Tribune de Bernard Mossé : Écocide ?

Le XXe siècle fut celui des génocides. De quoi le XXIe siècle sera-t-il le nom ?

Bernard Mossé est historien, Responsable Formation, Éducation, Recherche et Membre du Conseil scientifique de Neede (Photo D.R)

L’écocide est-il un crime ?

Le XXe siècle fut le siècle du génocide des Arméniens en Turquie, du génocide des Juifs, et celui des Roms, en Europe. Dès ses premières années, il a commencé avec le génocide des Héréros et des Namas dans le Sud-Est africain ; et s’est poursuivi durant le dernier tiers du XXe siècle au Cambodge, au Rwanda, à Srebrenica… Combien de morts a-t-il fallu pour stopper les massacres ? Combien de catastrophes pour éveiller les consciences ? Combien de passivités avant d’engager la résistance? Combien de temps pour désigner les responsables et nommer «ce crime sans nom [[Winston Churchill, discours de 1941.]].» ?

Le temps a permis de mettre en place une justice réparatrice et transitionnelle, des instances nationales et internationales pour juger ces crimes contre l’humanité.

Le XXIe siècle sera sans doute celui de l’écocide.

En cinquante ans, la taille des populations de vertébrés a décliné de 69% dans le monde : les populations de mammifères, oiseaux, amphibiens, reptiles et poissons sont passés de plus de 30 000 à 10 000 (Indice Planète vivante). 40% des pollinisateurs de nos terres agricoles que sont les insectes sont en déclin. Un quart des oiseaux européens a disparu en 40 ans, près de 20% dans le bassin méditerranéen (Université de Montpellier). La Méditerranée, berceau culturel de 3 continents, aujourd’hui tombeau des migrants, est devenu le hot spot de la biodégradation, de la thanato-diversité. Et cela ne fait que commencer…

Un nouveau crime contre l’Humanité ? Oui, aussi, parce qu’un crime contre le vivant. Combien de morts faudra-t-il pour stopper les massacres ? Combien de catastrophes pour éveiller les consciences ? Combien de passivités avant d’engager la résistance ? Combien de temps pour désigner les responsables et nommer ce crime sans nom ?

Ce nouveau crime, des juristes se sont attachés à le définir en tant qu’«écocrime [[Sur la notion discutée d’«écocrime», Joël Hubrecht, Du génocide à l’écocide : dans les pas de Raphaël Lemkin, Institut des Hautes Études sur la Justice, 2016.]]»? Quels en sont les responsables ? Le réchauffement climatique, la déforestation, l’agriculture « insoutenable », le commerce illégal d’espèces sauvages, la pêche dérégulée…

Derrière ces macranthropes, des hommes : des producteurs d’énergies fossiles, d’hydrogène liquide, de médicaments, de viande bovine, du «septième continent» plastique, de transports aériens, etc. Des producteurs, oui, et des consommateurs aussi. En somme, nous sommes tous responsables.

Nous sommes pilotes d’avions ou passagers internationaux, épandeurs de pesticides ou avaleurs de steaks, fabricants d’automobiles ou conducteurs compulsifs ; nous sommes tous des « écocidaires ».

Des criminels de masse et de leurs complices, nous avons en commun le goût des préjugés, de la classification, de l’infériorisation : de la réification du vivant. De la passivité coupable et de la violence aveugle aussi. Du déni.

Aurions-nous l’excuse d’agir sans l’intention d’exterminer [[Le crime contre l’humanité de génocide se caractérise, de manière exceptionnelle, par l’intention de détruire une population avant même le critère de la matérialité des faits, contrairement à la plupart des autres crimes qui se caractérisent d’abord par les faits et sont aggravés éventuellement par l’intention.]]? Plus aujourd’hui, car nous savons à présent ce que nous faisons en éliminant espèce animale après espèce animale. Ce qui distingue du génocide finalement, c’est peut-être l’irréversibilité du processus… [[Voir Karl Matthias Wantzen, professeur d’écologie à l’Université de Tours : Ecocide et génocide, intervention au Conseil scientifique de Neede Méditerranée, 2022.]]

Alors que faire ?

Le projet «Neede Méditerranée»

Les membres fondateurs de l’association «Neede Méditerranée» ont travaillé des années durant pour sensibiliser, éduquer, former, accompagner les populations et les acteurs concernés dans la lutte contre les discriminations, le racisme, l’antisémitisme et les extrémismes, pour prévenir contre les dérives autoritaires qui peuvent mener aux crimes de masse et aux génocides : mettre à disposition du public, et notamment de la jeunesse, les résultats de la recherche, nécessaires pour la compréhension des risques, des enjeux et des moyens de s’engager et d’agir [[Les membres fondateurs de l’association Neede ont travaillé ensemble au site-mémorial du Camp des Milles, près d’Aix-en-Provence, qui fournit au public les clés de compréhension du processus génocidaire sur le lieu d’un camp d’internement et de déportation durant la Seconde Guerre mondiale.]].

Cette expérience de la médiation scientifique, nous la mettons aujourd’hui au service de la transition écologique en Méditerranée, dans un rôle d’ensemblier pour rapprocher les très nombreux acteurs qui y œuvrent déjà : monde de la recherche, de la formation et de l’éducation formelle et non formelle, collectivités, associations, entreprises…

Nous savons qu’il n’y a pas de grandes causes qui ne s’incarnent dans un lieu symbolique et qui puissent ainsi créer une dynamique par un réseau de lieux. C’est ce projet que nous portons pour le bassin méditerranéen. Les sciences cognitives nous apprennent que l’un des freins aux comportements pro-environnementaux est l’ignorance ; et l’un des leviers essentiels, la coopération. Nous faisons, à nouveau, le pari de la science et de l’éducation, de l’éveil des consciences, de la mise en réseau et de l’accompagnement des initiatives et des projets. Le temps de l’engagement est venu.

Celui du jugement viendra plus tard.

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À propos de l’auteur de la tribune

Bernard Mossé est Historien, Responsable Formation, Éducation, Recherche et Membre du Conseil scientifique de Neede. Il a auparavant occupé les fonctions de Responsable des contenus scientifiques pédagogiques et culturels de la Fondation du Camp des Milles – Mémoire et Éducation. Il fût coordonnateur de la Chaire Unesco de l’Université Aix-Marseille « Éducation à la citoyenneté, sciences de l’homme et convergence des mémoires » et chargé de cours en préprofessionnalisation, Université Aix-Marseille

Anciennement Conseiller pédagogique départemental, responsable de la formation à l’Inspection académique des Bouches-du-Rhône, il a également été coordonnateur de l’éducation prioritaire, directeur d’école (Bouches-du-Rhône), Directeur d’Orphée Multimédia, société de multimédia pédagogique.

Il est par ailleurs Scénariste ludo-éducatif et BD)]

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