La chronique cinéma de Jean-Rémi Barland – « Hors saison » de Stéphane Brizé  « Deauville sans Trintignant »

Le réalisateur  Stéphane Brizé et  sa coscénariste Marie Drucker ont présenté le film « Hors saison » en avant-première au Cézanne d’Aix-en-Provence.

Destimed Marie Drucker et Stephane Brize Photo Jean Remi BARLAND
Marie Drucker et Stéphane Brizé ont présenté en toute complicité au Cézanne d’Aix « Hors saison » film comme suspendu entre terre et ciel. Photo Jean-Rémi Barland

Dans son film « Un autre monde » Stéphane Brizé avait choisi de placer dans le générique final la chanson d’Anne Sylvestre « Les gens qui doutent ». Un chef d’oeuvre qu’avait interprété aussi Vincent Delerm dans un enregistrement public aux côtés d’Albin de La Simone et Jeanne Cherhal. Très lié à la chanteuse par ses parents (Philippe Delerm, le père de Vincent avait fait sa demande en mariage à Martine qui deviendra sa femme en lui chantant « Un cœur sur les bras » d’Anne Sylvestre) ), Vincent Delerm signe la musique originale de « Hors saison » le nouveau film de Stéphane Brizé co-écrit avec Marie Drucker.

Ce n’est pas très étonnant de retrouver les uns et les autres dans ce long métrage dont l’action se situe hors-saison (comme son titre l’indique) dans un centre de thalassothérapie en bord d’océan. Ajoutons, et cela concerne le travail de Stéphane Brizé avec le chanteur que Vincent Delerm dans «Fanny Ardant et moi» écrivit: «Elle est posée sur l’étagère, entre un bouquin d’Eric Holder, un chandelier blanc Ikea et une carte postale de Maria. » Eric Holder, écrivain trop tôt disparu qui vécut à Aix-en-Provence où se déroule l’action de son roman « L’homme de chevet » est de plus l’auteur de « Mademoiselle Chambon » une magnifique fiction adaptée au cinéma par… Stéphane Brizé en personne. Une affaire de famille donc… en tout cas d’admiration réciproque.

Des personnages décalés et qui doutent

Disons d’emblée que le réalisateur a été très inspiré de confier la musique de « Hors saison » à Vincent Delerm qui n’illustre jamais les plans en faisant de la paraphrase mais qui souligne en quelques notes la beauté de situations de bord d’océan en faisant respirer les silences du texte et en sublimant les gros plans sur des personnages qui doutent. Des personnages se sentant quelque peu dérisoires décalés, « comme des points dans une image, comme des petits personnages de Sempé. »Des personnages filmés souvent de dos, et souvent volontairement écrasés par une caméra qui se fait arpenteuse de leurs incertitudes face au déroulé de l’existence.

Un film qui prend son temps

Pour leur première collaboration d’écriture Stéphane Brizé et sa co-scénariste Marie Drucker que l’on a vu en tant qu’actrice dans « Un autre monde », autre film bouleversant du réalisateur, ont multiplié les beautés narratives de ce long métrage extrêmement émouvant qui prend son temps. L’ambiance et l’esthétique de « Hors saison » rappellent en fait « Deauville sans Trintignant » une autre chanson de Vincent Delerm. On y met en scène un comédien célèbre prénommé Mathieu qui n’est autre que Guillaume Canet jouant quasiment son rôle, qui lui ressemble donc trait pour trait et dont on ne donne jamais le nom, mais qui signe des autographes aux fans (essentiellement des femmes) qui l’ont reconnu. Il semble dans cette station balnéaire au bout du rouleau. Pas celui transportant des déferlantes s’abattant sur le rivage les jours de tempête, mais rythmant sa vie dont il voudrait bien volontiers redessiner les contours. Venant d’abandonner son projet de monter sur les planches pour la première fois, en rompant son contrat avec le théâtre, et les producteurs qui l’avaient engagé, cet homme assez seul retrouve dans le centre de Thalasso, une femme dans la quarantaine se prénommant Alice qu’il a profondément aimée, et qu’il a (on le comprendra assez vite) abandonnée. Celle-ci s’est mariée, a eu une fille, mais ne l’a pas oublié. Lui non plus d’ailleurs et leur union ancienne qui ne demande qu’à renaître trouvera-t-elle en leur fusion charnelle un nouvel élan ? C’est un des enjeux du scénario qui offre une fin ouverte des plus émouvantes.

Sublime Alba Rohrwacher dans le rôle d’Alice

 Pour porter ce film où des acteurs non professionnels sont placés au centre d’une scène de mariage inoubliable lors de laquelle Johnny Rasse et Jean Boucault, chanteurs d’oiseaux que l’on a applaudi autrefois à La Roque d’Anthéron aux côtés de la pianiste Shani Diluka, apparaissent dans un moment féérique comme suspendu entre terre et ciel. Instant magique aussi que cette longue confession totalement écrite et totalement fictive, de cette vieille dame racontant sa vie face à la caméra.

Question mise en scène tout est ici au cordeau, porté par des dialogues plus vrais que nature, où alternent poésie et réalisme. Et puis il y a le duo Guillaume Canet comme on ne l’a jamais vu, et Alba Rohrwacher, absolument sublime dans le rôle d’Alice. Actrice italienne exceptionnelle qui rappelle ici Romy Schneider dans « Une histoire simple » de Claude Sautet elle est tout simplement inoubliable. C’est aussi du côté de Lelouch celui du film « Le chat et la souris » que fait songer une scène de rire dans un salon de thé et qui se situe au début du film. Pas de volonté de copier ici qui que ce soit, Stéphane Brizé en maître artificier des sentiments humains signe donc un nouveau film hors du temps, hors saison, dont on ressort chamboulés. Marie Drucker qui a enrichi de son écriture les rapports entre cette femme qui s’est effacée et cet homme qui s’est quelque peu perdu à fréquenter la gloire et le succès apporte un regard très féministe au film de Stéphane Brizé qui de toute manière l’est tout autant.

Comme une sonate de Schubert

Un film qui ressemble à une chanson de Delerm mais aussi à une sonate de Schubert. Principalement la sonate en la mineur « Arpeggione » D 821 où se répondent violoncelle et piano. Piano dont joue Alice et qui est montré parfois par le cinéaste enclenchant les notes tout seul, sans personne au clavier. C’est beau, c’est puissant, c’est dit mezza-voce sur le ton de la confidence, tant il est vrai comme l’ont compris les auteurs du film que ce n’est pas parce que les gens crient qu’ils disent des choses importantes.

Jean-Rémi BARLAND

« Hors saison » le film de Stéphane Brizé sortira en salle le 20 mars 2024.

 

 

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