Argent, lutte des classes, secrets de famille, transmission, au menu de « La femme la plus riche du monde », film que le réalisateur Thierry Klifa est venu présenter en avant-première au Cézanne d’Aix-en-Provence.

« La place d’une femme riche n’est pas d’être sur une chaise longue à attendre la mort ». « Il n’y a rien de plus sinistre que le bon goût. » « Je mène la guerre aux mensonges, c’est pour ça que je ne photographie pas les politiques ». « Vous avez déversé sur moi un torrents de bienfaits. C’est pas un piège ça? » « Je suis l’homme qu’on aimerait haïr. » « Il achèterait un cimetière, les gens cesseraient de mourir. » «Votre scandale, c’est votre ADN ». Autant de répliques savoureuses jalonnant le film « La femme la plus riche du monde ». « Je ne le cache pas, c’est bien l’affaire Bettencourt qui est ici librement adaptée », assure le réalisateur Thierry Klifa.
La femme la plus riche du monde, sa beauté, son intelligence, son pouvoir face à un écrivain photographe et son ambition, son insolence, sa folie. Le coup de foudre qui les emporte. Une héritière méfiante qui se bat pour être aimée. Un majordome aux aguets qui en sait plus qu’il ne dit. Des secrets de famille. Des donations astronomiques. Une guerre où tous les coups sont permis… tels sont les matériaux narratifs de cette version fictive d’une des plus troublantes récentes sagas judiciaires ayant entouré la célèbre héritière. Formidablement racontée, sur un scénario de Jacques Fieschi, son histoire se déroule la plupart du temps dans le huis clos d’intérieurs somptueux avec une ambiance rappelant les pièces de Tchekhov. Une maison, des liens de sang transformés en coups de poignards, une certaine mélancolie de vivre, des rapports de femmes. Il y a de « La mouette », et de « Oncle Vania » dans ce long métrage qui ne laisse au spectateur pas une seule minute de répit.
Interprètes inventifs croisés souvent au théâtre
En Liliane Bettencourt devenue ici Marianne Farrère, la comédienne Isabelle Huppert secoue les lignes et rappelle par son interprétation intériorisée et explosive à la fois, sa prestation dans « Huit femmes » de Ozon. En Pierre-Alain Fantin, « le capteur d’héritage » Laurent Laffitte est incroyable d’inventivité, de démesure, de mordant ironique. Son personnage qui n’a de cesse que d’être reconnu à tout prix en voulant voir son nom inscrit partout est rendu aussi très émouvant par la présence à ses côtés, de Joseph Olivennes, qui, sous les traits de son amant, Raphaël d’Alloz, incarne celui qui apaise. Fils de l’actrice Kristin Scott Thomas et du scientifique, François Olivennes -que l’on a vu dans le Off d’Avignon et que l’on retrouvera prochainement aux côtés de Pio Marmaï dans « Le roi soleil »- possède une présence assez magnétique. Marina Foïs, déjà inoubliable dans « Les idoles » sous la direction théâtrale de Christophe Honoré, notamment avec son monologue de plus d’un quart d’heure évoquant la mort de Michel Foucault, est tout simplement lumineuse et méconnaissable s’étant affublée d’une perruque Play-Mobil qu’elle a elle-même choisie.
Autres grands noms du théâtre André Marcon (le mari de Marianne) et Micha Lescot (De Veray), que l’on a vus ensemble sur les planches dans la pièce de Yasmina Reza «James Brown mettait des bigoudis », crèvent l’écran. André Marcon qui joua dans « Guillaume et les garçons à table », le film réalisé par Guillaume Gallienne un de ses complices de la Comédie-Française. Tout comme Raphaël Personnaz, l’inoubliable interprète-narrateur de la pièce tirée du récit « Vous n’aurez pas ma haine », qui campe dans le film un majordome dont la rigoureuse honnêteté va lui faire tout perdre.
N’oublions-pas la présence à l’écran de Mathieu Demy, Anne Brochet (vue au théâtre dans « Architecture » de Pascal Rambert), et même de l’écrivain Paul Gasnier qui vient de signer avec « La collision » un des romans les plus poignants de cette rentrée littéraire. Tout cela pour dire combien le réalisateur Thierry Klifa fait jouer tout le monde avec un esprit de troupe absolument fascinant. Tous les rôles sont d’une intensité égale, et les visages demeurent surprenants de densité.
Musique d’Alex Beaupain
Avec des plans serrés, une narration en forme de thriller qui fait la part belle aux silences, le film doit beaucoup également à la musique magnétique d’Alex Beaupain avec au centre une chanson interprétée par une des comédiennes, et c’est un des moments qui donne la chair de poule. Au final un grand thriller intelligent, sobre qui pose d’ailleurs plus de questions qu’il n’apporte de réponses sommaires. A voir absolument. Sortie en salles le 29 octobre.
Jean-Rémi BARLAND
Sortie en salles le 29 octobre