La musique n’adoucit pas la génération War and hate par Guy Konopnicki
Le keffieh, dernier accessoire tendance, l’insigne représentant un pays imaginaire situé du Jourdain à la mer, ne sont pas les seuls accessoires de la Palestine fashion, qui tente de survivre aux croisières estivales et, surtout, à la libération des otages, et à la recherche d’une issue pacifique. C’est si chic d’être propalestinien, qu’il serait dommage de déposer les armes déployées dans toute l’Europe, quand bien même le Hamas serait contraint de renoncer aux siennes.
La génération War and hate doit continuer d’avancer sous le drapeau palestinien, elle n’a pas fini d’effacer ses grands-parents Peace and love, avec leurs guitares folks reprenant Joan Baez, Bob Dylan et Leonard Cohen. Elle a vu l’histoire se retourner, le 7 octobre 2023, par l’attaque d’un festival de musique, suivie du massacre de communautés pacifiques nées des anciennes utopies. Cette génération a vécu deux années merveilleuses, de rassemblements haineux en appels à l’exclusion, et à l’interdiction de toute expression « sioniste ».
Le boycott d’Israël n’étant pas mentionné dans le plan Trump, la guerre peut continuer, en visant les artistes. En dépit des défaites du Hamas, du Hezbollah, et autres proches de l’Iran, la guerre a amené comme une divine surprise, elle a répandu la haine d’Israël et rendu son honneur à l’antisémitisme. Il était temps !
L’objet de la haine, le sionisme, semblait solidement installé sur les territoires musicaux de l’Europe, dont les juifs avaient pourtant été chassés. À Berlin, Vienne, Munich et Rotterdam, les orchestres philharmoniques se sont soumis à la baguette d’un « sioniste » insolent de jeunesse et de talent, Lahav Shani, directeur de l’orchestre philarmonique d’Israël.
Né en Israël en 1989, l’année où le violoncelle de Mitslav Rostropovitch ébranlait le mur de Berlin, Lahav Shani ne pouvait impunément engranger les succès sur toutes les scènes européennes. Le festival de Gand a donc annulé le concert qu’il devait donner avec l’Orchestre de Munich. Ce qui ne l’empêcha pas d’être longuement applaudi, à Paris, au théâtre des Champs Élysée, ce qui était franchement indécent. Une pétition lancée sur un blog de Médiapart entend donc rassembler les musiciens français, les vrais, pour obtenir l’annulation du concert de Lahav Shani avec le Philharmonique d’Israël à la Philharmonie de Paris, le 6 novembre. En vérité, il était trop tard pour appeler le public à boycotter ces musiciens, considérés par les pétitionnaires comme des soldats de Tsahal, la totalité des places ayant été vendue en quelques jours, dès l’ouverture des réservations. Insupportable, décidément, ce Lahav Shani, non content d’être la baguette du mal, il joue à guichets fermés !
Sauf à Gand, en Belgique, le boycott de Lahav Shani et de l’orchestre philharmonique d’Israël est un donc échec. Cependant d’autres domaines musicaux s’avèrent plus sensibles à la pression de la génération War and Hate.
La chanteuse israélienne d’origine iranienne Liraz a été déprogrammée d’une salle subventionnée par la ville de Paris et la Région Ile-de-France, l’espace Fleury-Goutte d’Or-Barbara. Oui, cette salle porte le nom de Barbara, cette grande voix de la chanson française, Monique Serf, jeune fille cachée aux heures noires.
La mairie de Paris a désavoué l’établissement, qui s’est confondu en excuses, et Liraz a pu se produire au Café de la danse. Question de quartier, une Israélienne peut chanter pour les femmes iraniennes, dans leur langue, à la Bastille, mais pas à la Goutte d’or, où les responsables de la programmation sont plus sensibles aux menaces. Il reste que le boycott des artistes d’Israël, et, en certains cas, celui des artistes suspects de sionisme, demeure un marqueur de notre époque.
Pour la génération War and hate, toute forme d’expression artistique doit être essentialisée, ramenée à la nationalité, aux origines et aux opinions exprimées ou supposée de ses auteurs. Quand ce n’est pas à la race, au sexe ou à l’orientation sexuelle de l’artiste. Le boycott des musiciens « sionistes » réveille une vieille obsession de l’Europe, celle de l’influence insidieuse des juifs, s’emparant de la musique pour détruire l’âme des peuples. Aujourd’hui comme hier, les antisémites associent la musique à l’idée d’un pouvoir politique occulte des juifs.
Le texte de la pétition contre Lahav Shani décortique ainsi les rapports de l’orchestre philharmonique d’Israël avec l’État et avec l’armée d’Israël, comme s’il s’agissait d’un lien criminel. Les manifestations contre la compagnie Batsheva se déroulent sous le slogan « à bas les ballets sionistes », sans plus de considération pour le répertoire et le style de la compagnie. Les demandes d’exclusion d’Israël de l’Eurovision, relayées, entre autres, par le gouvernement espagnol, reprennent l’antienne de l’hégémonie juive sur les médias.
Cette obsession du pouvoir insidieux précède le nazisme, elle hante l’Allemagne et l’Europe centrale du XIXe siècle, et revient en force sous la plume des idéologues hitlériens, dont Joseph Goebbels ne fut pas le moindre. Sans attendre la prise de pouvoir, Goebbels menait des campagnes nominales dans le Sturmer, journal nazi fondé par Julius Streicher. Toute baguette juive, placée à la tête d’un orchestre allemand, tout artiste de variété, tout musicien de jazz, devait être dénoncé. La suite est connue, la Shoah fut aussi une chasse aux musiciens, parqués dans le camp de Terezin avant d’être exterminés à Auschwitz.
La France, pays refuge dès le XIXe siècle, résista au boycott jusqu’aux lois antisémites de l’Occupation et du régime de Vichy. L’expression heureux comme un juif en France prenait son sens, en ce pays où le fils d’un cantor des synagogues rhénanes, Jacques Offenbach, vint étudier auprès d’un compositeur et chef d’orchestre, Fromental Halévy, auteur de La Juive, lui-même issu d’une lignée de rabbins et de cantors. De Halévy à Darius Milhaud, il semblait difficile d’épurer la musique française de toute trace juive. Des musiciens et des interprètes juifs, venus de toute l’Europe, firent de la chanson française, le marqueur de l’identité nationale. Le music-hall, emblème de Paris s’il en fut, naquit au Moulin-Rouge, rythmé par le cancan, sur une musique d’Offenbach, et nombre de succès des chanteurs les plus populaires, furent écrit par des musiciens juifs.
La dénonciation de l’influence juive sur la musique n’en fut pas moins une thématique récurrente de la presse d’extrême-droite, de l’Affaire Dreyfus aux années trente. Les musiciens juifs, privés de travail et spoliés de leurs droits d’auteurs par la législation de Vichy, ne furent pas épargnés par les rafles. Le boycott était alors une loi, parfois transgressée dans la chanson et le cinéma. L’antisémitisme ne se cachait pas, alors, sous le masque, il est vrai transparent, de l’antisionisme.
Le boycott d’Israël réveille de vieilles passions, on ne pardonne pas aux juifs leur présence massive en leurs domaines d’excellence. Une peur confuse mêle le mystère du judaïsme à celui de la musique, et quoiqu’il advienne de la guerre et de la paix, nous n’avons pas fini avec le temps des interdits et des pétitions haineuses.
Guy Konopnicki, sa vie en roman : « Né après », du côté de « La Place de la Nation », sur la « Ligne 9 » du métro parisien, sensible « Au chic ouvrier», ce qui n’interdit pas l’« Eloge de la fourrure » et moins encore celui de « La France du Tiercé », Guy Konopnicki redoute « Le silence de la ville », s’inquiète de « La gauche en folie » assume « La faute des juifs » et avoue avoir un peu évolué depuis « Le jour où De Gaulle est parti »… Ces titres et quelques autres le définissent, romancier et journaliste, Konop dans la Série Noire est désormais chroniqueur pour Art&Facts
Article en partenariat avec Art&Facts : LE LANGAGE, au début était le verbe : des mots pour dialoguer et mettre fin à la violence. Le numéro 1 d’Art&Facts, le magazine de l’Art, où l’esthétique rencontre l’éthique et l’actualité. Avec Yana Grinshpun, Guy Konopnicki, Bérangère Viennot, Jean-François Strouf, Hagay Sobol, Lise Haddad, Simona Esposito, Sarah Scialom, Jasmine Getz, Bernard Désormière…
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