Robin Renucci, le patron du Théâtre de la Criée de Marseille vient de présenter la saison 2025-2026 en insistant sur la spécificité du lieu et la qualité d’engagement citoyen de ses équipes et des artistes programmés. « La Criée se veut une maison du peuple et du langage tournée vers le partage et le commun », insiste-t-il. Vidéos à l’appui, conviant à le rejoindre pour parler de leurs spectacles Marie Provence ou Maurin Ollès (pour ne citer qu’eux), mais aussi François Crémieux, directeur des Hôpitaux de Marseille, partie prenante sur certains projets, montrant ainsi la volonté de La Criée d’aller vers des publics empêchés, vers les malades et les soignants, cette immersion haut de gamme dans ce qui sera une saison du même niveau, a permis de constater avec satisfaction combien La Criée se veut un théâtre ancré dans les territoires d’ici et plus largement méditerranéens.
Dans une société meurtrie par les crises multiples, les divisons et les ostracismes en tout genres, on pourra réfléchir sur les rapports sociaux et les Institutions. La Justice par exemple avec « Dire une société désirables », une série de rendez-vous autour de « La République » de Platon, conçus par Grégoire Ingold en collaboration avec Fabienne Jullien. « Leviathan » aussi conception et mise en scène Lorraine de Sagazan texte de Guillaume Poix, qui, inspiré de faits réels pointe les béances et la lenteur du système judiciaire. L’addiction aux drogues, les politiques répressives des drogues en France, seront développées dans «Hautes perchées » création co-produite par La Criée où le Marseillais Maurin Ollès – inoubliable acteur chez Fabrice Melquiot, et metteur en scène surpuissant dans l’adaptation théâtrale du « Rabalaïre » du romancier Alain Guiraudie dont on a dit ici tout le bien- s’intéresse aux histoires intimes de quatre femmes aux parcours liés.
Politique la saison proposera avec « Kaldün » texte et mise en scène d’Abdelwaheb Sefsaf, de raconter l’histoire méconnue de la Nouvelle Calédonie, portée par quinze artistes venus de trois continents dans un puissant souffle musical. On retiendra également « 65 rue d’Aubagne » de Mathilde Aurier ou comment survivre à la catastrophe. Celle qui vit le 5 novembre 2018 à 9h15 deux immeubles s’effondrer dans le centre-ville de Marseille. Celui du 63 rue d’Aubagne inhabité tombant en premier, entraînant dans sa chute le 65 rue d’Aubagne quant à lui habité 8 victimes. «L’effondrement n’est pas que la poussière et les gravats, nous dit-on, il gagne la langue morcelée et les êtres brisés. » Avec au centre du récit un échange de l’autrice avec une survivante et sur scène la Jeune Troupe de La Criée et l’acteur marseillais Glenn Marausse impeccable dans deux spectacles en Avignon et au Théâtre du Gymnase dans « Soudain l’été dernier » de Tennessee Williams. Particularité de la pièce « 65 rue d’Aubagne » elle sera donnée dans six lieux différents, et à des périodes distinctes.
Œuvre majeure de l’auteur algérien Abdelkader Alloula, composée de trois récits, « El Ajouad » qu’il écrivit en 1984, dix ans avant son assassinat à Oran sera porté sur les planches par Jamil Benhamamouch, sous le titre « Les généreux », dans une nouvelle traduction de Rihab Alloula. Cette fresque sociale célèbre avec humanité des héros de l’ombre et ce sera un des grands moments de La Criée….2025-2026.
Des classiques , de la musique et des spectacles pour enfants
Si La Criée mise sur la volonté d’unir des différences, de se vouloir un espace fraternel, s’ouvrant à d’autres lieux que le théâtre situé sur le quai Rive Neuve, (beaucoup de spectacles seront donnés ailleurs) les auteurs classiques seront également mis à l’honneur. Avec « La leçon », chef d’oeuvre de Ionesco où un prof s’acharne à détruire son élève qui permettra de retrouver Robin Renucci en tant qu’acteur aux côtés de Christine Pignet et Inès Valarcher. Ajoutons qu’en 2026 nous aurons « L’école des femmes » de Molière interprétée entre autres par François Morel dans une mise en scène de Robin Renucci.
Avec le « Dom Juan » de Molière construit de manière tellurique par Macha Makeïeff où Xavier Gallais dans le rôle-titre est tout simplement phénoménal. « L’art de la joie » le texte de Goliarda Sapienza sera adapté et mis en scène par Ambre Kahan. Quel bonheur que de pouvoir assister à un Feydeau, à savoir « L’hôtel du Libre-échange » mis en scène par Stanislas Nordey avec une distribution haut de gamme que nous pourrons voir dans le cadre d’une programmation du Gymnase hors les murs.
Les enfants ne seront pas oubliés. Une journée leur sera consacrée le 15 novembre et des pièces comme « Babïl », d’Agnès Régolo, « Je suis trop vert» de David Lescot, « Le petit chaperon rouge » de Pommerat, « Des bêtes pas si bêtes » de Laurent Daycard, « Oka » de Florence Goguel, concert immersif pour les tout-petits , sans oublier « Petit Ciné Criée », un temps fort cinéma musique pour et avec la jeunesse seront aptes à développer leur imaginaire.
Comme chaque année Marseille Concerts proposera une série de récitals dont ceux de Kantorow, un sur Carmen, de François Gremaud, et un autre sur des chansons de Barbara interprétées par la magique Noëmi Waysfeld. L’ orchestre national de jazz proposera de redécouvrir le film « La planète sauvage ». La Criée qui lèvera aussi l’ancre pour des pièces au Festival Off d’Avignon (par exemple « Taire » et « La tête sous l’eau») possède, on le voit, souffle et audace. Des pièces clivantes susciteront débats et sans doute controverses, mais saluons la prise de risque qui est ici absolue. Et donc à applaudir des deux mains.
Jean-Rémi BARLAND
Théâtre de La Criée – 30, Quai de Rive Neuve – 13007 Marseille – Plus d’info et réservations sur theatre-lacriee.com
