Festival de La Roque d’Anthéron : la plénitude inspirée du duo Geniushene Geniusas

Bénéficiant d’un répertoire spécifique exaltant avec gourmandise les beautés redoublées de l’instrument, la musique pour deux pianos est également la traduction la plus aboutie de l’orchestre symphonique, en tant que transcription ou à l’inverse comme étape préliminaire à l’orchestration.

Anna Geniushene et Lukas Geniusas   au Festival de piano de La Roque d'Anthéron
Anna Geniushene et Lukas Geniusas ©-Valentine-Chauvin-2023

Vu l’envergure de carrière des deux pianistes annoncés, c’est très logiquement que le public de la Roque d’Anthéron se préparait dans cette perspective à goûter pleinement un répertoire centré sur Rachmaninov, la soirée s’ouvrant sur une transcription par lui-même du ballet « La belle au bois dormant» composé par son mentor Tchaïkovsky.

D’emblée, la richesse du jeu du couple musicien s’est imposée, soulignant le raffinement d’écriture d’une musique qui dépasse largement un simple accompagnement chorégraphique. Phrasé, homogénéité sonore, style, tout y était, comme déjà en germe du déploiement qui allait irradier le reste du concert.

La première suite de Rachmaninov allait en effet encore épanouir la projection pianistique de ce duo russo-lituanien. On peut logiquement s’attendre, et ce fut le cas, à ce qu’un ensemble familial implique un dosage parfait des plans sonores et une unité de conception globale. Mais dans un tel bloc, un couple est aussi la somme de complémentarités. De fait, un dialogue fructueux s’est installé entre un Lukas Geniusas maître avec brio des équilibres et de l’architecture et une Anna Geniushene entrant davantage physiquement dans le flot musical, au point de devenir musique elle-même, creusant tous deux les abîmes dramatiques de pages à couper le souffle.

Ce fut alors comme si le son envahissait dans un rayonnement absolu l’espace du parc de château de Florans, donnant toute sa dimension au répertoire proposé. Oui, les cloches qui traversent si souvent l’œuvre de Rachmaninov sonnaient en phase totale avec ce lieu de plein air, une simple note suffisant parfois à mettre en vibration l’ensemble de l’atmosphère tout en médusant les cigales elles-mêmes.

Toujours au même niveau de perfection musicale, les « Danses symphoniques », grande partition testamentaire du compositeur, sans complaisance et à l’écriture parfois si mystérieuse, signèrent en deuxième partie une version de référence. Et paradoxalement, au-delà de l’allusion aux séductions orchestrales, les interprètes en parachevèrent une manière de glorification du piano, par leur investissement jusqu’au bout ultime de leur approche.

Le public enthousiasmé obtint deux bis, un quatre mains de Rachmaninov et une pièce presque décalée du compositeur russe contemporain Leonid Desyatnikov.

Rappelons qu’entre autres (nombreux) prix prestigieux, Lukas Geniusas a été 2e prix du concours Tchaïkovsky et Anna Geniushene médaille d’argent (derrière un Coréen) du tout dernier concours Van Cliburn.

Quel art de la musique et du piano, par un rapport au clavier totalement investi, dans la pression et la souplesse, d’où quelque dureté que ce soit est bannie, la caisse de résonance dégageant alors toute son ampleur et toute sa puissance insoupçonnées !

Chers collègues pianistes, prenons-en de la graine, le duo Geniushene Geniusas a prouvé dans ce concert mémorable combien le plein air peut se révéler autre chose qu’un espace contraint, en exaltant triomphalement la grandeur et la plénitude de la musique.

Philippe GUEIT

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