Off d’Avignon 2021. Rencontre avec Willy Liechty auteur et comĂ©dien dans ‘Karma’ et ‘Le chemin des passes dangereuses’

Publié le 26 juillet 2021 à  20h28 - DerniÚre mise à  jour le 1 novembre 2022 à  14h52

Willy Liechty, co-directeur du Festival de cinéma du Croisic, auteur et comédien en Avignon de «Karma» et acteur surpuissant dans «Le chemin des passes dangereuses»

Willy Liechty, auteur, et interprĂšte surpuissant et subtil. (Photo DR)
Willy Liechty, auteur, et interprĂšte surpuissant et subtil. (Photo DR)

Pour Ă©chapper Ă  son mariage, Gabriel se fait passer pour mort auprĂšs de sa fiancĂ©e. Mais ce qui ne devait ĂȘtre qu’un petit mensonge va prendre des proportions dĂ©mesurĂ©es, l’obligeant Ă  assister Ă  ses propres funĂ©railles. DrĂŽle, mais aussi extrĂȘmement Ă©mouvante, (avec un Ă©pilogue poignant mĂȘme) «Karma» qui se donne tous les jours Ă  18h30 jusqu’au 31 juillet au ThĂ©Ăątre du Rempart est une comĂ©die irrĂ©sistible, intelligente, servie par une mise en scĂšne virevoltante d’Ange Paganucci qui interprĂšte le rĂŽle du faux-mort.

Cette piĂšce Willy Liechty qui incarne le meilleur ami de Gabriel venu l’aider Ă  d’abord prolonger son mensonge, et ensuite Ă  en attĂ©nuer les effets l’a construite Ă  partir d’un fait-divers. « C’est en lisant un fait divers de quelques lignes dans un journal quotidien que l’idĂ©e m’est venue , dit-il, Je trouvais le sujet tellement improbable, tellement insolite que ça m’a donnĂ© envie d’inventer toute l’histoire autour. J’ai d’abord cherchĂ© Ă  comprendre ce qui pouvait bien pousser quelqu’un Ă  inventer un mensonge pareil ? La peur de l’engagement ? Le manque de courage ? Sans doute un peu des deux. Une faille Ă©vidente, Ă  la fois touchante, cruelle et naĂŻve, Ă  l’image du protagoniste, aussi attachant que dĂ©testable. En un mot : humain.»

Et puis le parallĂšle entre un mariage et des obsĂšques offrait un contraste saisissant. Willy Liechty poursuit: «Le blanc et le noir. La joie et la peine. La cĂ©lĂ©bration et le recueillement. Et tout l’amour qui se dĂ©gage de ces deux cĂ©rĂ©monies. L’Amour comme trait d’union. C’est sur ce triptyque – la Vie, la Mort, l’Amour – que cette piĂšce en trois actes est construite. J’avais Ă©galement envie d’un personnage fĂ©minin fort, incarnĂ© par Charline. Avec suffisamment de caractĂšre pour construire une vengeance Ă  la hauteur de l’affront qu’il lui a Ă©tĂ© fait, de ces montagnes russes Ă©motionnelles qu’on l’oblige Ă  subir. Vous imaginez ? Apprendre le dĂ©cĂšs de la personne qui partage votre vie ? Puis comprendre que finalement tout ceci n’est qu’une farce ?»

Il souligne: «Je me suis aussi beaucoup documentĂ© pour ce projet. J’étais notamment curieux de dĂ©couvrir les diffĂ©rents rites funĂ©raires qui pouvaient exister Ă  travers le Monde. LĂ  encore un jeu de miroir passionnant. Car, si les français ont un rapport assez solennel Ă  la Mort, dans d’autres cultures, on organise carrĂ©ment des fĂȘtes gigantesques pour cĂ©lĂ©brer les dĂ©funts. Moment joyeux de partage et de communion, comme au Mexique par exemple, pour ne citer que ce pays. C’est ainsi qu’est nĂ© le personnage de Simon. Rire de la Mort, voilĂ  le dĂ©fi que propose cette piĂšce. Se jouer de ses propres peurs. Partager un moment de joie autour d’un sujet qui peut ĂȘtre sensible et qui pourtant nous rassemble, nous unit, car nous avons tous dĂ©jĂ  perdu un ĂȘtre cher. À l’image du personnage de Dannie, la piĂšce propose l’humour et le recul nĂ©cessaire nous permettre d’aborder le sujet avec philosophie et ainsi, pouvoir nous permettre d’aborder le sujet avec philosophie et ainsi, pouvoir en rire».

Pari tenu ! C’est un flot de phrases qui font mouche, et un moment rĂ©jouissant jouĂ© Ă  la perfection. Si Willy Liechty et Ange Paganucci sont comme dans tout ce qu’ils entreprennent convaincants Ă  souhait, Carole Palcoux en fiancĂ©e Ă©plorĂ©e possĂšde l’énergie communicative de son personnage. Mais la palme revient Ă  Marie-Laure Descoureaux gigantesque dans la peau de la mĂšre de Gabriel. ComĂ©dienne qui joue la concierge dans «Le fabuleux destin d’AmĂ©lie Poulain» et Chantal dans « Intouchables », elle ressemble ici Ă  la grande actrice disparue Madeleine BarbulĂ©e dont chaque apparition dĂ©clenchait l’hilaritĂ©. Explosive mais pas que Marie-Laure nous emporte dans un ocĂ©an de rires et…de larmes. Du grand art

Questions d’identitĂ©

Si la mĂšre a une grande importance dans « Karma » Willy Liechty, nĂ© le 9 novembre 1982 Ă  Tremblay, aĂźnĂ© d’une famille de neuf enfants, s’est beaucoup intĂ©ressĂ© dans les autres piĂšces qu’il a Ă©crites aux rapports compliquĂ©s entre enfants et parents et aux questions d’identitĂ© Ă©galement, avec la façon dont on se situe par rapport aux notions de genre. Dans «Sors de ce corps» (2014), qui met en scĂšne Florence (AmĂ©lie Etasse), toujours hyper speed et Arthur (Willy Liechty) qui s’ennuie Ă  mourir. Un soir, Ă  la suite d’un bug Ă©lectrique, ils vont changer de corps


IL devient elle. ELLE devient lui. Il va apprendre la fĂ©minitĂ©. Elle va apprendre la solitude. Avec «Ma mĂšre n’est pas un panda» ensuite crĂ©Ă©e en 2016 avec autour de Willy, auteur et comĂ©dien, ValĂ©rie Mairesse et Paul Belmondo. Dans cette comĂ©die hilarante au dĂ©nouement inattendu on suit Walter qui a le temps d’un dĂźner pour convaincre son patron qu’il mĂ©rite plus que quiconque cette promotion. Son patron est trĂšs attachĂ© aux valeurs familiales, seulement voilĂ  Walter n’a pas vraiment une «famille idĂ©ale» ! pour impressionner son boss, il va donc louer des «parents d’un soir» : il va «choisir sa famille». Mais ce casting parfait suffira-t-il Ă  convaincre son patron ? Peut-on vraiment faire confiance Ă  des inconnus ? Une bonne comĂ©dienne femme peut remplacer une mauvaise mĂšre ?

Co-directeur du du Croisic et au cinĂ©ma fils d’Antoine DulĂ©ry et Marie Bunel

« Parce que t’es heureux toi, avec ta petite vie de patron pĂȘcheur ? Et maman, tu crois qu’elle est heureuse, maman ?», lance Willy Liehchty Ă  Antoine DulĂ©ry qui incarne son pĂšre dans le court-mĂ©trage «DĂ©lit d’innocence» de MikhaĂ«l Gauthier. Un pĂšre et son fils y apparaissent en conflit permanent. Le pĂšre patron pĂȘcheur a rejetĂ© son amour paternel sur son jeune matelot. Il ne comprend pas que son fils veuille ĂȘtre comĂ©dien et vive encore Ă  la maison. Les deux hommes pourtant unis par le sang ne se comprennent plus et vont continuer Ă  se dĂ©chirer le jour oĂč une vĂ©ritĂ© Ă©clate. Avec dans le rĂŽle de la mĂšre Marie Bunel, poignante, Ă©blouissante, magnifique, qui l’est Ă©galement dans la piĂšce «La derniĂšre lettre» donnĂ©e en ce moment au ThĂ©Ăątre Actuel oĂč elle incarne la mĂšre d’un garçon condamnĂ© Ă  mort, enfermĂ© dans une prison amĂ©ricaine. Notons que «DĂ©lit d’innocence » se passe au Croisic. Et ce n’est pas un hasard, puisque son rĂ©alisateur MikaĂ«l Gauthier, est le crĂ©ateur du festival de cinĂ©ma…du Croisic justement dont Willy Liechty est le co-directeur depuis six ans. ParrainĂ© d’abord par Claude Chabrol, puis aprĂšs sa mort par Patrice Leconte, ce rendez-vous trĂšs important de la vie culturelle française verra sa 15e Ă©dition se dĂ©roulera du 8 au 17 octobre prochain en prĂ©sence de Sabine AzĂ©ma. «C’est un festival trĂšs pro et trĂšs familial» prĂ©cise Willy passionnĂ© et trĂšs investi dans ses fonctions.

Ralentir… chef d’oeuvre signĂ© Marc Michel Bouchard

ComĂ©dien drĂŽle, on le voit face Ă  Thibault de Montalembert dans le film «Jalouse» des frĂšres Foenkinos dans une scĂšne qui mĂ©rite Ă  elle seule le dĂ©placement «Apparemment vous avez annulĂ© votre sĂ©jour le 13 janvier dernier, et du coup il a Ă©tĂ© revendu…Calmez-vous monsieur, on va vous trouvez de la place sur le prochain sĂ©jour», lui lance-t-il incarnant un animateur de Club Med au flegme britannique. Du coup on ne l’attendait pas forcĂ©ment dans l’équipe de la piĂšce de Michel Marc Bouchard «Le chemin des passes dangereuses » oĂč il incarne Carl, le benjamin d’une fratrie de trois dont la mort du pĂšre a bouleversĂ© leurs vies. «Des heures. J’ai marchĂ© des heures en ligne droite. Comment j’ai fait pour revenir Ă  la mĂȘme place ? Comment j’ai fait pour tourner en rond pour revenir Ă  la mĂȘme place ? Comment j’ai fait pour tourner en rond en marchant tout droit sur un chemin tout droit ?», lance son personnage au dĂ©but de ce que l’auteur dĂ©finit comme « une tragĂ©die routiĂšre ». RĂ©pondant en cela Ă  Ambroise l’aĂźnĂ© (exceptionnel Franck Borde), qui lance : «De tous les biens que je possĂšde peu de valeurs , rien Ă  voler…de tous les biens, de peu de biens, des biens de peu. De tous les biens que je possĂšde, peu d’honneurs, trois cƓurs Ă  aimer»… phrases dont on dĂ©couvrira qu’elles sont le socle d’un retour vers un passĂ© funeste. Mise en scĂšne d’une densitĂ© extrĂȘme signĂ©e Claude ChrĂ©tient, violon trĂšs schubertien d’Ambroise Chevalier, absence de dĂ©cors, mais jeu de lumiĂšres intense, et scĂ©nographie de Dominique Fataccioli d’une force aussi esthĂ©tique que le texte, «Le chemin des passes dangereuses» jouĂ© au ThĂ©Ăątre des Corps Saints Ă  20h50 est un chef d’oeuvre. Willy Liechty, et ses deux camarades de scĂšne nous secoue et nous envoĂ»te. C’est un des grands moments du Festival Off d’Avignon.

« Une grande piÚce est une piÚce qui reste en toi »

La mort donc au centre de la piĂšce de Michel Marc Bouchard. Et en filigrane de «Karma» dont Willy Liechty a poursuivi l’écriture aprĂšs la perte d’un ami qui s’est suicidĂ©. Autant dire que ce passionnĂ© de cinĂ©ma, de romans, de thĂ©Ăątres, d’une empathie avec ses proches, d’une disponibilitĂ© constante avec ses camarades de travail, qui sait Ă©couter les autres et rĂȘver le monde tel qu’il devrait ĂȘtre, sait mettre beaucoup d’oeuvre dans sa vie et de vie dans son Ɠuvre. «Une grande piĂšce», dit-il est une piĂšce qui transmet. Qui reste en toi. Qui te fait devenir un autre..» Gageons que Willy Liechty qui fourmille de projets et qui a dĂ©jĂ  jouĂ© au thĂ©Ăątre dans «Les fourberies de Scapin », de MoliĂšre croisera encore bon nombre de textes qui justement resteront en lui comme des trĂ©sors de vie.
Jean-RĂ©mi BARLAND

[(«Karma» de Willy Liechty. ThĂ©Ăątre du Rempart Ă  18h30 jusqu’au 31 juillet. RelĂąche le 26 juillet. 22 € ; 15 € ; 12 € ; RĂ©servations au 09 81 00 37 48 ou au 04 90 85 37 48. theatre-du-rempart/ e4tl1xnxiamn70q.jpg )]

[(«Le chemin des passes dangereuses » de Michel Marc Bouchard. Au thĂ©Ăątre des Corps Saints Ă  20h50 jusqu’au 31 juillet. RelĂąche le 26. Tarifs : 25 € ; 16 € ; 10 € ; 9 €. RĂ©servations au 04 90 16 07 50. theatre-corps-saints-avignon.come4tl1xnwuaafmnb.jpg)]

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