Parallèlement à leur magnifique concert du Festival de Pâques au Théâtre du Jeu de Paume, l’ensemble Astera sort un album consacré à des compositeurs de facture très différente. Rencontre avec Yann Thenet, hautboïste du groupe.

« Notre répertoire est le fruit d’une réflexion de groupe »

Coline Richard, (flûte), Yann Thenet, (hautbois) Moritz Roelcke, (clarinette), Gabriel Potier, (cor), et Jeremy Bager, (basson) forment l’Ensemble Astera, un quintette à vent lauréat du 1er Prix au Concours International de Musique de Chambre Carl Nielsen 2023. Depuis 2019, soudés par leur amitié et animés d’une passion commune de la musique de chambre, ses musiciens ont à cœur de partager leur vision essentielle en tant que chambristes: « Le mélange des sons et des timbres de cinq instruments à vents dans un but d’unité et de recherche d’une grande dimension artistique».
Leurs différentes expériences auprès de grands orchestres internationaux enrichissent leur cohésion, leur sonorité unique et leur affinité musicale autour du quintette à vent. Ainsi, l’ensemble franco-suisse représente un véritable vent de fraîcheur dans le paysage classique. Mus par un enthousiasme insatiable, une humilité sans failles, les musiciens mettent leurs énergies au service d’interprétations remarquables, émouvantes, réfléchies et engagées, en utilisant au maximum les possibilités sonores de leur formation. Comme en témoigne son Prix de la meilleure interprétation de la création au Concours Nielsen, le dynamisme artistique de l’ensemble se caractérise également par son approche du répertoire contemporain, et son désir majeur d’amener cette musique innovante dans les salles de concerts.
L’Ensemble Astera qui se produit dans divers festivals et saisons musicales en Europe, a enchanté le public présent au Jeu de Paume, lors du récent Festival de Pâques d’Aix-en Provence. Grâce à sa collaboration avec l’ingénieur du son Michael Seberich, et à la résidence offerte par St Columba’s Drimnin Trust en Écosse, l’Ensemble Astera a enregistré l’été 2024 son premier album qui vient de sortir chez le label suisse Claves. C’est une réussite autant technique, (le son est parfait) qu’artistique et humaine.
Yann Thenet, haubois solo de différentes formations
Yann Thenet, qui tient le hautbois dans l’Ensemble Astera alterne comme ses camarades carrière solo et projets avec le groupe. Son travail est mis lui aussi au service des partitions et des compositeurs. Originaire de Lyon, ayant fait ses études à la Haute École de Musique de Lausanne, dans la classe de Jean-Louis Capezzali, il est passionné par le jeu d’orchestre. Nommé en 2018 hautbois solo de l’Orchestre des Pays de Savoie, puis en 2019 deuxième soliste de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, avec lequel il s’est produit régulièrement en soliste. Yann Thenet est également hautbois solo du Gustav Mahler Jugendorchester de 2018 à 2021, et est invité par des phalanges telles que l’Orchestre National de Lyon, Philharmonia Zürich, l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, l’Orchestre de la Suisse Romande ou encore l’Orchestre de l’Opéra de Lyon. Avec ces différentes formations, il a eu la chance de se produire dans les plus prestigieuses salles européennes, aux côtés de chefs tels que Herbert Blomstedt, David Zinman, Jonathan Nott, Klaus Mäkelä, Daniel Harding, Daniele Gatti ou encore Vladimir Jurowski. Il possède également une vaste culture musicale. Entretien.
Destimed : Comment s’est formé l’Ensemble Astera ? Pourquoi ce nom ?
Yann Thenet : l’Ensemble Astera s’est formé au départ par hasard. Nous avons tous étudié à la Haute École de Musique de Lausanne, et nous avons souhaité faire de la musique ensemble, car nous étions tous amis. Après quelques répétitions, nous avons senti une affinité et une alchimie vraiment particulière et nous nous sommes lancés dans l’aventure de créer ce quintette de manière professionnelle. Trouver un nom de groupe est un processus délicat et « Astera » vient de la racine « aster » signifiant étoile, qui est généralement à cinq branches. Nous trouvions que cela sonnait bien, aussi dans toutes les langues car nous sommes un ensemble cosmopolite, et nous l’avons adopté !
Avez-vous défini des responsabilités précises au sein du groupe ?
Artistiquement il n’y a aucune hiérarchie dans notre groupe et c’est aussi ce que l’on trouve génial ! Chacun a la parole, propose des idées, des programmes, et nous faisons tout en absolue concertation. Bien sûr, parfois il s’agit de faire des compromis, mais c’est très sain, et nous sommes au final souvent d’accord car nous avons les mêmes affinités musicales et les mêmes envies.
Comment est choisi le répertoire joué sur scène ?
Le répertoire est bien sûr d’abord le fruit d’une réflexion du groupe: qu’est ce que l’on veut proposer à un tel public dans une telle salle au cours de telle saison musicale. Ceci se fait bien entendu en concertation avec les organisateurs du concert qui connaissent
mieux que nous leur public et leurs attentes. Nous essayons toujours de faire des propositions cohérentes mais surtout de faire découvrir le plus possible des pièces pas forcément connues du grand public mais qu’on est certains de pouvoir faire apprécier,
notamment par le biais d’une brève présentation si nécessaire.
Comment avez-vous eu l’idée de vous tourner vers le hautbois ?
J’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont inscrit au Conservatoire en étant petit, tout comme ma sœur aînée. Celle-ci a choisi de faire du basson et j’ai voulu la suivre… mais je ne sais plus pour quelle raison je n’ai pas pu entrer aussi dans la classe de basson et on m’a orienté vers le hautbois. J’avais sept ans et je ne regrette pas depuis -même si j’adore le basson! -.
Comment avez-vous vécu votre récital au Jeu de Paume lors du récent Festival de Pâques ?
C’était un concert riche en émotions pour plusieurs raisons ! Tout d’abord il s’agit d’un grand Festival en France et il était très important pour nous de délivrer un concert de la meilleure qualité possible, donc il y avait une certaine pression. Également il s’agissait de notre concert avant-première de sortie de notre premier CD, aboutissement d’un travail intense musical et extra-musical sur presque deux ans ! Nous adorons partager ces moments forts ensemble et beaucoup de sentiments nous traversent durant un concert comme celui-là. Nous avons été ravis de notre prestation et des retours extrêmement positifs du public, donc
cela restera un moment important de notre carrière d’ensemble qui est gravé dans nos mémoires !
Debussy, Nielsen, Barber et Fazil Say forment les compositeurs servis avec panache et humilité dans votre premier disque. Comment ce répertoire s’est-il monté ? Y-a-t-il un compositeur que vous privilégiez ?
Le répertoire pour un premier disque est un exercice d’équilibriste: nous voulions principalement donner à travers ce programme notre identité sonore et artistique, et montrer notre palette de couleurs, allier le répertoire original pour quintette et des arrangements, etc. La Petite suite de Debussy est la première pièce que nous avons jouée ensemble, nous l’aimons beaucoup et nous l’avons beaucoup jouée en concert. Nous avons une affinité particulière avec la musique française ainsi c’était une évidence pour nous de mettre cette pièce dans le programme. Il en allait de même pour le Nielsen, pièce maîtresse du répertoire pour quintette à vent et du Concours International de Musique de Chambre Carl Nielsen, que nous avons remporté en 2023. Nous voulions absolument jouer une pièce du 21e siècle ainsi le Fazıl Say a été choisi. Et le Barber est une pièce très complexe que nous
aimons beaucoup et dont l’ambiance se mariait extrêmement bien selon nous avec les autres pièces, avec ce sentiment général de soirée d‘été, pastorale, des fois très intense mais aussi par moments d‘une grande sérénité.
Parlez-nous de Fazil Say, le seul artiste vivant de l’album. Pourquoi lui ? Le fait qu’il soit aussi pianiste et compositeur vous a-t-il influencés ?
Nous ne connaissions pas cette pièce de Fazıl Say avant de monter le programme du CD. Nous cherchions une pièce contemporaine qui nous corresponde et qui corresponde au reste du programme. Nous connaissions et admirions le pianiste et nous avons découvert ses compositions dans un deuxième temps. Quand nous avons écouté puis essayé la pièce nous nous sommes dit d’un commun accord : c’est ça qu’il nous faut ! Elle est brillamment écrite pour quintette à vent en général et pour chacun de nos instruments !
On a l’impression que l’Ensemble Astera aime autant défendre des compositeurs classiques que contemporains. Et, vous aimez tous beaucoup des formes musicales différentes, comme par exemple le Jazz…
Il nous tient beaucoup à cœur de défendre la création et les musiques écrites aujourd’hui, c’est très important pour notre milieu artistique de le garder vivant ! Souvent, ce répertoire fait peur aux non-habitués mais nous essayons toujours d’inclure quelque chose de plus moderne dans nos programmes et d’alterner des pièces où le public peut trouver son confort d’écoute “habituel” et d’autres où, peut être avec quelques explications, il peut tendre l’oreille plus attentivement et découvrir quelque chose qui non seulement lui plaît, mais aussi lui procure des émotions complètement différentes. Nous avons tous des goûts musicaux différents qui bien sûr nourrissent notre ensemble en général, et je pense que toute forme peut apporter quelque chose, dans la mesure du possible avec nos instruments de factures très classiques.
Quels sont les morceaux favoris de l’Ensemble Astera ?
C‘est une question difficile, car je ne pourrais pas fournir une liste de pièce cohérente: on “sent” une pièce qui nous correspond, qui nous motive et qu’on a envie de jouer. Cela peut être du Ravel -nous avons une affinité avec la musique française- mais aussi une danse folklorique, une pièce très classique, ou très moderne. Je pense que nous aimons donner beaucoup de nous-mêmes dans nos interprétations et donc je pense que si il fallait vraiment trouver un point commun qui réunit toutes nos préférences, ce serait l’énergie dans tous les sens du terme !
A vous écouter et à vous voir sur scène on est frappés par l’esprit d’écoute de l’Ensemble Astera et l’amitié qui se dégage de vos prestations. Quels sont les projets du groupe et les vôtres personnels puisque vous suivez tous également des carrières en solo?
Nous sommes avant tout et nous voulons rester des amis très proches, qui adorent faire de la musique ensemble et partager du temps ensemble. On a déjà vécu de grandes émotions tous ensemble et cela a forgé vraiment le cœur de notre ensemble. Nous voulons continuer à entretenir cette belle histoire le plus possible et découvrir et faire découvrir plus de musique. On adore notre formation de ces cinq instruments à vent qu’on fait cohabiter, et nous pensons que cela est super intéressant pour le public habitué aux traditionnels instruments à cordes ou piano, pour eux c’est vraiment différent ! Nous souhaitons collaborer avec d‘autres musiciens, comme nous en aurons l‘occasion en juin car nous partagerons la scène avec le pianiste Guillaume Bellom à Evian pour notamment le sextuor de Poulenc.
Comme évoqué précédemment, nous voulons également nous engager auprès de la création et nous allons créer cet été une pièce du compositeur suisse Kevin Juillerat. Nous souhaitons aussi proposer différentes médiations dans nos programmes… Et on
espère beaucoup d‘autres concerts, beaucoup de partage, de résidences, peut-être dans un moment un autre enregistrement… Nous avons beaucoup d‘énergie et d’idées pour la suite ! Il est difficile pour les ensembles à vents de vivre pleinement de la musique de chambre, donc bien sûr nous devons coordonner cela avec nos carrières personnelles de musiciens d’orchestre. Cependant nous sommes convaincus que ces deux aspects se nourrissent mutuellement et malgré certaines collisions d’emplois du temps, nous arrivons en général à faire coïncider les deux !
Propos recueillis par Jean-Rémi BARLAND
Ensemble Astera renseignements sur ensembleastera.com