Après le meurtre de Mehdi Kessaci, frère d’un militant anti-narcotrafic, les ministres de l’Intérieur et de la Justice ont affiché à Marseille une réponse « de niveau terroriste ». Renforts, arsenal judiciaire national et pression carcérale : l’exécutif veut faire de la cité phocéenne le laboratoire de sa nouvelle doctrine antistups.

Une semaine après l’assassinat de Mehdi Kessaci, 20 ans, abattu le 13 novembre en pleine rue, les ministres de l’Intérieur Laurent Nuñez et de la Justice Gérald Darmanin ont effectué un déplacement conjoint dans les Bouches-du-Rhône. Cette visite, annoncée comme un moment de mobilisation de l’État, intervient dans un climat de choc et de peur à Marseille, où la victime est apparue comme une cible indirecte . En effet, Mehdi Kessaci était le frère d’Amine Kessaci, militant et figure citoyenne engagée contre le narcotrafic, placé sous protection policière. Les autorités jugent plausible la piste d’un meurtre d’intimidation visant à faire taire ce combat public.
Ce déplacement survient après plusieurs semaines de tensions autour des trafics et une réunion de crise au plus haut niveau de l’État. Marseille reste l’épicentre des règlements de comptes liés aux stupéfiants, avec une structuration des réseaux de plus en plus « mafieuse » et une violence qui s’expose désormais en plein jour, jusque dans des quartiers très fréquentés.
Une journée organisée autour de toute la chaîne pénale
Le déplacement a été structuré pour couvrir l’ensemble de la réponse de l’État -de l’enquête à l’incarcération. La journée a commencé par la visite de Gérald Darmanin au centre pénitentiaire des Baumettes, avec une réunion sur la situation carcérale et un échange avec les personnels. Dans la foulée, le garde des Sceaux s’est rendu au Palais de Justice pour rencontrer les magistrats de la JIRS, spécialisée dans la criminalité organisée, afin de faire le point sur les procédures en cours liées aux trafics et aux homicides.
En parallèle, Laurent Nuñez a rencontré le maire Benoît Payan à l’Hôtel de Ville, avant une séquence commune en préfecture avec policiers, gendarmes, préfet et autorités judiciaires. L’après-midi s’est poursuivie à l’Évêché (hôtel de police) et par un échange privé avec la famille Kessaci. C’est au terme de ce circuit -prison, justice, police- que les deux ministres ont choisi de délivrer un message politique commun : celui d’une lutte désormais traitée comme une priorité nationale de sécurité.
« Menace équivalente au terrorisme » : le choix d’un ton inédit
Gérald Darmanin a durci le registre. Il a affirmé que le narcotrafic constitue une menace « au moins équivalente à celle du terrorisme » en France, justifiant un changement d’échelle dans la lutte contre les réseaux. Le ministre a décrit une bataille « très dure » qui exige une coordination durable entre police, justice et administration pénitentiaire.
Il a relié cette montée en puissance à la loi narcotrafic adoptée en juin et à la création du Parquet national anticriminalité organisée (PNACO), qui doit entrer en fonction le 5 janvier 2026. Ce parquet spécialisé, conçu sur le modèle antiterroriste, aura vocation à reprendre les dossiers les plus lourds — notamment ceux dépassant le cadre local ou nécessitant un dépaysement à Paris pour raisons de sécurité. Concrètement, le PNACO doit centraliser les affaires les plus complexes, éviter la dispersion des procédures entre juridictions et offrir un niveau de protection renforcé aux magistrats et enquêteurs. Pour l’exécutif, il s’agit d’un outil destiné à « frapper plus haut », au-delà des réseaux de terrain.
Darmanin met en avant l’ampleur de la réponse judiciaire et cible la DZ Mafia
Le garde des Sceaux a cherché à démontrer que la justice marseillaise frappe déjà fort. Il a annoncé qu’environ 2 000 personnes sont mises en examen dans des dossiers de narcotrafic à Marseille, dont près de 800 en détention provisoire. Il a également concentré ses propos sur la DZ Mafia, l’un des groupes dominants du narcobanditisme local, estimant que la quasi-totalité de ses dirigeants se trouve aujourd’hui incarcérée. Le ministre a souligné la politique d’isolement des têtes de réseau dans des établissements de haute sécurité, afin de couper les commanditaires de leurs relais extérieurs. Enfin, Gérald Darmanin a rappelé que les trafics reposent sur une économie clandestine massive : selon lui, ils généreraient entre 5 et 6 milliards d’euros d’argent liquide. Il a insisté sur le fait que la lutte se joue aussi sur la saisie des avoirs et la guerre au blanchiment, « l’argent liquide » étant le carburant central des organisations criminelles.
Nuñez revendique des résultats et promet un suivi mensuel
Laurent Nuñez a, de son côté, défendu l’idée d’une pression policière déjà productive. Il a cité une baisse des homicides liés au narcotrafic ces dernières années, ainsi qu’une réduction du nombre de points de deal à Marseille, qu’il dit avoir été divisés par deux depuis le début des grandes opérations de démantèlement. Le ministre a qualifié l’assassinat de Mehdi Kessaci de « crime d’intimidation » inédit, interprété comme une tentative des réseaux de frapper la société civile et de créer un climat de terreur. En filigrane, l’exécutif reconnaît que l’affaire Kessaci dépasse le cadre d’un règlement de comptes classique : elle touche à la capacité des réseaux à intimider ceux qui les dénoncent publiquement. Plusieurs acteurs locaux redoutent un précédent dangereux si cette piste était confirmée par l’enquête.
Laurent Nuñez a assuré qu’il reviendrait chaque mois à Marseille pour suivre sur place l’évolution des opérations, insistant sur la durée de l’engagement de l’État. Ce suivi doit s’appuyer sur des points d’étape réguliers avec la préfecture, la police judiciaire et la JIRS afin de mesurer l’impact des opérations et d’ajuster les moyens au fil des enquêtes et des tensions locales. Il a également interpellé les consommateurs, affirmant que la violence des réseaux est alimentée par la demande de drogue, y compris celle se voulant « récréative ».
Benoît Payan : soutien à la fermeté, mais exigence de moyens durables
Aux côtés des ministres, le maire de Marseille a appuyé la ligne de fermeté tout en rappelant l’attente de la ville. « La République doit être ferme, ne doit pas avoir la main qui tremble », a-t-il déclaré, avant de réclamer davantage de moyens pour les enquêteurs et la justice, mais aussi pour l’éducation et la prévention. Le maire a également demandé à l’État un cadre institutionnel plus solide pour Marseille et le département, évoquant la nécessité d’« une préfecture de police de plein exercice » dans les Bouches-du-Rhône. Dès les jours suivant le meurtre, Benoît Payan avait alerté sur la gravité de la séquence : si l’hypothèse d’un crime d’avertissement visant Amine Kessaci était confirmée, ce serait, selon lui, « un changement de dimension absolument terrifiant » pour la ville.
Front uni et stratégie nationale renforcée
Au terme de cette journée, l’exécutif affiche un front uni et une stratégie nationale renforcée. Mais localement, l’attente est double : des renforts concrètement chiffrés (police judiciaire, enquêteurs spécialisés, magistrats) et une capacité à empêcher la reconstitution rapide des réseaux. Marseille reste, plus que jamais, le test grandeur nature de la promesse gouvernementale : reprendre durablement le terrain aux organisations criminelles, tout en protégeant celles et ceux qui refusent de se taire.
La séquence marseillaise marque un tournant de discours et de méthode. Reste maintenant à vérifier si la promesse de constance – renforts, traitement judiciaire accéléré, affaiblissement financier des cartels- tiendra dans la durée, sur un terrain où les réseaux ont déjà montré leur capacité à se réinventer vite.
Patricia CAIRE



