Chronique littéraire de Jean-Rémi Barland – Rencontre avec l’écrivain-comédien Pierre Berlioux : une écriture à l’épreuve de l’oralité

En la personne de Pierre Berlioux, c’est un artiste multiforme, inventif et généreux que nous avons rencontré avant sa venue le 23 mai prochain à Mandelieu-la-Napoule où lui sera remis le Prix Mimosa d’Argent au concours « Vivons les Mots » qui a récompensé l’audace de son texte « Dark ».

Destimed Pierre Berlioux Photo Maxime Cote
Pierre Berlioux (Photo Maxime Côté)

Né en 1990 en France, ayant passé son enfance au Rivier d’Ornon, un petit village des Alpes, il explore dans son écriture toutes les formes d’expression. Après avoir commencé par le théâtre de rue, il étudie l’art dramatique au conservatoire d’Avignon ainsi qu’au Théâtre Rural d’Animation Culturelle de Beaumes-de-Venise et à l’Académie Internationale des Arts du Spectacle de Versailles. Il se forme auprès des pédagogues Vincent Siano, Carlo Boso et Ivo Mentes. Il s’oriente par la suite vers la machinerie théâtrale et part en apprentissage au Théâtre de Célestins (Lyon) et à la Ferme du Buisson (Noisiel), puis travaille comme constructeur de décors et scénographe. En 2013, il monte une compagnie de théâtre de tréteaux avec Rym Bourezg, Sarah Chabrier et Simon Lapierre, la Comédie du Fol Espoir, basée à Grenoble. Il travaille pendant cinq ans à l’écriture des spectacles de cette compagnie où il est également comédien. Parallèlement, il danse avec Églantine Chauchaix dans les spectacles de rue de la compagnie Les Roses du Pavé, mêlant danse et pantomime. Il passe ensuite cinq ans au Québec où il étudie dans le programme d’écriture dramatique de l’École Nationale de Théâtre du Canada, sous la direction de Diane Pavlovic. De retour en Europe depuis peu, il travaille comme auteur dans les domaines du théâtre, du cinéma, de la fiction sonore, de l’opéra et de la comédie musicale. Et de s’imposer depuis comme un artiste majeur. Entretien.

Comment sont nés les projets des deux pièces L’amour vient du futur et Dark ? Quelles en sont les
spécificités?

Ma pièce L’amour vient du futur est née de mes préoccupations d’insomniaque. La plupart du temps, la nuit, je ne dors pas : j’attends que ça se passe. Plongé dans un univers hybride, qui n’a ni la texture des rêves, ni celle de la réalité, je remodèle et réinvente ma vie et le monde. Cette pièce, une sorte d’auto-fiction déguisée, est une tentative de partager les questions intimes et politiques qui traversent mes nuits. Elle a été mise en scène en 2023 par Véronique Côté et les finissant⋅e⋅s de l’École Nationale de Théâtre du Canada. Le texte est sorti le 8 mai 2025 aux éditions l’Harmattan. Il est écrit en français québécois, avec un glossaire en début d’ouvrage.

Le monologue Dark a été écrit lors la campagne des élections législatives de juillet 2024. C’est un texte pour adolescent⋅e⋅s qui met en scène la résistance de la jeunesse face à l’extrême-droite dans la France rurale. Geste d’écriture spontané, il est difficile pour moi de donner mon intention initiale car je l’ai écrit au fur et à mesure de l’actualité, durant les derniers jours de la campagne. Néanmoins, je pense que la peur de voir le Rassemblement National prendre le pouvoir a été le moteur de l’écriture du texte. Partagée par toutes les générations, cette boule au ventre a permis la mobilisation massive pour faire barrage à l’extrême-droite. J’ai voulu rendre hommage à cet élan politique estival, avec un texte ludique, drôle et accessible, à rebours de la gravité du sujet.
Le texte traitant d’actualité, il m’a paru pertinent de l’adapter en fiction sonore afin de lui offrir une première existence publique, en attendant une création scénique. Avec la comédienne Amandine Barbier et le créateur sonore Victor Page, nous avons réuni une équipe pour enregistrer et monter cette série sonore de dix épisodes de dix minutes, qui sort en même temps que le livre.

Est-ce que ces deux pièces ont enrichi votre univers fictionnel ?

Je ne sais pas quoi répondre! Ces deux projets sont relativement récents et c’est dur d’avoir du recul !

Qu’est-ce que cela vous a apporté, en termes de rencontres, ces deux pièces ?

Dans les deux cas, cela m’a permis de faire passer mes textes à l’épreuve de l’oralité. C’est un formidable outil de réécriture : lorsque j’entends mon texte lu à haute voix pour la première fois, je sais ce que je dois couper, développer ou réécrire. Les équipes de création de la pièce L’amour vient du futur et de la fiction sonore Dark m’ont permis d’améliorer mes textes de manière considérable. Je suis un auteur qui réécris beaucoup lors de la production.

Vous écrivez toujours dans le but que vos textes soient joués?

Oui. Je viens du plateau, de la pratique théâtrale et je pense beaucoup au potentiel de mise en scène lorsque j’écris.

Vous semblez ne pas vous cantonner en un seul genre. Qu’est-ce que vous apporte cette diversité ?

Oui, j’adore travailler pour différents médias : théâtre, cinéma, opéra, comédie musicale et fiction sonore. Les spécificités de ces domaines m’apprennent beaucoup sur les multiples manières d’aborder une histoire. Maintenant, lorsque j’ai une idée, je me demande : quel est le meilleur média pour la mettre en œuvre?

Est-ce qu’il y a des gens des metteurs en scène des comédiens qui vous ont donné envie de faire du
théâtre ?
C’est difficile de répondre à cette question. Je suis un vrai « geek » de spectacles. Au cours des quinze dernières années, j’ai vu plusieurs milliers de spectacles, dans une vingtaine de pays en Europe et en Amérique du Nord. Je suis amoureux de la diversité de ce que l’humain peut produire sur une scène, des shows de drag-queen aux tragédies grecques. Beaucoup de ces spectacles m’ont marqué, tant émotionnellement qu’intellectuellement et m’ont motivé à écrire. Mais pour vous répondre, je pense que mes deux portes d’entrée vers le monde du spectacle ont été le théâtre de rue et l’éducation populaire, deux domaines que je chéris particulièrement.

Vous dites avoir été marqué dans votre travail et votre perception du monde par vos rencontres et la découverte de différents spectacles dont notamment des shows de drag-queen… La question du genre et celle de l’identité sexuelle ont-elles une importance au cœur de votre écriture ?

Oui et non. J’écris à partir de ce que je connais et des personnes que je fréquente. Dans mon entourage, qu’il soit personnel ou professionnel, il y a beaucoup de personnes queer, qui inspirent naturellement certains de mes personnages. Pour autant, l’identité sexuelle ou de genre n’est jamais le thème central de mes pièces ou de mes scénarios, tout simplement parce que d’autres le font bien mieux que moi. Je préfère laisser cette place aux auteur.ices directement concerné⋅e⋅s. En tant qu’homme hétéro, c’est la moindre des choses d’écouter et de comprendre avant de prétendre représenter. Cela ne m’empêche pas de collaborer à des projets explicitement queer lorsque j’y suis invité, mais toujours en veillant à trouver ma juste place.

Qu’est-ce qu’une grande pièce et un grand metteur en scène ?

Il y a mille façons d’être grand⋅e ! Les grandes pièces auxquelles je pense sont si variées qu’il me semble difficile de leur trouver un dénominateur commun. Pareil pour les mises en scène.

Vos projets ?

En ce moment, je travaille sur l’écriture d’un triptyque d’opéra de chambre, intitulé Motel Insomnie, avec le compositeur cubano-canadien Luis Ernesto Peña Laguna. Un extrait du premier opus, Barbara, a été présenté à Montréal en août dernier lors du festival Oper’actuel. Je suis actuellement en Espagne où j’écris le livret des deux autres opus. Parallèlement, je travaille avec ma coscénariste québécois⋅e, Jean-Nicolas Bertouille-Blais, sur deux courts-métrages, Reines de soirée et Retour à Tadou, en développement chez Vital Productions. Enfin, j’ai écrit une ébauche de comédie musicale, La face cachée de la Terre, avec le compositeur Martin Berlioux, mon frère. Cette ébauche a été mise en lecture et en musique au festival Jamais Lu de Montréal au printemps dernier. Nous sommes actuellement à la recherche d’une compagnie pour la produire.

Où est-ce qu’on peut vous retrouver en Paca prochainement ?

Mon texte Dark a reçu le Mimosa d’Argent du concours Vivons les mots. Je serai à Mandelieu-la-Napoule le 23 mai 2025 pour la remise des prix.

Jean-Rémi BARLAND

La cérémonie de remise des prix du concours Vivons les mots aura lieu le vendredi 23 mai à 19h à l’Espace Léonard de Vinci à Mandelieu-la-Napoule.

– Le lien vers le livre L’amour vient du futur

– Le lien vers le livre Dark

– Le lien d’écoute vers la fiction sonore Dark

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