Créée à Luma Arles le 6 juillet dernier, la production de « The Nine Jewelled Deer » a voyagé jusqu’au Théâtre du Jeu de Paume aixois pour y être donnée trois fois. Quant au concert de l’orchestre symphonique de la radiodiffusion bavaroise dirigé par Sir Simon Rattle il a permis d’entendre un Bruckner tellurique.
Biche oh ma biche…
Après Billy Budd en début de festival, la deuxième création mondiale de cette édition 2025 rejoignait le théâtre du Jeu de Paume à Aix-en-Provence après un séjour arlésien. Une biche aux neuf bijoux, opéra de chambre, trouve son origine dans le Ruru Jātaka, l’un des 500 contes qui narrent les vies antérieures de Bouddha ; à l’image de notre monde, un homme est entrain de se noyer; la biche aux neuf bijoux, qui vivait cachée dans la forêt, va le sauver avec pour condition que son existence ne soit jamais révélée à quiconque. Cupide, l’homme vendra la mèche au roi… La deuxième source d’inspiration, l’auteure de la pièce, Ganavya Doraiswamy, l’a trouvée dans la vie de sa grand-mère Seetha, créatrice, entre autres, du « Kitchen orchestra » ensemble ouvert aux femmes et aux marginalisés permettant d’exorciser des expériences traumatiques à travers la musique et le chant. La troisième source est un texte qui prône l’ouverture de la doctrine bouddhiste au plus grand nombre. Un travail auquel ont pris part Lauren Groff pour le texte, Sivan Eldar pour la musique et Peter Sellars pour la mise en scène.
Plus qu’un opéra de chambre, la forme est proche d’un rituel orchestré autour de quelques bols de cuisine posés à même le sol où prennent place les intervenants, voix et instruments, sur des coussins et des tapis. Le plateau est dénudé avec un seul panneau de fond coloré et lumineux. Sur scène, Ganavya Doraiswamy organise la prière invitant le public à l’accompagner à mi-voix en psalmodiant un refrain incantatique en langue tamoul. La composition musicale de Sivan Eldar mêle classique, free jazz et musiques indiennes avec quelques temps forts comme un solo intense de Sonia Wieder-Atherton au violoncelle ou celui du percussionniste Rajna Swaminathan. Point d’orgue de la représentation, le duo final entre l’ancienne et la nouvelle génération, soit Ganavya Doraiswamy et Aruna Sairam, est un échange lumineux et puissant. Dépaysement assuré et, pour celles et ceux qui le désiraient, entrée en méditation garantie autour de l’avenir de notre monde en compagnie d’une biche…
Bruckner fascinant et tellurique
Ce mercredi 16 juillet, le Grand Théâtre de Provence affichait complet pour le concert du Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, soit en français l’orchestre symphonique de la radiodiffusion bavaroise dont Sir Simon Rattle est désormais le directeur musical pour cinq ans. Au programme « Atmosphères », une composition de Ligeti (1961) et le « Prélude de Lohengrin ». Deux œuvres que le directeur musical a eu la bonne idée d’enchaîner profitant du decrescendo final de la première et de l’attaque paisible du prélude wagnérien. Une quasi fusion intelligente démontrant qu’en musique, parfois, à cent ans d’intervalle, il peut exister des fils rouges sensibles et puissants entre deux œuvres.
Puis, à l’issue de ces vingt minutes de prélude, les musiciens et leur directeur abordaient la pièce maitresse du concert, à savoir la Symphonie n°9 en ré mineur, œuvre inachevée d’Anton Bruckner qu’il dédie « à Dieu » neuf ans avant sa mort. Point de partition devant Simon Rattle qui irradie l’interprétation avec émotion et puissance détaillant avec précision et passion les moindres subtilités de la partition. Pour servir ce moment entre fascination et tremblement de terre, le directeur musical bénéficie d’une centaine d’instrumentistes qui ne sont pas loin de l’excellence. Les cordes forment comme une mer tantôt paisible, tantôt tempétueuse, pizzicati impeccables et attaques précises, un octuor de contrebasses exceptionnel et des violons qui le sont tout autant. Sur le praticable, bois, cuivres et percussions vibrent et tonnent pour procurer une densité exceptionnelle à une composition colossale. Immense ! Et apprécié…
Michel EGEA