l’agriculture : « Ils sont nombreux et il faut savoir ce que nous attendons. Doit-on être des acteurs de la santé publique ? du tourisme ? de l’emploi sachant que nos emplois sont non délocalisables. Il faut déjà attendre de nous que nous nourrissions la population, plutôt bien, avec des produits sains. Je suis, à ce propos, en bio sur la viticulture. Sur le blé, quand je lui donne de l’eau, insectes et autres plantes veulent en profiter. Moi, mon métier, c’est que le blé l’emporte dans un cadre donné.»  «En Europe et en France, poursuit-il, on nous donne des objectifs de qualité. Nous devons faire avec le changement climatique auquel nous sommes les premiers, monde agricole, concernés. J’ai commencé en 2002, nous n’avons plus les mêmes températures, la même pluie, gel… Il nous faut de l’eau et de la terre sachant que nous sommes dans un secteur où la population augmente avec un accroissement urbain et comme l’on ne peut pas prendre sur la mer ou sur la montagne… Mais sans nous il n’y aura pas de survie. »

Les questions arrivent, elles structureront l’échange. « Pourquoi être opposés au libre-échange alors qu’il faut nourrir tout le monde ?», « Je ne vois pas comment les pouvoirs publics pourraient encore plus vous aider ? », «Pourquoi utiliser des hormones, des produits chimiques ? ».

« Je suis agriculteur, pas médecin, chimiste ou biologiste»

Romain Blanchard répond : « Il faut d’abord savoir que je suis agriculteur, pas médecin, chimiste ou biologiste.  Il y a deux ans le gouvernement nous a interdit d’utiliser un produit. Pourquoi pas ? C’est peut être mieux. Mais alors pourquoi accepter de recevoir des produits allemands qui, eux, ne sont pas confrontés à cette interdiction ? Et les consommateurs sont-ils d’accord pour accepter certaines évolutions ? Par exemple si on arrête les insecticides 50% des cerises seraient véreuses.». Pour lui : « La solution est simple. Il y a des produits interdits en France. Très bien. Que ceux qui les utilisent ailleurs ne puissent vendre en France. Parce que si c’est mauvais quand un agriculteur français l’utilise je ne vois pas en quoi cela peut être bon quand c’est un agriculteur étranger qui s’en sert. »

« Les Français n’achètent pas du bio »

Le responsable de la FNSEA poursuit : « J’étais en bio sur la viticulture et sur les céréales, j’ai arrêté sur les céréales car il ne faut pas croire que l’offre crée la demande, les Français n’achètent pas du bio. 80% d’entre eux entrent dans une grande surface avec l’intention d’en acheter, seul 5% ressortent avec. Et le marché a changé, avant on vendait ce que l’on produisait ce n’est plus le cas depuis que les produits viennent du monde entier.»

Aïcha Sif, adjointe au maire de Marseille en charge de l’agriculture urbaine, l’alimentation durable, la protection des terres agricoles avance : « Nous sommes attachés à notre agriculture, nos agriculteurs mais notre problème c’est le changement de génération. Sur 300 000 agriculteurs 150 000 sont à l’âge de la retraite.» Elle ajoute : «A Marseille nous installons des exploitations familiales et, chaque fois, nous lançons des appels à projets avec un vrai succès puisque nous avons une trentaine de réponses. Mais les réponses émanent principalement de personnes en reconversion.»

« J’ai arrêté mon activité maraîchère en août. je n’en pouvais plus »

Justement, Julie a nombre de diplômes dans le domaine de l’environnement. Elle a fait le choix de devenir maraîchère à Gignac-la-Nerthe avant de revenir sur ce choix : « Vivre exclusivement de l’agriculture est extrêmement difficile. On travaille énormément pour n’avoir que le Smic. J’ai arrêté mon activité maraîchère en août. je n’en pouvais plus. J’ai un enfant, je me suis posé des questions sur le temps que je lui consacrais et sur l’avenir que je lui offre. Alors j’ai repris une activité salariée et je garde un petit verger pour un complément d’activité.» Elle préconise : «Les collectivités devraient réfléchir à soutenir les agriculteurs, à travers, pourquoi pas, du salariat ou encore des achats.»  Aïcha Sif répond : « A Marseille on travaille avec les écoles, on donne à des plateformes de petits agriculteurs la possibilité de répondre à des appels d’offre. »

« Papa est décédé des pesticides »

Fruit de 4 générations d’agriculteurs, cet habitant de Gignac-la-Nerthe reconnaît que « le maire a énormément travaillé sur un modèle économique pour l’agriculture.» Mais la gravité de la situation va au-delà de ce que peux faire une commune : « Ma maman a travaillé toute sa vie, elle a 600 euros de retraite par mois. Papa est décédé des pesticides. Il partait le matin sans masque en déverser dans les champs. Il est mort il y a 10 ans. J’ai arrêté l’activité, pris une activité salarié et, en mémoire de mon père, j’ai gardé les oliviers et quelques vignes. Je suis passé totalement en bio, résultat, sur les olives je suis passé de 20 tonnes à moins de 10 tonnes. Et l’an dernier j’ai dépensé 75 000 euros pour acheter un petit tracteur.» Alors, pour lui: « La volonté de notre maire est noble mais cela ne suffit pas. Il faut que l’État et l’Europe aident l’agriculture.»

«Lorsqu’on dépense 100 euros pour l’alimentation n’arrive chez l’agriculteur qu’entre 6 et 9 euros »

Romain  Blanchard soulève un autre problème : « Il faut savoir que, lorsqu’on dépense 100 euros pour l’alimentation n’arrive chez l’agriculteur qu’entre 6 et 9 euros. Et, un gros tracteur, aujourd’hui, coûte 500 000 euros, on imagine le nombre de kilos de blé qu’il faut vendre pour le rembourser ». Il signale: « Beaucoup de gens disent ne pas avoir assez d’argent pour bien manger. C’est vrai pour certains mais il faut savoir qu’en moyenne l’alimentation ne représente plus que 12% du budget du ménage ». Il enchaîne : « Concernant le bio le problème ne réside pas dans son prix mais dans le différentiel avec les autres produits. Quand on a des tomates à l’azote à 3,70 euros le kilo les tomates bio à 5 euros ont du mal. Il faut trouver une solution.» De même, concernant les aides, il considère : «Il n’y a pas de durabilité pour un système basé exclusivement sur les aides. Il faut que tous les maillons de la chaîne vivent de leur métier. »

Un représentant de la Chambre d’agriculture cite l’exemple d’un système qui fonctionne : «Des agriculteurs d’Aubagne ont réussi à se regrouper. Ils ont créé deux magasins de producteurs qui marchent très bien mais c’est vrai que c’est un travail très fatigant et c’est vrai aussi qu’il n’y a pas assez d’agriculteurs sur Gignac-la-Nerthe pour reproduire un tel schéma.»

En fait, pour Romain Blanchard : « Il n’existe pas de solutions miracles pour l’agriculture. C’est en s’attaquant aux problèmes les uns après les autres que l’on arrivera à avancer. Il faut jouer sur la concurrence en fixant des règles pour ceux qui ne respectent pas les règles du marché sur lequel ils veulent s’installer. Concernant la transmission on voit bien que la filiation ne fonctionne plus. Il faut voir comment amener de nouveaux profils. Il faut voir également comment on gère les conflits d’usage. Nous avons Sainte-Croix et Serre-Ponçon qui apportent de l’eau et de l’électricité à plus de trois départements et développent le tourisme mais pourrait-on encore réaliser de tels équipements ? Et puis, enfin, il faut avancer sur la répartition de la valeur. Cela fait de nombreuses questions mais si on s’y met tous un peu on doit trouver des solutions.»

Michel CAIRE

 

Articles similaires

Aller au contenu principal