La chronique cinéma de Jean-Rémi Barland : Agnès Jaoui et William Lebghil, inoubliables dans «La vie de ma mère», le premier film de Julien Carpentier

Agnès Jaoui et William Lebghil comme vous ne les avez jamais vus. Apparaissant de bout en bout à l’écran puissants et exemplaires de sobriété. Bouleversante, exceptionnelle, inoubliable, la comédienne incarne dans ce premier long métrage signé Julien Carpentier, Judith, qui, bipolaire a été internée en hôpital psychiatrique et placée sous la tutelle de son fils Pierre, un fleuriste de 33 ans.

Destimed Julien carpentier a Aix
Julien Carpentier a présenté en avant-première au Renoir d’Aix-en-Provence son film porté par un quatuor d’interprètes magiques. (Photo Franck Roulet)

D’une vérité confondante, elle rappelle sous bien des aspects Gena Rowlands l’héroïne de «Une femme sous influence » le film de John Cassavates. Si Agnès Jaoui bouleverse, (son interprétation dans le film de « Fais moi une place » de Julien Clerc demeure un moment suspendu hors du temps), signalons la perfection du jeu de William Lebghil, il est ce fils inquiet que l’on découvre éperdu d’amour et lui aussi nous fait passer du rire aux larmes. Alison Wheeler dans le rôle de Lisa, l’amoureuse de Pierre, et Salif Cissé, l’associé du fleuriste, au sommet eux aussi, sont loin d’être des faire-valoir. Émotion intense donc, ressentie à la vision de ce long métrage exceptionnel de densité qui dévoile son contenu par touches successives.

« Le nom de jeune fille de ma mère, c’est Jaoui… »

« Ce film j’y pensais depuis longtemps, et au départ cela devait être un cours métrage», explique Julien Carpentier qui précise: « J’en ai parlé à Agnès Jaoui qui m’a répondu qu’elle ne pouvait faute de temps tourner dans des films de ce format. Je lui ai donc proposé de transformer mon histoire en un long métrage, Cela l’intéressa et Agnès m’a donné son accord après la lecture du scénario». Julien Carpentier  dévoile: « Je voulais absolument que cette grande comédienne qui m’impressionne à chaque film fasse partie du projet» car, poursuit-il: «Ma mère qui n’a aucun lien de parenté avec Agnès a pour nom de jeune fille… Jaoui. »

On n’est pas loin non plus ici de la comédie italienne des années Risi, Monicelli, Scola, où derrière le rire fuse une larme. Une histoire simple au demeurant jamais simpliste. Pierre, 33 ans, fleuriste à succès, voit sa vie basculer lorsque sa mère, Judith, fantasque et excessive, débarque dans sa vie après deux ans sans se voir. Pierre n’a qu’une idée, reprendre le cours normal de son existence mais rien ne se passe comme prévu. Leurs retrouvailles, aussi inattendues qu’explosives, vont transformer Pierre et Judith à jamais. Mis en scène avec tact, pudeur et panache, servi par la divine musique de Dom La Nena qui intervient souvent dans le récit lors de plans fixes montrant les éléments naturels chargés de signaler ce que pensent les personnages ce road-movie d’amour familial où le fils devient un peu pour cause de maladie le père de sa mère, offre des gros plans sur les visages à tomber par terre.

Avec une narration qui prend son temps, mais qui s’abstient de toute lenteur, ce film joyeux et grave offre des moments sublimes, et permet au spectateur d’entendre « Les yeux de ma mère», la chanson d’Arno. La question de la bipolarité, et du handicap en général, les notions de pardon, de résilience, de tolérance, et d’acceptation de l’autre, Julien Carpentier en parle sans s’appesantir et sans discourir, mais en montrant sans démontrer. Une réussite cinématographique autant que narrative.

Jean-Rémi BARLAND

« La vie de ma mère » de Julien Carpentier sortira en salle le 6 mars 2024.

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