Alors que la normalisation entre la Syrie et Israël semblait à portée de main, la situation s’est brusquement embrasée. Pour quelles raisons et qui peut avoir intérêt à ce regain de tension ?
Dans toutes les chancelleries, on louait le pragmatisme d’al-Sharaa, président par intérim de la Syrie, djihadiste que l’on disait reconverti en dirigeant pragmatique. Se planifiait le retour de la Syrie dans le concert des nations, et un rapprochement avec l’ennemi de toujours, Israël. Brusquement tout a basculé. Cette séquence dramatique n’est pas sans rappeler le pogrom du 7 octobre, téléguidé depuis Téhéran qui a stoppé net le processus de normalisation entre l’État hébreu et l’Arabie Saoudite. Revirement ou faiblesse du nouveau régime ne contrôlant pas ses troupes ou déstabilisation venue de l’extérieure ?
Que s’est-il passé ?
Alors que rien ne le laissait présager, des affrontements ont éclaté, à Soueïda dans le Sud de la Syrie, entre Druzes et Bédouins, rapidement rejoints par des islamistes affiliés au pouvoir de Damas et disposant d’armement lourd. Comme, il y a peu, avec les alaouites, les djihadistes, considérant les Druzes comme des infidèles, ont perpétré des massacres contre la population civile.
Du fait de liens très étroits entre Druzes syriens et israéliens et de la coopération opérationnelle mise en place depuis la guerre civile, un appel à l’aide a été lancé aux autorités de Jérusalem. Tsahal est alors intervenu pour protéger la population en ciblant des blindés, ainsi que des symboles du nouveau régime pour envoyer un message clair. En parallèle une intense activité diplomatique s’est activée. Pour l’heure règne la plus grande incertitude entre retrait des « troupes gouvernementales » et retour de groupes armés aux cris d’« Allahou Akbar » ou annonce de cessez-le-feu puis de rejet. Rien n’indique une accalmie prochaine.
Quelques éléments de contexte
Le nouveau pouvoir syrien repose sur des groupes djihadistes sunnites (comme al Qaeda), autant compagnons de route que rivaux, dont une large proportion de ressortissants étrangers. Ils se sont coalisés sous la bannière d’Ahmed al-Sharaa, surnommé Abou Mohammed al-Joulani, lui-même d’origine syrienne mais né en Arabie Saoudite. Formés et armés par la Turquie, et bénéficiant de la bienveillance du Qatar (bailleur de fond des frères musulmans), ils ont pris le pouvoir en renversant le régime alaouite. Ce dernier ayant été fragilisé par les coups de boutoir de l’État hébreu contre les alliés de Téhéran, et le départ des forces russes. Agissant initialement comme proxys d’Erdogan, sous la bannière du nouveau maître de Damas, ils ont tenté d’acquérir une certaine autonomie en tissant des alliances, en particulier avec les occidentaux, les pays du Golfe et Israël.
Si le gouvernement central, en réalité un pouvoir étranger, ambitionne d’imposer sa main mise sur tout le territoire syrien et sa population, il doit composer avec des régions jouissant d’une forte autonomie doublée de zones d’influences. Pour faire simple : une zone au nord-Est, à majorité Kurde, soutenue par les USA, les occidentaux et Israël ; une zone au Nord-Ouest soutenue et en partie occupée par la Turquie, à partir de laquelle le groupe HTC (Hayat Tarhir al-Cham) d’al Joulani a conquis le pouvoir ; et au Sud, une zone à majorité Druze et sunnite non-djihadiste soutenue par Israël qui occupe également une portion du territoire pour sécuriser sa frontière et celle de la Jordanie des attaques djihadistes. A cette mosaïque se rajoute le réduit alaouite, ancien fief des al-Assad, sur la bande côtière, des enclaves chrétiennes, et les tentatives de l’Iran, avec ses proxys du Hezbollah, de restaurer leur influence.
Des protagonistes soumis à des contraintes contradictoires
Que ce soit au niveau des dirigeants que des entités qu’ils représentent, les différents acteurs sont soumis à des contraintes contradictoires rendant l’entreprise d’une réunification et de la paix extrêmement périlleuse.
En ce qui concerne Trump, il fait pression sur Israël pour que Tsahal n’intervienne pas. Dans son désir de transaction économique, il privilégie les effets d’annonce à l’efficacité réelle. N’ayant pas suffisamment affaibli l’Iran, les mollahs conservent une partie de leur capacité de nuisance. On le constate tant dans leur volonté de poursuivre leur programme nucléaire que dans la restauration de leur influence en Syrie et au Liban en réarmant le Hezbollah ou au Yémen avec les Houthis.
Les occidentaux, courtisant al-Sharaa, n’ont exigé aucune contrepartie avant de rétablir des relations diplomatiques ou de lever des sanctions en prévision de futurs contrats.
Pour Israël, le gouvernement Netanyahou, impopulaire comme jamais et embourbé à Gaza, peine à transformer en gain politique sa victoire militaire spectaculaire contre l’Iran et ses supplétifs. Il est écartelé entre les perspectives de normalisation avec un régime instable composé de djihadistes, la sécurisation de ses frontières, la protection des minorités et de ses alliés.
Quant à al-Joulani, ses options sont très limitées. S’il veut s’émanciper de ses mentors, rester au pouvoir et disposer des ressources d’un Etat, il doit impérativement rompre avec son passé et ses pratiques. Mais il ne dispose pour cela que d’un nombre réduit de fidèles, et l’alliance avec les autres groupes djihadistes est très fragile. Il doit donc nouer très rapidement des alliances extérieures, ouvrir les flux financiers pour convaincre à 360 degrés des protagonistes ayant des intérêts très différents, voire antagonistes. Sinon ce sera le chaos.
A qui profite le Crime ?
Si l’on exclut, une agression délibérée d’al-Sharaa contre les Druzes, peu crédible au regard des intérêts en jeu, comment expliquer la flambée de violence ? Ce peut être la résurgence de rivalités intercommunautaires anciennes, des affrontements sur fond de trafics, ou l’initiative personnelle de groupes islamistes, sans accord du pouvoir, reflétant le manque de contrôle sur ses troupes.
Le plus probable semble être l’instrumentalisation de la violence par des tiers pour empêcher le processus de réintégration régionale et la paix avec Israël. Plusieurs instigateurs sont possibles. Ce peut être Erdogan désireux d’obtenir un retour sur investissement pour concrétiser ses ambitions néo-ottomane. Cependant, Ankara est resté bien attentiste, se contentant des critiques habituelles envers l’État juif. Mais surtout, on ne peut s’empêcher de déceler le mode opératoire de la Théocratie chiite. Elle en a encore les moyens, le mobile et l’opportunité.
Israël boucliers des minorités au Moyen-Orient
Voir flotter le drapeau israélien, hissé par des Druzes, en territoire syrien avait quelque chose de surréaliste. Des interdits absolus sont tombés. Bien que la guerre soit encore présente au Moyen-Orient, l’intégration d’Israël est de plus en plus manifeste et ceux qui prônait sa destruction sont sur le chemin de la défaite.
Le président syrien n’aura peut-être pas d’autre choix, pour sa survie immédiate, que d’accompagner le mouvement de sa base. Mais le déséquilibre des forces est tel que cela aboutira à un arrêt des combats, prélude à une reprise ultérieure des pourparlers.
Israël s’impose désormais comme une puissance d’avenir, incontournable tant sur les plan économique, technologiques que militaire, et un bouclier pour les minorités.