Dans quelques jours, l’année Cezanne va vivre son point d’orgue avec le vernissage au Musée Granet de l’exposition-événement « Cezanne au Jas de Bouffan ». Auparavant, deux autres expositions auront été inaugurées au Musée du Vieil-Aix et au Pavillon Vendôme. Les sites cezanniens, eux-aussi, seront accessibles au public et en particulier la bastide du Jas de Bouffan qui n’en finit pas de dévoiler ses secrets. Dernier en date dévoilé, un décor surmontant l’alcôve du grand salon de la bastide.

Et si Aix-en-Provence, qui a longtemps tourné le dos à Paul Cezanne, devenait enfin détentrice d’une pièce maîtresse de l’histoire de l’art avec tout un pan issu des travaux de jeunesse du peintre ? Et si cette bastide du Jas de Bouffan, maison familiale du maître d’Aix entre 1859 et 1899, abritait un maillon essentiel jusqu’alors inconnu de sa production picturale ? A l’heure où, depuis les quatre coins de la planète, les tableaux arrivent quotidiennement au Musée Granet pour y être accrochés, c’est « un décor palatial d’une grande ampleur », selon les propres termes de Sophie Joissains, maire d’Aix-en-Provence, qui crée l’événement entre les engins de chantier, les sacs de ciment, les tas de sable et les pierres de la calade qui ne sont pas encore posées devant la bastide du Jas de Bouffan. Soit un médaillon rehaussé de polychromies spectaculaires de grande taille peintes sur les gypseries ainsi que des faux-bois peints en trompe l’œil.
En fait, après la découverte il y a quelques mois d’un fragment d’une œuvre attribuée au jeune Cezanne représentant l’entrée d’un port sur un pan de mur du grand salon, les sondages effectués sur place avaient laissé entrevoir la possibilité que la totalité des murs de la pièce aient été décorés et peints par le peintre. Depuis, des études scientifiques de datation des pigments et des différentes couches picturales ou vernis, en lien avec les historiens de l’art, ont confirmé l’attribution à Cezanne de ces découvertes. Elles pourront être admirées par les visiteurs dans le cadre de Cezanne 2025, in-situ et sous certaines conditions, notamment d’éclairage et avec un nombre restreint de personnes en même temps dans le grand salon. Et une fois passé l’événement, investigations et travaux de restauration se poursuivront pour dévoiler de nouvelles œuvres.
Création d’un comité scientifique
Cette situation a poussé Sophie Joissains à mettre en place un comité scientifique pluridisciplinaire ; « Il regroupera, confiait-elle, restaurateurs, conservateurs du patrimoine, historiens de l’art et représentants de la Société Paul Cezanne afin de documenter ces découvertes, d’accompagner les recherches futures et d’éclairer les nouveaux dégagements afin de poursuivre avec la rigueur scientifique indispensable ce chantier patrimonial qui fera date.» Pour les sceptiques qui douteraient de la paternité cezanienne des œuvres inventées ici, il convient de souligner qu’un important travail scientifique accompagne les découvertes et apporte les preuves que les peintures et décors sont bien de la main du maître d’Aix. Quant à l’iconographie et au style il existe aussi des analogies incontestables avec les panneaux de l’Été et du Printemps peints par Cezanne dans le grand salon, qui furent déposés par la suite, et que l’on pourra découvrir au long de l’exposition « Cezanne au Jas de Bouffan».
« Un chaînon manquant dans l’œuvre de Cezanne »
Pour Antoinette Sinigaglia, restauratrice et dirigeante de l’entreprise Sinopia qui intervient à la bastide du Jas de Bouffan, tout a débuté en 2019 lorsque quelque 70 sondages stratigraphiques ont été réalisés sur les lieux. « C’était la première étude de grande ampleur réalisée dans le salon, se souvient-elle. Les sondages nous ont informés de la richesse patrimoniale de l’endroit mais on ne savait pas comment raccorder tout ça et c’est en 2023 que nous avons débuté l’agrandissement de ces sondages ce qui nous a permis de relier ce qui restait des peintures d’accompagnement avec ce qui restait des peintures figuratives qui elles sont connues hormis l’entrée de port découverte à cette occasion. Aujourd’hui on peut affirmer que dans ce salon, il n’y a pas un centimètre carré qui n’a pas été peint. C’est un premier aboutissement d’un chantier totalement maîtrisé et mûrement réfléchi qui, après l’événement Cezanne 2025, devrait se poursuivre. »
Lorsqu’on demande à Antoinette Sinigaglia si on a retrouvé ici un chaînon manquant dans l’œuvre de Cezanne, elle n’hésite pas une seconde: « Oui, je le pense vraiment. On a mis à jour ici un grand décor peint par Cezanne et certainement par une équipe autour de lui ; une réalisation unique car il n’en existe aucune autre connue du même type. Pour l’histoire de l’art et pour les spécialistes de Cezanne, la découverte est des plus importantes notamment en ce qui concerne l’approche de la période de jeunesse du peintre. Ici Cezanne, âgé de 20 ans et qui sort de l’école des Beaux-Arts, va mettre des couleurs sur un décor XVIIIe qu’il découvre en venant habiter la bastide.»
Voici qui renforce encore plus l’intérêt de découvrir les sites cezanniens au cours des mois à venir puisqu’avec la bastide, ce sont l’atelier des Lauves et les Carrières de Bibemus qui seront autant de centres d’intérêt de cette année consacré au maître d’Aix en complément des expositions proposées en divers lieux de la ville.
Michel EGEA
Renseignements cezanne2025.com