Après « Je m’en vais mais l’État demeure », Hugues Duchêne adapte ici le roman historique de Bertrand Guillot: « L’Abolition des privilèges». Sur scène c’est une performance, un solo virtuose agrémenté de l’intervention d’une sorte de contradicteur prolongeant le propos qui plonge le spectateur en plein cœur des États généraux de 1789.
Un instant historique dramatique où l’État est en déficit chronique, et où les plus riches échappent à l’impôt. « Un régime à bout de souffle. Un peuple à bout de nerfs, qui réclame justice et ne voit rien venir. Un pays riche mais bloqué, en proie aux caprices d’un climat déréglé. Telle est la France à l’été 1789. Jusqu’à ce qu’en une nuit, à Versailles, tout bascule. C’est la Nuit du 4 août. » nous prévient-on.
Des spectateurs placés sur la scène
Joué dans un espace quadrifrontal par un acteur incarnant une dizaine de personnages, L’Abolition des privilèges est un sprint donnant le sentiment que l’Histoire s’est soudainement accélérée. Maxime Pambet, en alternance avec Maxime Taffanel et Oscar Montaz, notamment dont on saluera la performance récitant un long, très long, incroyablement long texte d’une richesse historique sans failles et d’une virtuosité inouïe.
Puis intervient un contradicteur fin observateur de la vie politique française incarné en alternance par Hugues Duchêne Baptiste Dezerces, et Matéo Chichacki, impeccables dans un rôle qui n’est pas un faire-valoir. Et par lequel on plonge dans le récit de violences policières d’aujourd’hui, ou (moment hilarant) dans la présentation de la contraception chauffante, une méthode thermique consistant à augmenter légèrement la température des testicules grâce à la chaleur corporelle à l’aide d’un sous-vêtement adapté. Le tout porté par une compagnie aux aguets des bouleversements sociaux contemporains.
Le Royal velours, une compagnie aux projets royaux
C’est une magnifique troupe qui se déploie ici. Depuis 2017, la compagnie le Royal Velours, basée à Lille, crée des spectacles de théâtre obtenant un vif succès. Celle-ci a été fondée par Hugues Duchêne (formé à l’École du Nord), qui en est toujours le directeur artistique, et metteur-en-scène. Ainsi, « Le Roi Sur Sa Couleur » créé en 2016 s’est joué une quinzaine de fois, « Je m’en vais mais l’État demeure » a réalisé 97 représentations dans plus de 20 théâtres en France et « L’abolition des privilèges» se jouera 56 fois en 2024. Hugues Duchêne est également membre du Pole Européen de Création des Scènes Nationales de Valenciennes et Amiens. Il est à noter que Le Royal Velours a également produit un cours métrage : « Gros Titre » et une performance avec 48K. En dehors de ses spectacles, la compagnie œuvre aussi sur le territoire par de l’action culturelle : intervention dans des lycées (Lille 2018-2020, Valenciennes 2023) ou université (Polytechnique Hauts-de-France, 2022) en dispensant des cours en rapport avec son domaine de spécialité : Prise de parole en public, ateliers d’écritures, et leçon des théâtre dont l’expertise est maintenant reconnue : Hugues Duchêne a notamment été jury du prix Mirabeau (Science-po) 2023. A compter de 2025, Le Royal Velours reçoit le soutien du Ministère de la Culture et de la Communication (conventionnée avec la DRAC Hauts-de-France.
Des virtuoses du jeu
Ce sont donc des virtuoses du jeu et du verbe qui ont monté ce projet. On entend au passage un texte très littéraire mais très théâtral aussi avec des phrases à la coloration voltairienne comme « le siècle est très croyant mais il n’est toujours pas religieux », « On ne voit jamais que les privilèges qu’on n’a pas ». Illustrant l’idée exprimée qu’« en politique le corps compte autant que la parole » la pièce s’impose également par sa mise en scène tout en mouvements permettant aux interprètes de rencontrer le public de l’inviter à se faire une opinion tout en précisant qu’il n’est pas nécessaire de connaître la période historiquement concernée pour goûter à ce bonheur théâtral. Abolissez vos doutes quant à une éventuelle culture défaillante. Ici on s’occupe de tout.
Jean-Rémi BARLAND
« L’abolition des privilèges» au Train bleu – 40 rue Paul Saïn, jusqu’au 24 juillet à 22h25. Réservations en ligne sur theatredutrainbleu.fr