La boîte à polars de Jean-Rémi Barland. Avec le thriller «Grindadráp» et la BD «Islander» le Français Caryl Ferey dénonce…

« Devant une baleine on se tait. Elle est la grand-mère du vivant, celle qui était là avant nous et le sera après. Au contact d’un dauphin, c’est au contraire de l’allégresse -avoir un bon copain-, l’enfance et ses récits fabuleux. Mais plonger avec les orques, vous renverse les tripes, vous submerge le cœur,,c’est comme entrer dans une autre réalité. »  En quelques mots Caryl Férey, donne la teneur narrative de  Grindadráp  son nouveau roman.

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Caryl Férey: romancier et scénariste virtuose signe des thrillers sociaux citoyens. © Francesca Mantovani/Gallimard

Considéré comme l’un des plus grands auteurs de thrillers, (« Utu » en 2004, ou « Zulu » en 2008 ont secoué les lignes) ce bourlingueur né, romancier voyageur et scénariste, s’est imposé comme l’écrivain de la biodiversité, du vivre-ensemble, de la violence faite aux animaux, de l’exil des peuples et du rejet des ostracismes. On se souvient aussi de « Okavango » (qui ressort en Folio Policier) qui nous projetait en Namibie où l’on suivait la lutte anti-braconnage de la ranger Solanah Betwase, confrontée à la mort suspecte d’un jeune homme en plein cœur de Wild Bunch, une réserve animalière à la frontière namibienne.

Direction avec Grindadráp -qui paraît dans la collection « Série Noire » de Gallimard- au cœur de la nature déchaînée et des paysages magnifiques des îles Féroé, un archipel de vingt-neuf îles en pleine mer du Nord et constitué de 54 000 habitants. C’est par un terrible ouragan que débute ce roman politique et panthéiste qui n’est pas sans rappeler certains aspects de « Typhon» de Joseph Conrad.

Ayleen Flaherty chef de bord irlandaise d’un bâtiment secoué par la tempête et Gabriel dit Gab, un ancien veilleur de nuit au parc aquatique d’Antibes, devenu soigneur (on le voit sauver un cachalot en lui enlevant un harpon de la bouche) s’échouent en catastrophe aux îles Feroé. Mais ces deux militants activistes de la Sea Shepherd (littéralement « Le berger des mers »), une organisation d’intervention pour la préservation des baleines fondée par Paul Watson, ne sont pas les bienvenus, et subiront très vite les forces obscures de ce caillou qui les tient prisonniers. D’autant qu’à l’autre bout de l’archipel un grindadráp (chasse traditionnelle aux petits cétacés pratiquée aux Îles Féroé depuis l’arrivée des Vikings) particulièrement sanglant vient d’avoir lieu.

Parmi les centaines de baleines-pilotes massacrées lors de la chasse, flotte dans l’eau rougie du sang des cétacés, le corps d’un humain : celui de Bent Hansen, le chef du Grind, un vieux briscard de la politique locale âgé de 76 ans, ancien ministre de la pêche veuf depuis peu, devenu récemment président de l’Association des baleiniers féroïens. Ce qui au passage n’explique pas sa présence parmi les baleines-pilotes.

Une dimension chamanique dans la narration

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Ajoutez la présence très active d’Erika Novak, la très anti-grind rédactrice en chef du petit journal local « Sosialurin », les figures de David Dalsen, alias Dale, le patron de la Pêcherie, d’Heri Petersen, qui gère la pêche tout en étant le suppléant du Premier ministre, et qui a grenouillé dans une multinationale avant que Dale ne l’embauche comme ingénieur en chef, l’ancien marin Ingrun Johannsen, qui transmet la tradition du Grindadráp aux plus jeunes, Piotr, le Tchèque, qu’on croyait sorti d’un livre de Simenon, sans oublier le pasteur évangéliste luthérien Kasper Paulsen chef spirituel de la Congrégation de Torshavn, et vous aurez dans les grandes lignes, les principaux acteurs d’une intrigue où sont développés certains aspects du chamanisme.

Penseur en mouvements qui dénonce ici le sentiment de supériorité des humains envers les animaux, « le même que celui des Blancs envers les Noirs pour justifier l’esclavage, ou envers les Indiens pour les virer de chez eux », précisant que « les dieux monothéistes ont nié aux hommes leur statut d’animal », Caryl Férey se fait moraliste jamais moralisateur. Pédagogue non pontifiant expliquant qu’à cause de certains chasseurs de baleines, qualifiés de « vermines » les chats domestiques mangent plus de thon que les phoques. Thriller politique et écologique fourmillant d’informations sur l’état des mers et de la planète, Grindadráp, réaliste autant que lyrique, sonne vrai, juste, grand et citoyen.

« Sangoma », réalisé avec le dessinateur Corentin Rouge

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Romancier, Caryl Férey est aussi un excellent scénariste-auteur de bandes dessinées. En collaboration avec son ami et complice Corentin Rouge au dessin, il prolonge ainsi de manière flamboyante son travail d’écrivain. A ce titre l’énigme de « Sangoma, les damnées de Cape Town » (ouvrage paru chez Glénat) contient tous ses thèmes de prédilection.

Le synopsis assez simple peut se résumer ainsi : «En Afrique du Sud, une vingtaine d’années après l’Apartheid, les cicatrices laissées par l’ancien système peinent à se refermer. Le racisme n’est plus institutionnalisé mais les inégalités toujours présentes et la population divisée entre les propriétaires blancs et les ouvriers noirs. Dans ce contexte, Sam est retrouvé mort sur les terres de la ferme des Pienaar, ses employeurs. Le lieutenant Shepperd -esprit léger, avisé autant que séducteur et tête brûlée- est chargé de saisir les enjeux qui auront mené au drame. L’enquête s’alourdit bientôt d’éléments disparates : conflits et secrets familiaux, recours à la sorcellerie, disparition d’un bambin dans le voisinage… Tandis que Shane Shepperd lutte tant bien que mal contre les silences et les mensonges de ses interlocuteurs, en toile de fond, le parlement est le théâtre d’oppositions rongeant la nation sud-africaine… La réforme agraire visant à redistribuer les terres usurpées du temps de l’apartheid provoque les débats et souligne les tensions des partis radicaux. Bientôt, les deux camps en appelleront à la violence. »

Enquête policière sur fond de climat social brûlant, Sangoma, les damnés de Cape Town, est un récit sous tension où la violence d’un crime souligne les angoisses d’un pays captif de son passé. Aux dialogues ciselés et fort d’une ligne claire où chaque plan est un tableau, voilà un authentique chef d’oeuvre.

« Islander » une autre bande dessinée avec Corentin Rouge

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La BD s’appelle « Islander ». Le premier volet de cette trilogie policière magnifiquement dessinée par (encore) Corentin Rouge s’intitule « L’exil ». On découvre dans un futur proche le continent européen victime de catastrophes multiples. Des réfugiés de tous les pays s’amassent au port du Havre, lieu de transit vers un hypothétique salut. L’Islande est encore épargnée, mais pour combien de temps ? Liam, qui a déjà tout perdu, va tenter sa chance en subtilisant le pass d’une migrante, sans savoir que l’Islande aussi se déchire à leur sujet. Ballotté dans le chaos du monde, Liam découvrira qu’il a pris la place d’une femme impliquée dans un mystérieux projet, “Islander” ; sa rédemption, si Liam et ses nouveaux compagnons parviennent à survivre. C’est d’une puissance inouïe. D’une empathie rare envers les plus faibles, et gageons que cette dénonciation des systèmes politiques discriminatoires fera date. Le travail de Corentin Rouge, artiste majeur illumine le texte de Caryl Férey qui entre polar futuriste et roman social sous tension nous émeut et nous donne à réfléchir sur l’état de nos démocraties terriblement menacées. Vite…la suite !

Jean-Rémi BARLAND

“Grindadráp” par Caryl Férey – Gallimard – 382 pages – 20 €  – Avec le dessinateur Corentin Rouge “Islander”. Tome 1: L’exil – Glénat – 158 pages – 25  €.  “Sangoma, les damnés de Cape Town” -Glénat – 150 pages – 25 €.

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