Aix-en-Provence – « Cezanne au Jas de Bouffan » : une exposition en mode majeur

On l’avait qualifiée de « majeure », cette exposition l’est. Et même un peu plus… Car avec la complicité des prêteurs un peu partout dans le monde et, notamment, le Musée d’Orsay, le « show Cezanne » fait du musée Granet « le » phare culturel de l’été 2025. Rien d’étonnant, dès lors, que près de 400 000 visiteurs soient espérés sur les rives du cours Mirabeau; ils auront de quoi se mettre sous les yeux…

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Vous avez dit événement ? Une photographie pour le prouver : au soir de l’inauguration officielle, près de 2 000 visiteurs se pressaient sur la place Saint-Jean de Malte pour visiter l’exposition « Cezanne au Jas de Bouffan ». © Ville d’Aix/ Lucie Perrey

Le Grand Salon en majesté

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la première salle de l’exposition au musée Granet est consacrée à la reconstitution du Grand Salon de la Bastide du Jas de Bouffan avec les décorations peintes par Paul Cezanne. Sur notre photo zoom sur l’alcove avec les représentations des quatre saisons encadrant le portrait du père du peintre. © Ville d’Aix/ Lucie Perrey

A son père qui lui faisait remarquer que le solide « Baigneur au Rocher » peint sur le mur du grand salon de la Bastide du Jas de Bouffan risquait de choquer sa sœur, Paul Cezanne aurait répondu « Pourquoi ? N’a-t-elle pas un cul comme tout le monde ? » Ainsi allait la vie chez les Cezanne ! Et ce n’est pas innocent si le peintre signe « Ingres » les représentations des quatre saisons qui encadrent le portrait de son père entrain de lire le journal, œuvres disposées dans l’alcôve du grand salon ; il fallait séduire et satisfaire le géniteur. Au fil de sa restauration et des découvertes qui y sont effectuées, cette pièce de la demeure familiale devient, comme le dit Sophie Joissains, maire de la ville, « La plus grande œuvre de Cezanne dans le monde. » En tout cas un nouveau chapitre de l’histoire de l’art qui pourrait faire oublier que le peintre et sa production n’ont pas toujours été appréciés du côté d’Aix-en-Provence.
Pour en revenir au « Grand Salon » il est restitué dès la première salle de l’exposition « Cezanne au Jas de Bouffan » installée au Musée Granet, pour laquelle les co-commissaires Bruno Ely et Denis Coutagne ont travaillé d’arrache-pied afin de pouvoir disposer d’un maximum d’œuvres originales ayant été déposées depuis les murs de la bastide. Et sur place, au Jas de Bouffan, ce sont les projections qui recomposent l’ensemble pour le plaisir des visiteurs.

Portraits rudes comme la vie

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L’une des œuvres magistrales de cette exposition mettant en scène les paysans du Jas de Bouffan : Les Joueurs de cartes, 1893-1896 , un prêt du musée d’Orsay. © Ville d’Aix/ Lucie Perrey

Une fois appréciée la reconstitution du « Grand Salon », c’est avec la famille que se poursuit la visite. Papa, maman, les sœurs et l’oncle… L’épouse Hortense aussi et les rares amis, Emperaire notamment, mais également Gustave Boyer et les Gasquet Henri et Joachim. Des portraits souvent rudes comme la vie, peu de sourires, des regards qui ne font pas de concession, terriblement réalistes. Zola y est, yeux figés vers le sol, bouche crispée. Les seules ébauches de sourires, c’est sur les autoportraits de l’artiste qu’on les retrouve, commissure des lèvres devinée légèrement détendue sous la barbe fournie… Ils accompagnent le visiteur dans les salles où ils sont disposés chronologiquement.
Un peu plus loin, au cœur d’une autre salle, joueurs de cartes, paysans, soit le petit peuple de la ferme, sont empreints d’un peu plus d’humanité. On ne rit certes pas aux éclats mais ces portraits enferment assurément moins de tension que les précédents.

Vibrations des paysages

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Bruno Ely devant la toile de la montagne Sainte-Victoire peinte en 1896 qui appartient au Kunstmuseum Bern et qui est « en garde partagée » avec le Musée Granet à la suite d’un accord trouvé entre la Suisse et la famille Cezanne qui avait été spoliée de cette œuvre. © M.E.

La section consacrée au paysage s’ouvre avec une œuvre magistrale qui témoigne du travail de recherche sur le paysage effectué par Cezanne au Jas de Bouffan. Prêtée par la National Gallery à Prague, « Maison et ferme du Jas de Bouffan » sert d’affiche à l’exposition et consacre la vision d’un motif par le maître. Les murs et le toit de la bastide vibrent sous le soleil et l’ensemble, aux perspectives mouvantes respire et vit librement. Une liberté que le peintre apprendra et fera sienne derrière le mur d’enceinte de la propriété familiale avant de l’exploiter plus tard en se rendant sur le motif et, notamment, à Bibemus, à Château noir et sur la route du Tholonet pour rendre visite à Sainte-Victoire.

Natures mortes vivantes

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Bruno Ely détaille la toile « La Table de cuisine » une nature morte magistrale peinte par Cezanne entre 1888 et 1890. © M.E.

Impossible d’évoquer Cezanne au Jas de Bouffan sans consacrer une salle aux natures mortes sur lesquelles il n’a eu de cesse de travailler et de mener ses recherches sur l’équilibre des formes, de l’espace et des couleurs. Tout comme en ce qui concerne les paysages, ici aussi le maître d’Aix se libère des contraintes formelles pour laisser la vie habiter les compositions qu’il pose sur la toile. Une assiette emplie de cerises, des pommes et des poires, un pot de gingembre semblent parfois être en lévitation sur une table trop étroite ; mais qu’importe, le génie est là. « Dans le peintre, écrit Cezanne, il y a deux choses : l’oeil et le cerveau. Tous les deux doivent s’entraider ; il faut travailler à leur développement mutuel. A l’oeil par sa vision de la nature, au cerveau par la logique des sensations organisées (…) L’oeil doit concentrer, englober, le cerveau formulera. »

Baigneurs, baigneuses et fantasmes

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Baigneuses et baigneurs, 1899–1904 © Art Institute of Chicago

Le thème des baigneuses et des baigneurs a hanté Cezanne sa vie durant. Il en aurait réalisé près de 200 compositions et, grâce au témoignage de son ami Joachim Gasquet, on sait qu’il a débuté son travail sur les « Grandes baigneuses », toile visible aujourd’hui à la Barnes Foundation à Philadelphie, à la Bastide du Jas de Bouffan. On a beaucoup dit et écrit sur le rapport entre Cezanne et le nu, féminin ou masculin, et les baigneuses et baigneurs que l’on peut découvrir au musée Granet témoignent, à notre sens, de cette approche pour le moins délicate. Les corps ne sont pas dénués de sensualité même s’ils présentent une anatomie irrégulière. Tout comme pour les portraits évoqués plus haut, Cezanne ne travaille pas dans l’idéalisation des sujets ni dans le naturalisme mais dans une représentation des corps qui lui est propre.
Pour terminer la visite, quelques toiles majeures nous font quitter le Jas de Bouffan pour suivre Paul Cezanne à Gardanne, à l’Estaque et ailleurs rappelant au visiteur qu’après la bastide familiale, il y a eu l’atelier des Lauves où sont nées bien d’autres œuvres. Un atelier qui fait lui aussi partie depuis quelques jours d’un parcours cezannien exceptionnel proposé à Aix-en-Provence.
Michel EGEA
« Cezanne au Jas de Bouffan » jusqu’au 12 octobre au Musée Granet. Plus d’informations  cezanne2025.com

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