Ils ont décidé de se mobiliser avant que le pire n’arrive : la démolition du « Camembert ». Dans ce bâtiment circulaire ont travaillé dessinateurs et ingénieurs du commandant Cousteau. Ici est né le plus grand sous-marin civil du monde le « Saga ». Mais dans le cadre de la restructuration du littoral, le Grand port maritime de Marseille (GPMM) a prévu de le raser. Parallèlement la mairie vient de fermer le musée où est stationné le Saga en raison de la fragilité de la structure.

Une zone semi-secrète

C’est une histoire méconnue, sauf des anciens. Pas besoin de mener un sondage, peu de personnes sont au courant que derrière des clôtures en ciment, s’est élaborée l’observation des abysses, à l’extrémité de l’Estaque (Marseille 16e). Cousteau a conçu ici son emblématique « Saga », le plus gros sous-marin civil jamais construit. A côté du hangar, un bâtiment circulaire et modulaire servait de bureaux pour les ingénieurs et dessinateurs du commandant avant d’être transformé en bains pour la rééducation et la balnéothérapie. Puis le Covid a entraîné sa fermeture définitive.
Démolition programmée

Depuis des années des associations de l’Estaque tentent de se réapproprier le littoral. En juin dernier une trentaine, réunies derrière le label « Faites le Grand Estaque avec nous », a découvert que le bâtiment circulaire, où s’est écrit l’histoire du Saga, allait être démoli en septembre prochain. Depuis un collectif s’est créé pour la sauvegarde du « Camembert », nom qu’il a donné à ce bâtiment en raison d’une forme voisine du célèbre fromage.
Un littoral confisqué
Depuis les années 60 et la création du Port Autonome de Marseille (PAM), devenu Grand Port Maritime de Marseille (GPMM), le littoral est confisqué. Il est sa propriété. Le Port, considéré comme un enjeu économique et stratégique pour la France est autonome, il possède des kilomètres d’emprise. Depuis, la mer tourne le dos aux Marseillais. Il ne s’est rouvert que très récemment autour du Mucem et des Terrasses du port.
Pas de culture de la mer
Le GPMM n’a pas une culture de la mer ou de sauvegarde du patrimoine, ce n’est pas son rôle. « On doit lui servir d’aiguillon pour cela », confesse Hervé Menchon, adjoint au maire, chargé de la mer. Ce site a une valeur essentielle pour la culture maritime de Marseille et c’est en ce sens-là qu’il faut le préserver. La ville est en discussion pour voir si le devenir du site complet avec le hangar du Saga, le bâtiment circulaire de Cousteau et le DRASSM (Département des Recherches Archéologiques Subaquatiques et Sous-marines) peuvent créer ensemble une dynamique. Si on en enlève un sur les trois, ce sera bien plus compliqué de tenir un projet cohérent ».
Narratif
Pour sauvegarder le « Camembert de Cousteau » et l’ensemble du site, il faut un narratif. « Cette histoire de la conception et de la réalisation du “Saga”, cela fait partie des premières accroches, indique Jonathan Cacchia, membre du collectif pour la sauvegarde du « Camembert ». En prenant l’histoire comme un support de récit, ce bâtiment vivra au-delà même de ce qu’on voudra lui projeter comme étiquette ».
Réappropriation
Pour les associations, en sauvant le Camembert, les habitants vont pouvoir se réapproprier le littoral. « C’est un vaste bâtiment, il peut être un lieu d’accueil d’activités de toutes sortes, estime Michel Teulé, président de la fédération des CIQ du 16e arrondissement. On peut en faire un lieu d’articulation entre la mer, le port, le quartier et la ville. »
Interrogations
Demeurent des questions sur ce site, construit sur la mer. Deux études révèlent que les structures porteuses d’une partie du quai et partiellement du hangar-musée du Saga ont été fragilisées par le sel. Des expertises complémentaires doivent permettre d’en savoir plus. Se posera alors la question de savoir si on maintient le Saga ici ou si on le déplace. Or, ce site est un puzzle, si on enlève un élément, toute l’histoire de l’aventure Cousteau, qui est née à l’Estaque s’effondre. Les associations en ont bien conscience d’où cette mobilisation pour la sauvegarde du Camembert dans un premier temps. Rien n’est gagné, la culture de la mer n’est pas encore dans toutes les têtes. Le GPMM a boudé la rencontre avec le collectif devant le site. Des acteurs étaient présents mais ils sont restés sagement en observateurs dans leur véhicule.
Reportage Joël BARCY