Rétrospective. Entretien. Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse: la règle de trois de Laurent Roy

Publié le 31 décembre 2021 à  13h30 - Dernière mise à  jour le 1 novembre 2022 à  16h47

Laurent Roy, directeur général de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, était présent au Congrès mondial de la nature, occasion pour lui de témoigner du rôle de l’Agence de l’eau qu’il dirige. Il évoque notamment la stratégie mise en œuvre pour préserver l’eau, dans ses 3 composantes, la qualité, la quantité et l’écologie. Entretien.

Laurent Roy, directeur général de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse © Mireille Bianciotto
Laurent Roy, directeur général de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse © Mireille Bianciotto
Il y a 6 Agences de l’eau en France, à quoi servent-elles et surtout comment sont-elles financées ? Les Agences de l’eau sont des agences publiques de l’État, sous la tutelle du ministère de la transition écologique. Nous sommes organisés par grand bassin versant. Donc ici, l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, recouvre tout le territoire qui est le bassin versant français de la Méditerranée. Toutes les eaux françaises qui vont dans la Méditerranée, dont le bassin du Rhône, les fleuves côtiers, languedociens, provençaux et corses. Et sur son territoire, chaque agence de l’eau prélève des redevances -qui sont des taxes qui ont le statut d’impôt-qui sont l’application du principe pollueur payeur, c’est à dire que plus on pollue l’eau, plus on paie de redevance à l’agence de l’eau. Plus on prélève de l’eau, plus on consomme de l’eau, plus on paie de redevance à l’agence de l’eau. Et avec l’argent ainsi collecté, les agences de l’eau vont financer des projets, qui vont vers le bon état des eaux, qui servent à la reconquête du bon état des eaux.

Les enjeux de quantité d’eau deviennent de plus en plus prégnants, avec le changement climatique.

Que dire des enjeux de quantité d’eau? La quantité de l’eau fait partie des critères du bon état. Le bon état des eaux c’est 3 grandes composantes: c’est à la fois la qualité de l’eau, c’est à dire lutter contre la pollution; c’est la quantité d’eau, c’est aussi réussir à partager la ressource en eau, de manière équilibrée; c’est enfin sauvegarder les milieux humides et littoraux et préserver la biodiversité. Évidemment, les enjeux de quantité d’eau deviennent de plus en plus prégnants, avec le changement climatique qui entraîne une plus grande évaporation de l’eau; des plantes qui vont consommer plus d’eau, transpirer davantage et cela veut dire des épisodes pluvieux, la cas échéant, catastrophiques, intenses que l’on connaît bien sur le pourtour méditerranéen. Mais aussi, des périodes de sécheresse plus longues, plus fréquentes, plus intenses. On a aussi la baisse de l’enneigement hivernal qui atteint la ressource en eau. Parce que quand il neige, cette dernière va fondre au printemps et en début d’été, donc cela va alimenter les cours d’eau au moment où le niveau est bas. Alors qu’avec le réchauffement, la pluie tombe plutôt l’hiver, elle va ruisseler et elle ne servira pas en soutien de l’étiage, au moment du printemps ou au début de l’été.

« La mobilisation de tous, sur le territoire »

J’imagine que vous avez une stratégie qui change, car comment préserver l’eau, pour les générations futures ? Cela se fait la fois au niveau très général, sur le grand versant de la Méditerranée, on fait ce qu’on appelle un Sadge, Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux, d’une durée de 6 ans. Il se trouve qu’on est en train d’en finaliser un, qui doit être opérationnel pour la période 2022-2027. Les grands principes qu’il faut mettre en œuvre pour atteindre le bon état dans ces trois composantes, la qualité, la quantité et les milieux. Et puis, plus précisément en ce qui concerne les problèmes de quantité, on a développé un outil, il y a bientôt 6 ans, sur le bassin Rhône Méditerranée, qui est le « Plan de gestion de la ressource en eau ». Les principes sont les suivants: sur un bassin versant où la ressource est déficitaire ou en tension, on réunit tous les acteurs pour partager un diagnostic technique afin de mettre en place un plan d’action qui commence avec des économies tous azimuts. Il faut lutter contre les gaspillages, contre les pertes dans les réseaux d’eau potable, faire évoluer les techniques d’irrigation pour qu’elles soient moins consommatrices d’eau, privilégier le recyclage de l’eau, réutiliser l’eau traitée, pour les usages qui le permettent, plutôt que de pomper, toujours, davantage dans la ressource. Il faut développer les solutions fondées sur la nature, les zones humides par exemple. Elles ont un rôle important, pour stocker l’eau quand il y en a et la recharger quand il n’y en a pas. Toujours dans les solutions fondées sur la nature, on peut citer la désimperméabilisation, laisser l’eau s’infiltrer dans le sol pour recharger les eaux souterraines, plutôt que l’eau ruisselle et s’en aille. Bref, tout un panel de solutions qui va permettre de revenir à l’équilibre et cela passe par la mobilisation de tous, sur le territoire.

«Réduire et éliminer les substances chimiques diffuses»

Il y a les rivières, elles font partie de notre vie, sont dans les paysages. D’abord dans quel état sont-elles? Est-ce qu’il y a une bonne qualité d’eau dans nos rivières et y-a-t-il donc de la vie? Il y a des progrès mais beaucoup reste à faire. La directive Cadre sur l’eau nous impose un objectif de 100% de bon état pour tous les cours d’eau, pour toutes les masses d’eau. On est environ à la moitié des cours d’eau, des masses d’eau qui sont actuellement en bon état. On a progressé, en matière de qualité, parce que les pollutions émanées autrefois des agglomérations. Il y a encore 20 ou 30 ans beaucoup d’agglomérations envoyés leurs pollutions, les eaux usées, leurs bennes, sans traitement, dans les rivières, dans la mer. Ce n’est, maintenant, en règle générale, plus le cas. Il y a des systèmes d’assainissement qui fonctionnent. Ces systèmes d’assainissement sont-ils tous aussi efficaces? On a à Marseille et dans les communes environnantes, cette Géolide gigantesque, est-ce qu’il ne faut pas viser plus petit ? Cela dépend où, cela dépend comment. Géolide est un bel outil qui fonctionne bien et qui atteint de bons résultats d’épuration. Après, quand vous êtes dans des secteurs à urbanisation moins dense, on a toute une série de techniques qui permettent, aussi, d’assainir les eaux usées. Il y a une combinaison de solutions qui permet de traiter les effluents de manière efficace. On a beaucoup progressé dans la mise en œuvre, même si tout n’est pas fait. En revanche, il reste un enjeu majeur de qualité: les substances chimiques diffuses qui se rejettent dans les milieux, cela peut être les plastiques et les microplastiques, cela peut être les pesticides sur le terrain agricole, les médicaments, humains ou vétérinaires, d’ailleurs, cela peut être toute une série de substances qui sont produites dans les cosmétiques… et tout cela c’est encore un défi, qui est devant nous, en termes de qualité. Justement est-ce que vous ne pouvez-pas soutenir des actions, par exemple, comme la surveillance des berges, qui ne font pas l’objet d’épandages agricoles ? Il y a des services de police de l’eau, tout d’abord, c’est l’Office français de la biodiversité qui en a notamment la charge ainsi que les services de l’État, autour de la Direction départementale des territoires. Il y a des structures de gestion des cours d’eau, les syndicats de rivière… qui sont en charge du bon fonctionnement de la rivière, de sa bonne gestion. C’est d’ailleurs bien structuré dans une région comme Provence-Alpes-Côte d’Azur. On a un beau réseau, le Réseau régional des gestionnaires des milieux naturels aquatiques (RRGMA) Provence-Alpes-Côte d’Azur, des rivières, des bassins versants, donc on a pas mal de choses qui sont en place, mais il faut faire plus…

Plastique: «la France est plutôt en avance»

Le consommateur peut réduire sa consommation de plastique mais pourquoi produit-on encore du plastique ? Il y a aussi une action normative et la France est plutôt en avance, en la matière. En effet, la France a pris des décisions courageuses, je pense, d’interdiction, d’abord des sacs plastique, ensuite, interdiction de tous les matériaux plastiques à usage unique: les fourchettes en plastique, les pailles, les gobelets, donc il y a eu un gros effort normatif pour réduire. On peut encore aller plus loin, en développant aussi, des plastiques de nouvelle génération qui se décomposeront plus facilement. Oui, il y a encore à faire, mais la norme accompagne cette évolution.

Pousser le consommateur à agir pour l’eau mais aussi changer de modèle agricole

Dernière question, est-ce qu’il ne faudrait pas dire au public qu’il faut payer davantage, mais il n’est peut-être pas prêt ? Ce n’est pas si sûr que ça. Je pense qu’une bonne partie des consommateurs, à condition bien entendu de le pouvoir financièrement, sont prêts. Actuellement, dans le panier du consommateur, les produits strictement alimentaires représentent une proportion assez faible. Sur cette partie-là, le fait de pouvoir payer un peu plus pour une production agricole plus respectueuse de l’environnement, de la santé, de proximité locale peut avoir un impact. Mais tout ne passe pas non plus, par le consommateur. Il faut des aménagements, des décisions politiques, notamment en faveur de la transition agricole… Propos recueillis par Mireille BIANCIOTTO [(son_copie_petit-498.jpgEntretien avec Laurent Roy, directeur général de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse 210906-002_laurent_roy.mp3)]

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