Accompagné de la comédienne Galatea Bellugi, le cinéaste Jérôme Bonnell est venu présenter au Mazarin d’Aix-en-Provence « La condition » son nouveau film tiré de « Amours » un roman de Léonor de Recondo.

Grande émotion au Mazarin d’Aix qui recevait Jérôme Bonnell venu présenter en avant-première « La condition » un film social proche de l’univers de Maupassant tiré d’un roman de Léonor de Recondo. La dernière fois que le cinéaste était venu professionnellement dans cette ville c’était en mars 2007 où, accompagné de Jean-Pierre Darroussin, il fascinait son auditoire avec son « J’attends quelqu’un ». Une comédie dramatique dans laquelle ce dernier incarnait Louis, un patron de café, et père divorcé, qui éprouvera pour Sabine (Florence Loiret-Caille) plus que l’affection. On trouvait à ses côtés Emmanuelle Devos qui jouait Agnès la sœur de Louis dans le film, avec comme chef opérateur Pascal Lagriffoul expert en l’art de transformer chaque plan en un tableau de maître. Ce qui est encore le cas dans « La condition » où ce dernier signe des images d’une beauté formelle rare. Emmanuelle Devos est également présente au générique de « La condition » dans le rôle muet de Mathilde qui touche au cœur. Ce personnage de femme handicapée, n’existe pas dans le livre « Amours » de Léonor de Recondo et il devient sous la caméra de Jérôme Bonnell l’élément humain le plus frontal du film. « Je voulais travailler là encore avec Emmanuelle Devos, et j’ai loué sa générosité et son enthousiasme de jouer ce rôle sans paroles, où elle est impressionnante », précise Jérôme Bonnell.
« J’ai eu mille occasions de ne pas faire ce film »

Largement adapté d’un texte terriblement poignant dont il a changé l’épilogue de fond en comble, « La condition » explore, comme c’est souvent le cas chez Jérôme Bonnell, la manière dont la société façonne les rapports entre les hommes et les femmes. La relation complexe et violente entre les personnages demeure un thème central du film qui peut s’apparenter au roman de Maupassant « Une vie ». « J’ai eu mille occasions de ne pas faire ce film », a précisé Jérôme Bonnell qui avoue avoir a eu dès sa sortie, le coup de foudre pour le roman de Léonor de Recondo. Il ne s’est décidé à l’adapter que des années plus tard, frappé par la concordance du propos du livre avec la libération de la parole féminine. Il raconte: «Le livre m’avait énormément impressionné. J’avais éprouvé une empathie folle pour les personnages féminins, mais il s’est passé beaucoup de temps entre ma lecture, le vrai déclic du désir de l’adapter, puis l’écriture du scénario, car j’avais toujours un autre film à faire entre-temps. Plus le temps avançait, plus l’envie était tenace. J’ai fini par en écrire une première version en 2021 et quatre ans plus tard, le film est enfin là».
Ainsi Jérôme Bonnell a développé une vision personnelle de la résonance entre le roman du début du XXe siècle et les débats contemporains. « La condition » raconte l’histoire de Céleste, bouleversante Galatea Bellugi, une jeune bonne employée chez Victoire (Louise Chevillotte), épouse qui se voudrait modèle d’André incarné par un Swann Arlaud au sommet de son art.
« Je te protégerai en tant que comédien »
Le personnage d’André, incarné par le le brillant Swann Arlaud (récompensé aux César pour « Petit Paysan », « Grâce à Dieu » et « Anatomie d’une chute ») est un homme «bien sous tous rapports». « Tiré à quatre épingles, courtois et délicat, il incarne une bourgeoisie masculine d’apparence impeccable, dont les pratiques intimes sont pourtant brutales », est-il souligné. André viole son épouse, Victoire, mais aussi sa gouvernante, Céleste. Et puis il y a Mathilde, la mère d’André avec qui ce dernier entretient une relation silencieuse mais brutale, faite de mutisme, de rejets, de refus… Rôle de composition pour Swann Arlaud, tant on sait combien le comédien que l’on vit débuter sur les planches au Jeu de Paume d’Aix aux côtés de Isabelle Carré, dans « Une femme à Berlin » mis en scène par sa mère Tatiana Vialle, et qui demeure inoubliable dans « Trahisons » de Pinter là encore dirigé par elle, s’est toujours investi contre les violences faites aux femmes. Avec des prises de position claires, nettes, précises, engagées. Au sujet de son jeu avec Galatea Bellugi, la comédienne et le réalisateur ont rappelé la phrase que Swann Arlaud prononça sur le tournage en direction de la jeune comédienne: « Mon personnage dans le film ne te protège pas, mais moi en tant qu’acteur je vais te protéger ». Belles paroles bien dans l’esprit de l’éthique de ce comédien, grand, digne et droit. Propos poignants pour une œuvre forte, intense, où les gros plans viennent après les plans larges, et qui traite autant de la lutte des classes, que des rapports de désir et d’amour.
Une nouvelle forme de représentation de la violence masculine
Deux ans après « Le consentement » de Vanessa Filho, « La Condition » s’inscrit, elle aussi, dans cette nouvelle forme de représentation de la violence masculine. Une position que le cinéaste justifie comme une nécessité de montrer qu’un violeur ne ressemble pas «à l’image qu’on s’en est trop faite : celle d’un diable qui se promènerait un couteau entre les dents, guettant sa victime au coin d’une ruelle sombre», indique-t-il avant de signaler que selon lui : « Un violeur, c’est parfois un type sympathique, sensible, drôle, poli, qui aime ses parents et ses enfants. Un violeur pleure, un violeur s’excuse, un violeur fait culpabiliser ses victimes». Mais loin d’être le fruit d’un discours « La Condition » est un film romanesque, une leçon de cinéma, subtile, et d’une intelligence absolue. César de la meilleure révélation féminine, et César de la meilleure actrice dans un second rôle Galatea Bellugi est inoubliable. Tout comme celles et ceux, comédiens, et techniciens réunis qui nourrissent de leur talent ce film lui aussi exemplaire et ô combien utile. Et qui offre une fin… très optimiste.
Jean-Rémi BARLAND




